Le samedi 18 mars, au lieu unique. Une longue file d’attente s’est déjà formée lorsque je passe la porte de l’antre du Petit-Beurre, ce lieu emblématique, symbole historique de la ville de Nantes que l’on a décidé de réhabiliter plutôt que de détruire, lui donner une seconde chance, une seconde vie.
Comme un affluent arrivant à son embouchure, la foule prend place dans le Grand Atelier.
Emmanuel Noblet est seul, sur une scène épurée, dénuée de tout superflu.
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#ffffff » align= »left » size= »1″ quote= »(…) étirer l’espace, allonger le temps, jusqu’au bout de la course épuiser l’énergie de chaque atome de mer. Devenir déferlement, devenir vague » cite= »Maylis de Kerangal » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Une session surf à l’aube, les cœurs qui palpitent au rythme des vagues, l’adrénaline, l’équilibre, la confrontation avec l’océan, avec la vie. Intensité, vibrations, rythme, souffles, excitation, appréhension : bonheur pur, simple, extra-ordinaire. Ce moment de flottaison, bercé par les éléments, comme submergé par les forces et la beauté de la nature.
[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2017/03/GOPR0385.jpg » credit= »Aurélie Clement » alt= »Réparer les vivants ©Aurélie Clement » align= »center » lightbox= »on » caption= »Une session surf à l’aube, les cœurs qui palpitent au rythme des vagues, l’adrénaline, l’équilibre, la confrontation avec l’océan, avec la vie. » captionposition= »left » revealfx= »off »]
Puis c’est la chute, le chaos, le drame, la tragédie. Sur le retour, un accident de voiture qui balaie tout sur son passage comme le ferait la houle sous une tempête déchirante. Une existence brisée. Simon Limbres est en état de mort cérébrale. Un sujet difficile à aborder, le don d’organes : une décision lourde, une aventure intime, collective qui demande une réflexion à l’unisson. L’échéance est courte, le choc est brutal et vif. Pourtant, il faut se prononcer, faire un choix.
Cette pièce, c’est la transplantation de la littérature au théâtre, adaptée du roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants est authentique, sincère, vibrante… Ce récit des temps modernes nous engloutit, sans pathos, sous ces questions existentielles. Notre rapport à la mort est ausculté avec dérision, apportant une certaine légèreté dans la gravité. Sur les planches, Emmanuel Noblet livre une prestation complexe et déroutante. Une frénésie fulgurante dans l’incarnation des personnages, il est aussi le narrateur. Il transpose avec fougue et engagement ce cortège d’individus embarqué dans un tsunami duquel ils ne ressortiront, quoi qu’il arrive, pas indemnes.
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#FFFFFF » align= »left » size= »1″ quote= »Ce qu’il y a de très beau dans ce solo, c’est que le corps de l’acteur devient le lieu d’une performance physique reconduisant celui de la transplantation » cite= »Maylis de Kerangal » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Emmanuel Noblet se donne le défi de prendre en charge des maux et des mots, auxquels il faut croire, et qu’il faut porter vers nous. Le spectateur se retrouve dans une plongée en eaux profondes, sans retenue, brinquebalé dans des temporalités diverses, mais tout en simultané. Une course contre la montre, vingt-quatre heures décisives durant lesquelles vont se lier des personnages dont rien ne laissait présager la rencontre… et pourtant.
[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2017/03/IMG_7187-Aglaé-Bory.jpg » credit= »Aglaé Bory » alt= »Aglaé Bory » align= »center » lightbox= »on » caption= »Emmanuel Noblet se donne le défi de prendre en charge des maux et des mots, auxquels il faut croire, et qu’il faut porter vers nous. » captionposition= »left » revealfx= »off »]
Une piqûre de rappel, puisque, si nous ne sommes pas inscrits sur le registre national des refus, le principe du « consentement présumé » s’applique. Selon la loi, nous sommes tous des donneurs d’organes et de tissus sauf si nous avons exprimé, de notre vivant, notre refus de donner. Un appel à l’éveil des consciences, sur la nécessité d’en parler, d’échanger sur ce sujet avec ses proches, sa famille, ses amis.
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#FFFFFF » align= »left » size= »1″ quote= »(…) elle pleure, traversée par l’émotion que l’on ressent parfois devant ce qui, dans le temps, a survécu d’indemne, et déclenche la douleur des impossibles retours en arrière » cite= »Maylis de Kerangal » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Ce roman polyphonique, dont le texte nous étreint avec lyrisme et poésie, nous inonde sans nous noyer. Comme sur scène, la voix de Bashung y résonne, celle de Miles Davis s’y dépose comme l’écume sur le rivage. Même si la boussole semble parfois en perdre le nord, le cap est bel et bien maintenu. Une ode à la vie, à l’amour, avant tout.