19 avril 2017

Présidentielle 2017 : la parole des candidats passée au crible

À l'heure de faire un choix pour l'élection présidentielle 2017, il est souvent compliqué pour les électeurs de démêler le vrai du faux dans les déclarations des 11 candidats ainsi que de leur entourage. Depuis la fin des années 2000, des journalistes se sont spécialisés dans le fact checking, la vérification des faits, afin de lutter contre les fausses informations.

Présidentielle 2017 : la parole des candidats passée au crible

19 Avr 2017

À l'heure de faire un choix pour l'élection présidentielle 2017, il est souvent compliqué pour les électeurs de démêler le vrai du faux dans les déclarations des 11 candidats ainsi que de leur entourage. Depuis la fin des années 2000, des journalistes se sont spécialisés dans le fact checking, la vérification des faits, afin de lutter contre les fausses informations.

Ils s’appellent les Décodeurs, Factoscope 2017, Désintox, Le Vrai du Faux, Le Vrai-Faux de l’Info, Le Lab… et bien d’autres. Ils ont tous un point commun : contrer la communication, les approximations, les mensonges et les fausses informations dites, en majeure partie, par les responsables politiques. Un travail journalistique qui répond à un enjeu démocratique car pouvant « influer sur le débat et éventuellement manipuler les électeurs » comme le constate Maxime Vaudano, journaliste aux Décodeurs depuis 2014. « Le fact checking politique a plutôt émergé en France à partir de la campagne de 2012, c’est devenu un tournant » ajoute-t-il.

Aux Décodeurs, les vérifications des informations se décident « en fonction de la pertinence de la déclaration dans le contexte politique et en fonction du poids du responsable politique. On ne va pas aller vérifier les propos d’un conseiller municipal qui n’a pas d’impact sur le débat national » annonce Maxime Vaudano.

Ce travail de vérification est-il contraignant en termes de temps et de recherche des sources dans les rédactions ? Cela dépend du contexte explique Maxime Vaudano : « Il y a des vérifications assez faciles surtout dans la mesure où certaines déclarations sont assez récurrentes chez certains responsables politiques. On peut quasiment le faire à l’avance d’un débat. Parfois lors des débats, il y a de nouvelles choses. On a des intuitions et cela peut prendre du temps pour [les] vérifier. On essaye de le faire en temps réel avec l’outil « Direct » du Monde.fr, sinon on revient dessus un ou deux jours après pour réaliser des vérifications plus poussées. Donc cela peut prendre une minute ou trois jours car cela renvoie vers des problématiques plus complexes où il faut solliciter des interlocuteurs. » Les lecteurs du Monde et les internautes ont aussi un rôle à jouer dans la vérification de l’information. « On a une vigilance par rapport aux interviews, aux débats mais parfois des lecteurs peuvent nous signaler des déclarations. Ça peut-être une interview radio, un billet de blog d’un candidat, un tweet publié par un candidat, cela peut prendre différentes formes » déclare-t-il.

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Les Décodeurs, service de fact-checking du Monde

Une question d’éducation aux médias et à l’information

Le fact checking est également présent dans les écoles de journalisme. Chloé Marriault est étudiante en journalisme à l’école publique de journalisme de Tours et participe, avec huit autres étudiants, à alimenter l’outil d’agrégation Factoscope 2017, lancé début 2017 et encadré par Laurent Bigot, journaliste et maître de conférences. « Il s’agit d’un outil d’agrégation en ligne avec un moteur de recherche qui permet d’accéder en un clic à la majeure partie du fact checking politique français. On peut filtrer par candidat, par thème, par degré de véracité ou par média. Cela permet à chacun d’accéder rapidement à ce que l’on recherche » explique-t-elle. Un outil simple et accessible à tous donc et un projet construit de A à Z par l’équipe d’étudiants. « Nous sommes partis de rien en début d’année en trouvant un nom, un logo, une bannière, etc. Nous avons été aidés par un développeur et une graphiste pour lancer le site. Il y a nos propres articles et nous relayons tous les articles que l’on voit passer sur les autres sites d’informations spécialisés dans la vérification des faits. L’intérêt est d’avoir, sur un même site, tout le contenu fact checké des déclarations des candidats à la présidentielle. » Une application, en collaboration avec des étudiants de Polytech, a été développée et est présentée de façon ludique en laissant l’utilisateur se questionner sur la fiabilité d’une déclaration ou en confrontant les idées des candidats. « L’idée est de permettre à nos lecteurs qui sont de potentiels électeurs d’aiguiser leur esprit critique » explique Chloé Marriault.

