• Réparer les vivants ©Aurélie Clement
7 avril 2017

Le cœur d’un autre

Après son succès lors du festival off d'Avignon, la pièce « Réparer les vivants », adaptée du roman éponyme de Maylis de Kerangal, est en tournée dans l'hexagone. La performance est menée avec brio par Emmanuel Noblet, qui est nominé pour la 29ème Cérémonie des Molières. Fragil a assisté au spectacle à Nantes, au lieu unique.

Le cœur d’un autre

07 Avr 2017

Après son succès lors du festival off d'Avignon, la pièce « Réparer les vivants », adaptée du roman éponyme de Maylis de Kerangal, est en tournée dans l'hexagone. La performance est menée avec brio par Emmanuel Noblet, qui est nominé pour la 29ème Cérémonie des Molières. Fragil a assisté au spectacle à Nantes, au lieu unique.

Le samedi 18 mars, au lieu unique. Une longue file d’attente s’est déjà formée lorsque je passe la porte de l’antre du Petit-Beurre, ce lieu emblématique, symbole historique de la ville de Nantes que l’on a décidé de réhabiliter plutôt que de détruire, lui donner une seconde chance, une seconde vie.

Comme un affluent arrivant à son embouchure, la foule prend place dans le Grand Atelier.

Emmanuel Noblet est seul, sur une scène épurée, dénuée de tout superflu.

(...) étirer l'espace, allonger le temps, jusqu'au bout de la course épuiser l'énergie de chaque atome de mer. Devenir déferlement, devenir vague Maylis de Kerangal

Une session surf à l’aube, les cœurs qui palpitent au rythme des vagues, l’adrénaline, l’équilibre, la confrontation avec l’océan, avec la vie. Intensité, vibrations, rythme, souffles, excitation, appréhension : bonheur pur, simple, extra-ordinaire. Ce moment de flottaison, bercé par les éléments, comme submergé par les forces et la beauté de la nature.

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Réparer les vivants ©Aurélie Clement
Une session surf à l'aube, les cœurs qui palpitent au rythme des vagues, l'adrénaline, l'équilibre, la confrontation avec l'océan, avec la vie.

Aurélie Clement

Puis c’est la chute, le chaos, le drame, la tragédie. Sur le retour, un accident de voiture qui balaie tout sur son passage comme le ferait la houle sous une tempête déchirante. Une existence brisée. Simon Limbres est en état de mort cérébrale. Un sujet difficile à aborder, le don d’organes : une décision lourde, une aventure intime, collective qui demande une réflexion à l’unisson. L’échéance est courte, le choc est brutal et vif. Pourtant, il faut se prononcer, faire un choix.

Cette pièce, c’est la transplantation de la littérature au théâtre, adaptée du roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants est authentique, sincère, vibrante… Ce récit des temps modernes nous engloutit, sans pathos, sous ces questions existentielles. Notre rapport à la mort est ausculté avec dérision, apportant une certaine légèreté dans la gravité. Sur les planches, Emmanuel Noblet livre une prestation complexe et déroutante. Une frénésie fulgurante dans l’incarnation des personnages, il est aussi le narrateur. Il transpose avec fougue et engagement ce cortège d’individus embarqué dans un tsunami duquel ils ne ressortiront, quoi qu’il arrive, pas indemnes.

Ce qu'il y a de très beau dans ce solo, c'est que le corps de l'acteur devient le lieu d'une performance physique reconduisant celui de la transplantation Maylis de Kerangal

Emmanuel Noblet se donne le défi de prendre en charge des maux et des mots, auxquels il faut croire, et qu’il faut porter vers nous. Le spectateur se retrouve dans une plongée en eaux profondes, sans retenue, brinquebalé dans des temporalités diverses, mais tout en simultané. Une course contre la montre, vingt-quatre heures décisives durant lesquelles vont se lier des personnages dont rien ne laissait présager la rencontre… et pourtant.

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Aglaé Bory
Emmanuel Noblet se donne le défi de prendre en charge des maux et des mots, auxquels il faut croire, et qu’il faut porter vers nous.

Aglaé Bory

Une piqûre de rappel, puisque, si nous ne sommes pas inscrits sur le registre national des refus, le principe du « consentement présumé » s’applique. Selon la loi, nous sommes tous des donneurs d’organes et de tissus sauf si nous avons exprimé, de notre vivant, notre refus de donner. Un appel à l’éveil des consciences, sur la nécessité d’en parler, d’échanger sur ce sujet avec ses proches, sa famille, ses amis.

(...) elle pleure, traversée par l'émotion que l'on ressent parfois devant ce qui, dans le temps, a survécu d'indemne, et déclenche la douleur des impossibles retours en arrière Maylis de Kerangal

Ce roman polyphonique, dont le texte nous étreint avec lyrisme et poésie, nous inonde sans nous noyer. Comme sur scène, la voix de Bashung y résonne, celle de Miles Davis s’y dépose comme l’écume sur le rivage. Même si la boussole semble parfois en perdre le nord, le cap est bel et bien maintenu. Une ode à la vie, à l’amour, avant tout.

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Curieuse de tout et surtout de l'info, Romane (se) pose beaucoup de questions. Salariée de Fragil, elle écrit sur l'éducation aux médias et la musique actuelle !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017