Le numérique et ses usages transforment de jour en jour les aspects de notre vie sociale en remettant en question nos habitudes de vie et notre manière d’agir et d’interagir avec ce qui nous entoure. Les nouvelles technologies intensifient les différentes connexions que l’on peut avoir à distance en raison du vaste flux de migrations actuelles, choisies ou non. Les notions de global et de local s’effacent donc au travers des technologies permettant ainsi aux migrants de faire le lien entre la France et la Syrie. C’est en interrogeant plusieurs migrants sur leurs pratiques et leurs usages du téléphone portable que nous avons pu en déduire qu’il était désormais indispensable à leur quotidien. Si on leur enlevait leur téléphone, certains réfugiés ressentiraient le fait d’être totalement coupés du monde et se retrouveraient seul.
Lors de nos rencontres, il s’est avéré que tous les réfugiés possédaient un smartphone disposant d’une connexion internet ainsi que de multiples applications permettant des échanges avec leur entourage syrien ou français. Leur statut de réfugié est apparu tel un critère notoire au sein de leur usage puisque la joignabilité permanente envers la Syrie résonne comme une nécessité dans leurs discours. Chez certains réfugiés, le téléphone portable est un outil qui a permis le renforcement des liens envers leur entourage au vue de la situation en Syrie. Le sentiment d’angoisse peut même être ressenti par certains lorsque personne ne décroche. Cette connexion permanente au téléphone permet de créer un lien fort avec leur famille, comme s’ils partageaient le même quotidien, les mêmes déceptions, les mêmes victoires. C’est une question vitale qui donne du sens à leur migration. On peut aussi parler de phénomène de “coprésence” puis que le téléphone leur permet de conserver cette forme de “présence” auprès des leurs qui est primordiale. Dans son ensemble, l’utilisation du téléphone portable va modifier les relations sociales au niveau de la famille et des amis. Tout va passer par cet appareil sans pour autant que les parties ressentent les kilomètres qui les séparent.
Tous les réfugiés se mettent d’accord sur le fait que les abonnements diffèrent entre la France et la Syrie puisque l’abonnement syrien en ce qui concerne internet, dispose d’un fonctionnement nettement moins avantageux pour l’usager. La France leur a permis d’exercer leur liberté d’expression ainsi qu’une liberté dans le choix des applications utilisées, qui ne sont pas toujours autorisées en fonction de notre localisation en Syrie. Liberté pour laquelle il ne s’autorise pas à agir envers leur pays par risque de menaces envers leur famille toujours présente là-bas. Il faut savoir qu’une personne qui souhaite faire preuve de résistance sur les réseaux sociaux ne met pas seulement sa vie en danger, elle met aussi en danger celle de sa famille et ses voisins. Plutôt dissuadant, vous ne pensez pas ?
Par ailleurs, on a pu s’apercevoir au cours de nos divers entretiens que le téléphone portable en tant qu’outil de socialisation, était davantage une particularité selon les individus qu’une généralité. Plusieurs critères tels que la classe sociale, les moyens financiers ainsi que la nature de la migration, peuvent interférer dans l’échange avec l’autre. On constate donc que la nationalité du réfugié n’a pas d’importance mais que les motifs de la migration prennent une place plus conséquente dans l’utilisation du portable. Certains réfugiés restent en permanence connectés aux réseaux sociaux sans prendre un instant pour essayer de se familiariser avec ce qui l’entoure. Le téléphone crée alors une zone de confort qui les raccroche à leurs familles et qui ne les confronte pas à la réalité.
Les points de recharge sont des endroits de vie à part entière. Tout le monde vient échanger sur son parcours, sur sa migration, sur sa famille en attendant que son téléphone soit rechargé. On pourrait croire que cela n’a aucune importance, nous rechargeons tous notre portable sans forcément y prêter attention. Pour eux c’est une question de survie. La valeur des choses n’est pas la même suivant d’où l’on vient.
Une application a été créée sous le nom d’ “info-aide” traduite dans plusieurs langues, qui permet aux migrants de trouver des informations utiles en temps réel suivant le pays où ils arrivent. Cette application peut les renseigner sur l’ouverture ou la fermeture de certaines frontières, sur les démarches administratives à effectuer ainsi que sur les endroits où ils peuvent se loger. Application primordiale lorsque notre vie est en jeu à chaque kilomètre.
C’est par ces échanges que nous avons pu découvrir le téléphone n’ont plus comme un simple objet mais avant tout comme un moyen de créer un réel espace de liberté. Dans des pays où la liberté d’expression est bafouée et que la survie devient le mot d’ordre, le téléphone portable apparaît comme un échappatoire, un espoir qu’un autre quotidien existe.