Nous ne sommes pas là pour faire de la propagande mais pour rétablir une vérité Chloé Marriault

Elle considère que « le fact checking est un genre journalistique à part entière, avec un gage de rigueur en s’attachant aux faits. On essaie d’être très équilibrés, de ne pas être orientés politiquement ». Le groupe d’étudiants laisse le droit au candidat de pouvoir revenir sur sa déclaration. « Lorsqu’une déclaration est fausse, on contacte l’équipe du candidat en question pour qu’il puisse se justifier et lui donner la possibilité de rebondir. En général, les candidats ne nous répondent pas. Nous ne sommes pas là pour faire de la propagande mais pour rétablir une vérité. »

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À l'heure de faire un choix pour l'élection présidentielle 2017, il est souvent compliqué pour les électeurs de démêler le vrai du faux dans les déclarations des 11 candidats.

DR

L’impact d’une fausse déclaration est plus important que celui du rétablissement d’une vérité. Un robot pour aider les journalistes et rétablir rapidement une vérité serait-il une solution pour accélérer le fact checking ? « C’est compliqué » estime Maxime Vaudano. « La seule expérience qui ait vraiment aboutie de ce côté-là, c’est un robot qui a été mis en place par le Washington Post. Un robot capable d’analyser le texte en temps réel, d’analyser une vidéo, de la transformer en texte, ensuite de détecter à l’intérieur du texte les informations vérifiables puis d’aller les vérifier lui-même en piochant dans une base de données de faits » poursuit-il.

Et en France ? « On travaille sur des pistes dans le cadre d’un projet de recherche avec des chercheurs sur une perspective de long terme mais on ne pense pas, en tout cas à moyen terme, que cela puisse se faire de façon automatique. Les robots nous donnent des outils pour accélérer, pour faciliter les vérifications. Par exemple, pouvoir repérer automatiquement les chiffres dans un texte parce qu’ils sont le plus susceptible d’être vérifiés. Sur un thème donné, [ils nous permettent] d’aller chercher des sources d’informations. Mais que l’algorithme puisse établir lui-même un verdict, vrai ou faux, paraît prématuré et nous, journalistes, ne sommes pas forcément pour parce qu’il y a souvent des subtilités dans le débat public où l’intervention humaine est importante. »

Les robots nous donnent des outils pour accélérer et faciliter les vérifications Maxime Vaudano

Chloé Marriault pense que le robot peut être un atout dans la lutte contre les fausses informations et les mensonges délibérés. « C’est mieux d’apporter une réponse rapide à quelqu’un qui est devant sa télévision. Le robot peut être un outil intéressant pour une émission en direct en effectuant cette démarche. Pour un journaliste, il est difficile de réagir à chaud en disant que les chiffres cités par un candidat sont faux. »

La perte de confiance des Français dans les médias allant croissant, la question de leur légitimité pour effectuer cette vérification se pose. La création d’un organisme indépendant spécialisé dans le fact checking pourrait-elle être une solution ? « Le problème est que l’on ne peut pas trouver de personnes totalement neutres. Il n’y a pas de solution miracle, il faut être au maximum dans la transparence » déclare Maxime Vaudano. « On n’est pas obligé de nous faire confiance directement. Le plus important est d’inciter des réflexes et que les gens, avec leur esprit critique, puissent se protéger contre une partie des fausses informations. Parfois, cela nécessite le travail d’un journaliste pour vérifier certains faits. Il y a une bonne partie des intox dont la diffusion peut être arrêtée simplement en réfléchissant deux minutes avant de partager l’information. Il y a de plus en plus d’outils qui existent pour vérifier. »

