9 avril 2020

À mon bel amour : soyons-fous, soyons-nous

Le 26 février dernier, la Soufflerie accueillait le spectacle de la chorégraphe et danseuse Anne Nguyen dans le cadre du festival Hip Opsession. Les 8 interprètes de la compagnie Par Terre ont donné à réfléchir sur l’idée même de la beauté et de ses représentations à travers plusieurs styles de danse. A suivre, l’interview de Sonia Bel Hadj Brahim.

À mon bel amour : soyons-fous, soyons-nous

09 Avr 2020

Le 26 février dernier, la Soufflerie accueillait le spectacle de la chorégraphe et danseuse Anne Nguyen dans le cadre du festival Hip Opsession. Les 8 interprètes de la compagnie Par Terre ont donné à réfléchir sur l’idée même de la beauté et de ses représentations à travers plusieurs styles de danse. A suivre, l’interview de Sonia Bel Hadj Brahim.

À mon bel amour, à celui que je ne connais pas et celui qui m’est cher. À ceux qui veillent et ceux qui soignent. À ceux qui luttent et ceux qui prient. À l’espoir, à la vie.

Les codes de beauté : harmonie ou armes niées ?

C’est cette fois à Rezé que le message du festival piloté par Pick Up Production a trouvé sa résonance. Une véritable ode à la beauté s’est jouée, interrogeant la perception de l’individu et de son identité, du couple au collectif. A l’image du décor vide, les interprètes composés de 4 hommes et 4 femmes se sont mis à nu en dévoilant leur art tout en soumettant leur performance au regard du public. Hip hop mais pas seulement, la pièce encense l’expression corporelle comme représentation de l’identité. Du voguing au contemporain en passant par le popping, la danse classique ou le krump… Le public est témoin de la pluralité des aptitudes de chacun·e, assumant leur style avec fierté et passion

“À eux seuls, ils incarnent différentes visions culturelles de la beauté sur lesquelles, pourtant, les spectateurs pourront s’accorder. Un consensus rare dans un monde où l’on peine à se retrouver sur des valeurs.” (Anne Nguyen)

© Patrick Berger

La beauté se définit selon notre époque et notre vision du monde, elle est donc propre à chacun·e, subjective. 

Sans le savoir, notre inconscient régit ces codes et ces standards. Dans À mon bel amour, les interprètes nous donne à voir d’autres facettes du “beau” en nous prouvant que l’harmonieux n’est pas toujours celui que l’on croit. Ne serait-il que dans l’apparence, l’esthétique ? Ou la personnalité serait la face cachée d’une même pièce ? 

En effet, la beauté de chaque être réside dans sa façon unique de se montrer au monde. Être soi, complètement soi, n’est ce pas une des plus belles choses ? Lorsque qu’une personne s’assume et s’aime comme elle est, cela la rend attirante car d’une certaine façon, s’accepter c’est se rendre libre. 

Assumer sa singularité en tant qu’individu, c’est s’affranchir des codes dictés à l’ensemble d’un groupe. En effet, comment ces codes pourraient-ils concerner tout le monde alors que chacun·e est unique ? Néanmoins, vouloir ressembler à ses paires est légitime et humain. La peur du rejet nous empêche parfois d’être complètement nous-même et c’est bien ici le propos de la représentation : en comprenant la force cachée que constitue la singularité de chaque être, les artistes se trouvent et se retrouvent.

© Patrick Berger

 La beauté est dans l’œil de celui qui regarde

Les regards tournés vers le public, les protagonistes semblent l’interroger. C’est lors de cet échange muet que tout se joue, les spectateur·rice·s pouvant ainsi définir leur propre standard en tant que juge de la performance artistique.

Sur scène, les danseur·euse·s tentent alors de se confronter : peut-être pour déterminer lesquel·le·s d’entre eux·elles sont les plus techniques, les plus souples, les plus gracieux·euses, les plus énergiques, les plus en rythme. Mais chacun·e est talentueux·euse à sa manière et le public en est témoin. 

En effet, à travers ses yeux, chaque interprète vaut son·sa voisin·e et on ne peut qu’admirer la beauté de l’énergie dégagée par le groupe. Les sons électro emportent les danseurs·euse·s et hypnotisent le public lorsqu’un défilé prend forme sur le plateau. Dans un décor toujours brut, il met en lumière chaque artiste seul·e, à plusieurs ou en groupe. D’une symbolique puissante, les gestes et les attitudes sont empruntés à la mode quand les corps sont animés par la danse. Les allers-retours sur le devant de la scène soulignent leurs regards : déterminés, fiers, libres.

© Patrick Berger

La mode est déconstruite avec des associations improbables de pièces. Pantalon militaire/chemise, kilt/t-shirt, les apparences sont mises en scène pour porter un message fort. Les costumes peuvent être perçus ici comme une métaphore de l’identité, bizarres à première vue, magnifiques lorsque les individus les assument. L’atmosphère se suspend dans un constat unanime : ils sont tous beaux et belles.

Les différences de ce groupe hétéroclite créent une formidable synergie redéfinissant les limites de notre regard.

“Oser se montrer, oser séduire, oser s’affirmer, oser dominer, oser dédaigner, oser aimer. Se transcender pour exister” (Anne Nguyen)

À mon bel amour nous propose une mise en abîme de notre propre quotidien, à travers le prisme de la danse et de ses costumes, pour délivrer un message d’acceptation et d’affirmation de soi.

