6 mars 2018

Le téléphone portable des exilés, bien plus qu’une distraction

Dans un contexte géopolitique où les flux migratoires persistent à travers les époques, l’arrivée du téléphone portable a marqué un profond changement dans la manière de concevoir les migrations. C’est un aspect qui peut parfois être méconnu mais l’utilisation du téléphone portable peut avoir une signification particulière dans des situations où il devient le seul lien avec ce qu’on a de plus important. Les migrants ont pour la plupart parcouru des kilomètres pour échapper à un climat de guerre et de terreur en apportant avec eux un simple téléphone. A ce stade, nous ne parlons plus d’un objet mais d’un réel symbole puisqu’il peut être à l’origine d’une certaine forme de liberté.

Le téléphone portable des exilés, bien plus qu’une distraction

06 Mar 2018

Dans un contexte géopolitique où les flux migratoires persistent à travers les époques, l’arrivée du téléphone portable a marqué un profond changement dans la manière de concevoir les migrations. C’est un aspect qui peut parfois être méconnu mais l’utilisation du téléphone portable peut avoir une signification particulière dans des situations où il devient le seul lien avec ce qu’on a de plus important. Les migrants ont pour la plupart parcouru des kilomètres pour échapper à un climat de guerre et de terreur en apportant avec eux un simple téléphone. A ce stade, nous ne parlons plus d’un objet mais d’un réel symbole puisqu’il peut être à l’origine d’une certaine forme de liberté.

Le numérique et ses usages transforment de jour en jour les aspects de notre vie sociale en remettant en question nos habitudes de vie et notre manière d’agir et d’interagir avec ce qui nous entoure. Les nouvelles technologies intensifient les différentes connexions que l’on peut avoir à distance en raison du vaste flux de migrations actuelles, choisies ou non. Les notions de global et de local s’effacent donc au travers des technologies permettant ainsi aux migrants de faire le lien entre la France et la Syrie. C’est en interrogeant plusieurs migrants sur leurs pratiques et leurs usages du téléphone portable que nous avons pu en déduire qu’il était désormais indispensable à leur quotidien. Si on leur enlevait leur téléphone, certains réfugiés ressentiraient le fait d’être totalement coupés du monde et se retrouveraient seul.

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Le téléphone portable, outil précieux de navigation et d’information

Armando Babani/EPA

Lors de nos rencontres, il s’est avéré que tous les réfugiés possédaient un smartphone disposant d’une connexion internet ainsi que de multiples applications permettant des échanges avec leur entourage syrien ou français. Leur statut de réfugié est apparu tel un critère notoire au sein de leur usage puisque la joignabilité permanente envers la Syrie résonne comme une nécessité dans leurs discours. Chez certains réfugiés, le téléphone portable est un outil qui a permis le renforcement des liens envers leur entourage au vue de la situation en Syrie. Le sentiment d’angoisse peut même être ressenti par certains lorsque personne ne décroche. Cette connexion permanente au téléphone permet de créer un lien fort avec leur famille, comme s’ils partageaient le même quotidien, les mêmes déceptions, les mêmes victoires. C’est une question vitale qui donne du sens à leur migration. On peut aussi parler de phénomène de “coprésence” puis que le téléphone leur permet de conserver cette forme de “présence” auprès des leurs qui est primordiale. Dans son ensemble, l’utilisation du téléphone portable va modifier les relations sociales au niveau de la famille et des amis. Tout va passer par cet appareil sans pour autant que les parties ressentent les kilomètres qui les séparent.

Tous les réfugiés se mettent d’accord sur le fait que les abonnements diffèrent entre la France et la Syrie puisque l’abonnement syrien en ce qui concerne internet, dispose d’un fonctionnement nettement moins avantageux pour l’usager. La France leur a permis d’exercer leur liberté d’expression ainsi qu’une liberté dans le choix des applications utilisées, qui ne sont pas toujours autorisées en fonction de notre localisation en Syrie. Liberté pour laquelle il ne s’autorise pas à agir envers leur pays par risque de menaces envers leur famille toujours présente là-bas. Il faut savoir qu’une personne qui souhaite faire preuve de résistance sur les réseaux sociaux ne met pas seulement sa vie en danger, elle met aussi en danger celle de sa famille et ses voisins. Plutôt dissuadant, vous ne pensez pas ?

Par ailleurs, on a pu s’apercevoir au cours de nos divers entretiens que le téléphone portable en tant qu’outil de socialisation, était davantage une particularité selon les individus qu’une généralité. Plusieurs critères tels que la classe sociale, les moyens financiers ainsi que la nature de la migration, peuvent interférer dans l’échange avec l’autre. On constate donc que la nationalité du réfugié n’a pas d’importance mais que les motifs de la migration prennent une place plus conséquente dans l’utilisation du portable. Certains réfugiés restent en permanence connectés aux réseaux sociaux sans prendre un instant pour essayer de se familiariser avec ce qui l’entoure. Le téléphone crée alors une zone de confort qui les raccroche à leurs familles et qui ne les confronte pas à la réalité.

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A la frontière gréco-macédonienne, une station pour recharger son mobile

Kay Nietfeld/EPA

Les points de recharge sont des endroits de vie à part entière. Tout le monde vient échanger sur son parcours, sur sa migration, sur sa famille en attendant que son téléphone soit rechargé. On pourrait croire que cela n’a aucune importance, nous rechargeons tous notre portable sans forcément y prêter attention. Pour eux c’est une question de survie. La valeur des choses n’est pas la même suivant d’où l’on vient.
Une application a été créée sous le nom d’ “info-aide” traduite dans plusieurs langues, qui permet aux migrants de trouver des informations utiles en temps réel suivant le pays où ils arrivent. Cette application peut les renseigner sur l’ouverture ou la fermeture de certaines frontières, sur les démarches administratives à effectuer ainsi que sur les endroits où ils peuvent se loger. Application primordiale lorsque notre vie est en jeu à chaque kilomètre.

C’est par ces échanges que nous avons pu découvrir le téléphone n’ont plus comme un simple objet mais avant tout comme un moyen de créer un réel espace de liberté. Dans des pays où la liberté d’expression est bafouée et que la survie devient le mot d’ordre, le téléphone portable apparaît comme un échappatoire, un espoir qu’un autre quotidien existe.

Passionnée par les sujets d’actualité, j’attache de l’importance à informer et à sensibiliser sur des histoires méconnues. J’aime découvrir et appréhender le monde qui m’entoure par des rencontres, des partages et des parcours de vie.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017