Chloé Marriault précise que le choix des sources et leur fiabilité est déterminant. « Nous savons à quels médias nous fier. Nous n’allons pas sur des sites complotistes. Aussi, on essaie toujours de prendre des sources officielles, institutionnelles, comme des sources gouvernementales, des informations fiables comme des données de l’INSEE par exemple. » Des sources qui sont également communiquées au lecteur « pour que cela soit clair, puisque nous voulons faire preuve de transparence ».

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La lutte contre les intox, diffusées largement sur les réseaux sociaux, occupe également une place importante du travail de vérification.

William Iven

Les réseaux sociaux, espace de diffusion privilégié des intox et des fake news

La lutte contre les intox, diffusées largement sur les réseaux sociaux, occupe également une place importante du travail de vérification. « C’est quelque chose que l’on faisait déjà depuis 2 ans mais cela a vraiment franchi un cap en 2016. C’est devenu un enjeu de débat public puisque les gens s’en sont saisis, notamment après le Brexit et l’élection américaine » constate Maxime Vaudano. « Peu importe qui diffuse la fausse information, l’important c’est que si elle a vraiment un impact et une grosse viralité, on estime qu’il est important de la vérifier même si cela n’émane pas d’un acteur politique ou institutionnel. »

La lutte contre les fausses informations est devenue un enjeu de débat public Maxime Vaudano

Un article des Décodeurs montre qu’Emmanuel Macron est la cible privilégiée des intox dans cette campagne présidentielle. « Cela vient principalement de l’extrême-droite car il est perçu comme la principale menace pour Marine Le Pen, la candidate du Front National » explique Maxime Vaudano. La figure de favori place donc le candidat à une élection au centre des fausses informations. « Par exemple, à l’automne, quand Juppé était favori pour la primaire de la droite et du centre, il était la cible principale des intox. » Un calcul effectué par les diffuseurs d’intox pour « instituer une petite musique de fond qui peut influencer certaines personnes et perturber les candidats. Soit [ces derniers] décident de ne pas répondre mais cela peut les faire gamberger, ou de répondre et cela alimente davantage l’intox » déclare Maxime Vaudano.

Google et Facebook ont récemment fait part de leur volonté de lutter contre les fausses informations pouvant circuler sur la Toile. Les rédactions se sont également mises à collaborer entre elles notamment via CrossCheck, un projet de journalisme collaboratif. « L’idée est de discuter avec d’autres confrères pour savoir quand des intox circulent, pour se répartir des vérifications, pour éventuellement reprendre les vérifications effectuées » précise Maxime Vaudano. « Facebook fait aussi remonter de fausses informations que lui ont signalées ses utilisateurs. S’il y a deux ou trois médias qui valident le fait que c’est une fausse information, il peut y avoir un label « fausse information » qui est appliqué à l’article. Celui-ci sera pénalisé dans l’algorithme. » Enfin, des mesures sont également prises pour avertir l’internaute lorsqu’il consulte les résultats d’une recherche sur Google. » Google met en place, pour le moment aux États-Unis et bientôt en France, des solutions techniques pour identifier les fausses informations. S’il y a suffisamment de médias partenaires qui estiment que des informations d’un article sont fausses, une mention sera inscrite dans les résultats Google disant que cette page a été vérifiée par tel ou tel média et que c’est faux » explique Maxime Vaudano.

À l’instar des journalistes, les candidats à la présidence ont décidé de mener eux-mêmes une lutte contre les fausses informations. Par exemple, le site de Jean-Luc Mélenchon comprend une page consacrée à contrer les intox circulant sur son programme ou à bénéficier d’un droit de réponse aux attaques qui lui sont faites. Même démarche pour Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron.

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L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017