2 juillet 2019

Information sur Internet : Les jeunes sous influence

Les jeunes sont connectés en permanence. Internet est un outil facile, gratuit et rapide pour diffuser, publier et télécharger de l'information mais tout n'est pas bon à prendre. Les jeunes, souvent en quête de sens ou d'une cause à défendre, peuvent être sensibles à certains discours haineux ou racistes. De nombreux forums, sites ou vidéos Youtube propagent des idées extrémistes, xénophobes, misogynes, homophobes. Nous ne pouvons ignorer ce phénomène et laisser les jeunes sans formation.

Information sur Internet : Les jeunes sous influence

02 Juil 2019

Les jeunes sont connectés en permanence. Internet est un outil facile, gratuit et rapide pour diffuser, publier et télécharger de l'information mais tout n'est pas bon à prendre. Les jeunes, souvent en quête de sens ou d'une cause à défendre, peuvent être sensibles à certains discours haineux ou racistes. De nombreux forums, sites ou vidéos Youtube propagent des idées extrémistes, xénophobes, misogynes, homophobes. Nous ne pouvons ignorer ce phénomène et laisser les jeunes sans formation.

« Comme chacun d’entre nous, les jeunes n’ont pas vraiment d’autre choix que d’apprendre à décrypter le numérique. Dans un monde résolument de plus en plus numérique, ou tout du moins, de plus en plus technologique, il paraît inévitable de se confronter à cette nouvelle norme », nous explique Thomas, intervenant de l’association nantaise PING qui se mobilise pour une plus grande compréhension de l’espace numérique. Elle invite les citoyens à se réapproprier les technologies qui les entourent. Nous vous proposons une interview de Thomas en fin d’article.

Une information rapide et superficielle

Internet nous habitue à l’immédiateté. On attend qu’ Internet nous distribue des informations toutes faites comme dans un magasin. Sur les réseaux sociaux, tout sujet ne retient l’attention plus de quelques secondes. Il n’y a plus d’analyse, ni de recul, seul compte le nombre de « like ». Aujourd’hui on trouve tout et n’importe quoi sur la toile. L’absence de censure et l’anonymat des auteurs font que n’importe qui peut exprimer ses idées. L’information donnée est toujours subjective et parfois fausse voire abracadabrante.

«  Cela fait trois fois que j’entends des personnes dire que les traces que laissent les avions sont la preuve que nous sommes espionnés. Ils nous empoisonneraient aussi. Comment peut-on croire une chose pareille ? Je suis sûre que c’était une fake news des réseaux sociaux », témoigne Laurie 26 ans.

De plus, tous les autres médias se conforment aux codes des réseaux sociaux. Certains magazines réduisent la taille de leur texte et les publicités utilisent les hashtags et pouces bleus, codes d’Instagram, Twitter et Youtube, pour faire vendre. Cela a des conséquences sur le processus de la pensée.

Une baisse de concentration inévitable

L’impact qu’a Internet sur notre capacité de concentration et notre manière de penser est considérable. Nicholas Carr, auteur de Big Switch et de Does IT matter ?, part de ce constat dans son article : « Est-ce que Google nous rend idiot ? »

« Ces dernières années, j’ai eu la désagréable impression que quelqu’un, ou quelque chose, bricolait mon cerveau, en reconnectait les circuits neuronaux, reprogrammait ma mémoire. Mon esprit ne disparaît pas, je n’irai pas jusque là, mais il est en train de changer. Je ne pense plus de la même façon qu’avant. C’est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. Mon esprit était happé par la narration ou par la construction de l’argumentation, et je passais des heures à me laisser porter par de longs morceaux de prose. Ce n’est plus que rarement le cas. Désormais, ma concentration commence à s’effilocher au bout de deux ou trois pages. Je m’agite, je perds le fil, je cherche autre chose à faire. J’ai l’impression d’être toujours en train de forcer mon cerveau rétif à revenir au texte. La lecture profonde, qui était auparavant naturelle, est devenue une lutte » , explique Nicholas Carr.

