11 avril 2018

The Representation Project : mettre en lumière le rôle des médias et de la société sur les stéréotypes de genre

The Representation Project est une série de deux documentaires qui tentent de décrypter l’impact des stéréotypes de genre sur les femmes (Miss Representation) et les hommes (The Mask You Live In).

The Representation Project : mettre en lumière le rôle des médias et de la société sur les stéréotypes de genre

11 Avr 2018

The Representation Project est une série de deux documentaires qui tentent de décrypter l’impact des stéréotypes de genre sur les femmes (Miss Representation) et les hommes (The Mask You Live In).

La question des stéréotypes de genre est à l’heure actuelle primordiale dans la construction de notre société ; d’où viennent ces stéréotypes ? Quels messages véhiculent-ils ? Et plus important encore ; quel est leur impact sur les femmes… et sur les hommes ? Au travers de deux documentaires, la réalisatrice Jennifer Siebel Newsom cherche à nous faire prendre conscience de la nocivité de cet impact, et du rôle que ces stéréotypes jouent dans la relation entre les femmes et les hommes.

Médias, société ; principaux vecteurs de stéréotypes ?

Les publicités, les films, la télévision et les réseaux sociaux accaparent aujourd’hui la majorité de notre temps. Impossible de tourner la tête sans tomber sur une affiche représentant une femme dénudée, de regarder la télévision sans apercevoir un spot pour un nouveau parfum, ou de scroller sur nos fils d’actualités sans tomber sur une énième preuve de sexisme.

Dans quelle mesure ces images, qui participent à une vision erronée des hommes et des femmes, contribuent-elles à véhiculer des stéréotypes pourtant vieux de décennies ?

Aucun média ne semble être épargné par le sexisme et les stéréotypes, mais aucun média ne semble vouloir s’en défaire complètement non plus. Miss Representation met par exemple en lumière le faible pourcentage de femmes protagonistes dans les films hollywoodiens ; 16%. Cependant, cette problématique ne touche pas seulement les actrices mais tous les métiers du cinéma : en 2015 en France, seuls 21% des films ont été réalisés par des femmes. Et ces réalisatrices touchaient jusqu’à 42% de moins que leurs homologues masculins.

Concernant la télévision, on apprend qu’après la seconde guerre mondiale, celle-ci a joué un rôle crucial dans le retour de « la femme au foyer modèle » aux Etats-Unis. En effet, après avoir remplacé leurs maris à l’usine, il était temps pour elles de retourner à leur rôle de femme – faire le ménage, repasser, s’occuper des enfants… Il fallait pour cela une grande campagne de propagande à coups de publicités et de feuilletons sponsorisés par des marques d’électroménager.

Aujourd’hui encore on retrouve cette catégorisation genrée au travers notamment de publicités ; la femme bonne à nettoyer et l’homme à travailler. Cette conception semble si vieille et ancrée que malgré ses nombreuses remises en question, elle peine à se défaire de notre société.

Vu que les femmes remettent en cause le pouvoir des hommes, en affaire, dans le travail, dans l’éducation, en politique, […] les images de femmes qui inondent la société montrent des femmes moins présentes. Elles sont moins menaçantes, très sexualisées, et ainsi, on leur a volé une certaine forme de pouvoir : le pouvoir d’être quelqu’un d’entier.

Leadership féminin et toute puissance masculine

Business, puissance, succès, ambition… Avez-vous déjà entendu ces termes utilisés positivement pour une femme ? Comme le décrit si bien Miss Representation, une femme qui réussit et qui ne s’en cache pas est souvent vue comme prétentieuse, arrogante, prête à tout pour atteindre le sommet, sans cœur ou encore prête à se soumettre pour gravir les échelons.

Les femmes de pouvoir menacent les hommes, car ils pensent qu’une femme de pouvoir rabaisse l’homme, au lieu d’essayer de s’élever elle-même.

Dans son livre En avant toutes, Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook, met également en lumière cette inégalité. Mais elle pointe également du doigt la méchanceté dont peuvent faire preuve les femmes entre elles, car cette vision négative de la « business woman » n’est pas seulement partagée par des hommes.

La problématique du leadership féminin est en fait intimement liée au concept de « plafond de verre », qui désigne, pour les femmes entre autres, des « freins invisibles » qui les empêchent d’atteindre des échelons hiérarchiques plus élevés. Ces freins peuvent se traduire par une peur d’être justement perçue comme arrogante et prétentieuse, de ne pas réussir à mêler vie personnelle et vie professionnelle, ou par tout un tas d’autres raisons liées à la « condition » de femme.

