7 avril 2017

Christiane Taubira à Nantes : « Notre humanité c’est l’immensité de nos cœurs »

L’ancienne Garde des Sceaux Christiane Taubira était l’invitée de l’Université permanente samedi 18 mars, en partenariat avec la Librairie Coiffard, pour la sortie de son troisième livre « Nous habitons la Terre ».

Christiane Taubira à Nantes : « Notre humanité c’est l’immensité de nos cœurs »

07 Avr 2017

L’ancienne Garde des Sceaux Christiane Taubira était l’invitée de l’Université permanente samedi 18 mars, en partenariat avec la Librairie Coiffard, pour la sortie de son troisième livre « Nous habitons la Terre ».

Salle comble pour l’amphithéâtre de l’Université permanente de Nantes, où près d’un millier de personnes étaient venues écouter l’ancienne Ministre de la Justice présenter les grandes lignes de son dernier livre, « Nous habitons la Terre » (Éd. Philippe Rey, 2017).

Notre monde n’a jamais connu autant d’accumulations de richesses et de savoirs et paradoxalement il n’y a jamais eu autant d’inégalités sociales, économiques et culturelles Christiane Taubira

C’est sur un constat des plus désarmants que Christiane Taubira ouvre sa conférence : « Notre monde n’a jamais connu autant d’accumulations de richesses et de savoirs et paradoxalement il n’y a jamais eu autant d’inégalités sociales, économiques et culturelles ». Ces questions sont au cœur de son ouvrage : Que faire de l’état du monde ? Comment le rendre plus habitable – c’est-à-dire plus humain, plus juste, et surtout plus tranquille ? Parce qu’il s’agit d’abord de rendre compte de l’intranquillité permanente de notre quotidien, de notre accommodement progressif au désarroi, aux injustices, du vocabulaire anxiogène  et parfois vulgaire  qui est devenu monnaie courante dans nos médias, dans la bouche même de nos responsables politiques, et qui maintient nos institutions et les populations dans un état de tension devenu permanent.

Interrogée sur son diagnostic des crises qui nous entourent dans le monde politique, Christiane Taubira nous rappelle que si notre génération a connu l’une des parenthèses de paix les plus longues de l’histoire contemporaine, elle a aussi vu naître de nouveaux paradigmes, de nouvelles idéologies, de nouvelles manières de gouverner, face auxquelles les peuples ne sont pas toujours armés pour en comprendre les véritables enjeux. La domination des puissants s’appuie désormais sur de nouvelles rhétoriques, la démagogie politique a atteint un cap qu’on ne peut plus supporter et les institutions ont encore bien du mal à suivre et à condamner les ressorts de ce qu’elle qualifie de « nouvelle forme de délinquance d’ingéniosité », vis-à-vis de laquelle il faudra rester de plus en plus vigilant.

« Quelque chose s’enlaidit, s’affadit, se rétrécit, et c’est notre humanité »

Sur la question migratoire, l’ancienne députée de Guyane nous invite à considérer l’état et le désordre du monde, et principalement les guerres et les déplacements de populations qui en découlent, comme étant la conséquence directe de l’absence de décisions politiques fortes au niveau international. Certes, les circulations humaines et les phénomènes de migrations sont devenus plus importants, le temps de la mobilité est devenu aujourd’hui plus long que le temps de la sédentarisation, mais n’oublions pas de rappeler que la France et l’Europe sont d’abord et avant tout des espaces de paix et de protection, pour ceux qui y vivent autant que pour ceux qui y cherchent un refuge en plein milieu du chaos. Tendre la main aux réfugiés, si pour certains cela représente de perdre en confort et en matérialité, c’est aussi – et surtout selon elle – gagner en humilité, en dignité. Et c’est justement là que se trouve notre humanité.

Christiane Taubira n’hésite pas non plus à tirer à l’intérieur de son propre camp : « La Gauche a renoncé à son identité quand elle a renoncé à la question sociale. Nous devons reprendre l’ouvrage, nous la Gauche, refaire de la justice sociale la colonne vertébrale des politiques publiques, reprendre en charge la question démocratique, penser la culture, et retisser les liens de la solidarité internationale ». C’est aussi réussir à intéresser les citoyens au fait politique, user de pédagogie pour donner à l’ensemble du peuple les clés de la compréhension du monde, car « plus le monde nous paraît intelligible, plus nous sommes autonomes et forts dans nos prises de décision ».

Même sous la Constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave Christiane Taubira

Elle propose notamment d’ouvrir les institutions à la parole citoyenne, de retrouver et fertiliser l’enseignement des Lumières pour débattre, controverser – se disputer parfois ! – mais rassembler les énergies positives de ce monde et retrouver finalement ensemble les valeurs qui nous unissent. Elle cite Condorcet, dont les mots résonnent dans tout l’amphithéâtre : « Même sous la Constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave ».

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C’est sur un constat des plus désarmants que Christiane Taubira ouvre sa conférence : « Notre monde n’a jamais connu autant d’accumulations de richesses et de savoirs et paradoxalement il n’y a jamais eu autant d’inégalités sociales, économiques et culturelles ».

Dutch Government/Valerie Kuypers

« Faire des rêves aussi grands qu’on ne les perde pas de vue en les poursuivant  »

C’est à la jeunesse qu’elle s’adressera en dernier lieu, qu’elle encourage fortement à s’engager, et même à « faire irruption » dans le débat public en faisant entendre son mécontentement, mais aussi son optimisme et son désir d’habiter un autre monde. Mieux vaut des citoyens remuants et exigeants que passifs et sans vitalité : c’est selon elle la condition même d’une démocratie en bonne santé.

Christiane Taubira nous emmène enfin dans l’une de ses envolées lyriques dont on ne veut surtout pas perdre un mot, citant tour à tour Oscar Wilde et Victor Hugo, Aimé Césaire et Bertolt Brecht. Elle nous invite au bonheur de la connaissance, elle nous ouvre les portes de la beauté du monde de demain avec des auteurs et des mots d’hier et, en un sens, c’est exactement pour ça que nous sommes là. Merci Madame Taubira.


Retrouvez ici la conférence de Christiane Taubira en vidéo avec la WebTv de l’Université de Nantes

À mi distance entre la pédagogie et le journalisme, Benoist est un passionné des cultures et des sociétés du monde, des sciences et des mythologies. Prof de formation, grand fan de "C'est pas sorcier!", ne voyage jamais sans son ukulélé.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017