 
Teaser de A mon bel amour, Cie Par Terre

Interview SonYa : « Il faut des individualités, il faut que les gens se montrent

Fragil est allé à la rencontre d’une des interprètes de la pièce À mon bel amour : Sonia Bel Hadj Brahim (alias SonYa), danseuse professionnelle de popping et de waacking depuis 9 ans. Elle danse aussi bien en compagnie comme avec la cie Par Terre ou en groupe (avec le trio de waacking Ma Dame Paris par exemple). Fière protagoniste de la 17e édition d’Hip Opsession Danse, elle est aussi demi-finaliste du battle popping contre Iron Mike et a proposé deux workshops à cette occasion.

© Manon-Dina Duclos

Fragil : Depuis combien de temps danses-tu ?

SonYa : J’ai commencé quand j’avais 14 ans, ça fait déjà la moitié de ma vie que je danse. J’ai débuté en prenant des cours de popping pendant 9 ans avec Pascal Luce (electric boogaloo style) et j’ai élargi mon univers avec le waacking en regardant des vidéos sur YouTube. On est dans le même groupe aujourd’hui avec Pascal (Groove Garden), c’est mon grand frère. Il joue dans la pièce À mon bel amour aussi.


Les Electric Boogaloo en showcase, groupe pionnier du popping


Showcase de Pascal et SonYa

Fragil : Quand as-tu compris que tu voulais être danseuse pro ?

SonYa : Je me suis toujours dit que je ferais ça. Je me suis toujours dit que je serais sur scène, en parallèle de mes études d’économie à la fac. Je n’ai jamais cherché à faire des auditions mais je me suis dit que ça allait venir. J’ai fait confiance au temps. 

Fragil : Quel est ton objectif quand tu montes sur scène ou en battle ?

SonYa : Pour moi le plus important ce n’est pas d’avoir bien dansé au sens beau et bon du terme, c’est de s’être fait plaisir

© CLACK – David Gallard

Fragil : Te considères-tu comme une artiste ?

SonYa : Je préfère dire que je suis une créatrice. Artiste, c’est les autres qui le diront. Moi, je crée des choses. Est ce que c’est de l’art ? Je ne sais pas. 

Fragil : Que penses-tu du propos de À mon bel amour ?

SonYa : On a souvent l’injonction de correspondre à la beauté conventionnelle, la beauté que la société nous dicte : il faut être grand, la peau claire, avoir de grands yeux, des jambes de deux mètres… Ce spectacle propose différentes beautés. Il n’y en a pas qu’une, il y a des beautés et tout le monde est potentiellement beau. Et même, tout le monde est beau.

© @spicy_scoop – édité par Sonia Bel Hadj Brahim

Fragil : La danse a-t-elle changé ta façon de voir la beauté ou « les belles choses » ?

SonYa : Déjà, quand on est ados, on a tendance à être très complexé car on est matricé par ces critères, on veut ressembler à son idole, etc. J’ai beaucoup été comme ça moi aussi. Et la danse me l’a mis de côté. J’étais tellement passionnée qu’au fur et à mesure, je me suis assumée et je me suis acceptée telle que j’étais. La danse m’a permis de me créer un personnage que la société ne me proposait pas. Par exemple, dans la société, quand tu es petit ce n’est pas beau. À l’inverse de la “grandeur” dont le mot sonne déjà très positif.

En fait, je n’aime pas la belle danse. Si c’est beau pour être beau ça ne m’intéresse pas. Justement, ça m’a détaché de la beauté. Même quand je vois des choses très belles, si ce n’est que ça alors ça aura plus de mal à m’interpeller ou à m’inspirer… Je préfère le côté un peu « gueule cassée ». J’aime bien voir des monstres, positifs ou négatifs, parce que ça me prend aux tripes. C’est ça qui va me donner la chair de poule, qui va m’inspirer. Je ne renie pas du tout la beauté en “général”, mais un beau visage par exemple, s’il ne dégage pas une aura ou un caractère particulier, ce n’est pas pareil.

C’est possible que je pense ça, car je ne corresponds pas aux critères de beauté justement. J’ai peut-être la peau blanche, mais je fais 1m50 ! Mes jambes sont riquiqui ! Comme je ne me sens pas correspondre à ces critères et bien, j’en veux d’autres. Ok, vous êtes plus nombreux, mais moi aussi j’ai mes exigences.


Démo de Sonia en tant que juge au All Europe Waacking Festival 2019

Fragil : Comment fais-tu ressortir ta part de féminité quand tu danses ?

SonYa : De fait je suis féminine. Même si je porte un gros baggy avec un chapeau melon et que je ressemble à un petit champignon, je suis féminine. 

Fragil : Dans les événements hip hop j’ai beaucoup ressenti l’osmose du collectif, alors qu’individuellement les gens ne se ressemblent pas du tout. Comment expliques-tu cela ?

SonYa : C’est ce qui fait qu’un groupe est fort. Il faut des individualités, il faut que les gens se montrent. Montrez-vous, même avec vos défauts. Venez quoi, on se montre ! Dans le respect, sans avoir peur, sans essayer de correspondre à quelque chose.

Merci beaucoup !

Retrouvez SonYa sur Instagram, ainsi que la compagnie Par Terre et le festival Hip Opsession pour de prochains spectacles !

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Confinés mais solidaires

Etudiante en communication, passionnée par les arts et le spectacle vivant. Je danse et j’écris un peu, parfois.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017