Tous les songwriters ne sont pas morts. L’an dernier, la Folk Journée réunissait en grande pompe des grands noms pour une soirée de reprises post-mortem classieuse : le regretté Elliott Smith par Jason Lytle de Grandaddy (entre autres), le futur regretté Leonard Cohen par Nona Marie Invie de Dark Dark Dark (et sa chorale) et le bêtement méconnu Jackson C. Frank par Adrian Crowley. Cette année, c’est pour reprendre les bien vivants Joan Baez et Bob Dylan que la folkeuse néozélandaise Aldous Harding et les locaux de The Patriotic Sunday sont invités au lieu unique, avec en cadeau de dernière minute l’ajout à la programmation de l’écriture folk pointue de Marc Morvan. Joie de courte durée puisqu’en arrivant sur place et en le voyant ranger ses câbles, on comprend que le musicien en a été réduit à jouer Harry Nilsson, Beck… et son splendide personnel Offshore Pirate devant le public peu attentif et bruyant du bar, avant l’heure de début de la Folk Journée. Passée cette petite déception, direction les gradins pour s’asseoir pas trop loin de la scène en attendant la venue de la fabuleuse compositrice au nom mystique.
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« Je ne suis qu’une fille du port »
Les gradins sont remplis d’amateurs folk de tous âges (comprenez entre 25 et 70 ans) qui découvrent la grande dame de 26 ans. Après quelques notes, on comprend qu’il y aura du Joan Baez, mais pas que. Durant 45 minutes, c’est donc « la reine du folk » mais aussi les plus confidentielles Karen Dalton ou Connie Converse qui se succèdent derrière les arpèges et dans la voix pénétrante de leur successeuse la plus fidèle, qui confesse entre deux chansons « être terrorisée » devant une si grande audience. Seule avec sa guitare classique sur les genoux ou debout accompagnée au piano quand les chants scandés et la rage contenue grandissent au fil des chansons (comme sur Horizon, hommage à toutes les « crazy women » et à PJ Harvey), celle qui a « beaucoup écouté Nick Drake dans sa jeunesse » délivre un exemple de pudeur musicale et de justesse. La fille du petit port de Lyttelton parsème sa prestation de ses propres compositions, cherche le public d’un regard perturbant, fait durer les boucles à la guitare et friser son micro de ses chœurs, torture délicatement sa voix, va chercher dans le grave quand on ne l’attendait plus et instaure une ambiance de douce folie avant de s’en aller sur un tout dernier guitare/voix et sous les acclamations du public.
Et les tâches s’évanouissent
Un auditoire pourtant pas tout à fait unanime au moment de chercher en vain le merch pour acheter son premier album et d’intercepter la conversation entre un spectateur d’un certain âge et un membre de l’équipe du lieu unique. Pour lui, il y a eu « publicité mensongère » puisque la jeune chanteuse n’a pas rempli son devoir de reprise de Joan Baez, qu’elle a remplacé par un « sentimentalisme de gamine » (comme quoi les appréciations peuvent diamétralement s’opposer selon les spectateurs). Après avoir demandé à voir le responsable, cet amoureux de folk aura été probablement consolé par la deuxième partie de la soirée consacrée au projet Dylan Revisited de The Patriotic Sunday.
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The Patriotic Sunday’s 115th dream
D’entrée, la tête pensante du groupe (et de Papier Tigre) Éric Pasquereau l’assure avec humour : « On ne fera que du Dylan ». Oui, mais du Dylan de l’époque de la trilogie électrique en reprenant les trois disques Bringing It All Back Home, Highway 61 Revisited et Blonde on Blonde. Sur scène, aucune fausse note et une classe à toute épreuve. Autour d’un gros travail de réinterprétation des chansons, le quintet se joue des longueurs des textes et des répétitions de rythmes propres au songwriter pour façonner des pièces musicales en escalade. Et si Éric Pasquereau concède comme Aldous Harding avoir été très stressé les jours précédents le concert (stress prenant la forme de rêves étranges impliquant un duvet duquel il ne peut pas sortir, un pantalon dans lequel il ne peut pas rentrer et un magazine Télépoche), le chanteur a parfaitement rendu hommage à la voix, au phrasé de Dylan et a son jeu de guitare, Stratocaster jaune en mains. Ponctués d’effets et véritablement revisités, quelques morceaux moins connus de la discographie de Dylan ont pris une nouvelle dimension, à l’image de Masters of war et sa montée en puissance jusqu’à l’explosion. Et après un premier faux départ, les cinq musiciens concluent la soirée par un classique « que les gens de ma génération on découvert malheureusement avec les Guns’n’Roses » : Knockin’ on Heaven’s Door. Une invitation en douceur à prendre la porte de la sortie.