Dans son livre, Sheryl Sandberg appelle donc à repenser notre conception du travail et de la vie familiale : plus de place à la maison pour les hommes, et plus de place dans la hiérarchie pour les femmes.

« Be a man »

Comporte-toi comme un homme. Arrête de pleurer. Sois fort. The Mask You Live In montre que derrière des apparences fortes et intrépides, les hommes – et particulièrement les garçons – cachent très souvent de la colère, de la tristesse ou même une souffrance bien plus profonde.

Si les médias tendent à dépeindre la femme comme un objet sexuel ou comme le maillon « faible » de la chaîne, ils contribuent également à donner cette image forte, dominante, musclée et luisante des hommes.

On a tous en tête au moins un clip musical où l’homme est en position de dominant, et la femme en position de dominée. Un film de « bad boys » où les hommes font preuve de violence – entre eux ou à l’égard des femmes. Une publicité avec un homme ultra musclé et une femme ultra mince. A qui cela sert-il ?

Car derrière ces catégorisations aux premiers abords sans conséquences, se cachent de véritables problèmes. Le documentaire consacre tout une partie à la place du sport dans la construction identitaire des garçons. On nous montre le cliché, peut-être pas si cliché que ça, de l’entraineur de foot qui crie à ses élèves « d’arrêter de se comporter comme des fiottes » ou encore « de ne pas jouer comme des gonzesses ». Quelles répercussions ces phrases peuvent-elles avoir, répétées plusieurs fois par semaines ? L’illusion que les femmes sont faibles, inintéressantes et que ce ne peut-être qu’une honte pour un homme de laisser paraître une once de sensibilité ?

Aujourd’hui encore, le sport – surtout aux Etats-Unis – tient une place tellement importante qu’il prévaut sur tout le reste. On se souviendra de l’affaire d’une jeune femme violée sur son campus à Standford. La réussite de son agresseur avait tellement d’importance que malgré sa culpabilité, il n’a écopé que de six mois de prison. Pour son père, «[c’était] déjà cher payé pour vingt minutes d’action.»

Les violences faites aux femmes deviennent tellement « banales » qu’elles en seraient presque risibles ; il n’y a qu’à voir l’article de Titiou Lecoq qui interpelle sur l’étrange légèreté avec laquelle les « faits divers » sur les féminicides sont traités.

Il y a fort à parier que vous n’avez pas entendu parler de ces affaires dans les médias nationaux, hormis un entrefilet sur un site quand l’affaire permet un titre racoleur comme «il tue sa femme à coups de casseroles». Une simple anecdote. Il faut sortir ces affaires de la case «faits divers».

Les stéréotypes sur les hommes ont un impact sur les femmes et vice-versa. Comment se comporter avec respect et comment être en phase avec soi-même quand on nous apprend dès petit à être fort, et à ne pas montrer ses émotions sous prétexte qu’on ressemblerait à une femme ? Comment connaître sa valeur quand on nous montre depuis petite que seule l’apparence compte et que le rôle de leader, c’est celui des hommes ?

Il y a encore beaucoup à faire pour lutter sur l’impact de ces stéréotypes sur les générations actuelles et futures. Mais il est important dans un premier temps de prendre conscience de cet impact. Car chaque fille, chaque femme devrait avoir le droit d’être ambitieuse et de disposer de son corps tout comme chaque garçon, chaque homme devrait avoir le droit d’exprimer ses sentiments et sa sensibilité.

Pour aller plus loin :

En avant toutes, le livre de Sheryl Sandberg
L’article de Titiou Lecoq
Le site de The Representation Project (les deux documentaires sont disponibles sur Netflix)
L’affaire du viol de Standford
L’article de Fanny Michaud sur le sexisme dans le langage

Turbulences en temps et en heure

Un Dom Juan moderne, punk et rock à la salle Vasse

Curieuse et entrepreneuse | Addict à beaucoup de choses comme les réseaux sociaux, les séries ou encore le chocolat | Ecolo engagée dans une démarche zéro déchet. • J'aime faire et découvrir mille choses à la fois. Théâtre, jeux vidéo, écologie, numérique, développement personnel, cinéma, féminisme, écriture, littérature sont autant de sujets qui me passionnent et m'intriguent.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017