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Internet a des effets profonds sur la cognition. Cela est dû au fait qu’Internet fait partie intégrante de notre vie et que nous nous informons plus que par cette voie.

Mâles Alpha

Les jeunes cherchent souvent des réponses sur Internet. Youtube est un des médias les plus visionnés. Des préadolescents aux jeunes adultes, les recherches les plus fréquentes sont : « Comment embrasser ? », « Comment séduire l’élu de votre cœur », «  Comment draguer ? ». Les vidéos en couple sont à la mode avec les FAQ amoureux. Le phénomène des Mâles Alpha, apparu récemment, a le vent en poupe. Le Mâle Alpha remet au goût du jour les valeurs et rôles traditionnels en les exagérant. Sur Youtube, on explique aux jeunes garçons comment ne pas montrer ses émotions, comment avoir une hygiène de vie impeccable pour devenir physiquement viril, comment draguer le plus de femmes dans la rue. Les femmes n’étant que des trophées.
Les Youtubeurs Alexandre Cormont, Jacques le solide ont de nombreux followers et La Gouaille organisent même des conférences.

«  J’ai remarqué que mon ami Arnaud a changé, je ne le reconnais plus. C’était un garçon gentil et simple mais maintenant il pense différemment. Il regarde des vidéos incitant à se comporter en « Mâles Alpha ». Il visionne aussi des vidéos d’acteurs pornographiques expliquant comment être un vrai mec. Il m’a blessée en me disant qu’une femme ne sert qu’à avoir un enfant et qu’il devait multiplier les conquêtes », raconte Sarah 24 ans.

Jeuxvideo.com

Arnaud, cité plus haut par Sarah, est ce qu’on appelle un « geek ». Il joue régulièrement en ligne et voudrait même devenir un gameur professionnel. Les jeunes hommes qui se réfugient sur les jeux en ligne sont souvent timides et peu sûrs d’eux. Ils ne correspondent pas aux stéréotypes de genre. Ces jeunes hommes par frustration adhèrent au phénomène du Mâle Alpha.

Tous les sites de jeu proposent des forums de discussion où les jeunes posent des questions parfois existentielles, lancent des débats… notamment jeuxvideo.com. Il est le site le plus actif de France avec trois millions d’inscrits. Malheureusement, son forum «  les 18-25 ans » est aussi connu pour son contenu raciste, antisémite, xénophobe, misogyne.

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« Je suis professeure documentaliste dans un collège. J’anime des séances de jeu le vendredi après midi. Lors d’une de ces séances, un collégien a fait une blague antisémite devant le groupe. Je suis intervenue sur le champ en expliquant que c’était grave et puni par la loi. Un débat s’en est suivi avec les élèves. J’avais déjà remarqué que l’élève en question allait régulièrement sur internet au CDI. Je le voyais surfer sur le forum « 18-25 ans » du site jeuxvideo.com qui a mauvaise réputation. J’ai donc décidé de faire un signalement auprès de son professeur principal », témoigne Leila 25 ans.

Le cyberharcèlement, une arme pour l’extrême droite

Certaines personnes du forum « 18-25 » ne se contentent pas de propager des pensées racistes ou extrémistes, ils harcèlent aussi des militants anti-racistes, féministes et LGBT. Pour la majorité des utilisateurs de jeuxvideo.com, le féminisme, les luttes anti-coloniales ou LGBT menacent la liberté d’expression. Les valeurs qui se propagent dans les discussions sont essentiellement celles de l’extrême droite.

Anaïs Condomines et Corentin Durand, journalistes à LCI et Numerama, auteurs d’enquêtes sur le harcèlement de féministes ont été victimes de cyberharcèlement de la part des utilisateurs du forum, notamment en recevant des menaces de mort et de viol. Les usagers ont utilisé les données personnelles d’Anais Condomines pour l’inscrire sur des sites pornographiques.

Le numéro de portable « anti-relous », créé par deux militantes féministes et destiné à éduquer les auteurs de harcèlement, a également été assailli par le forum « 18-25 ans » avec l’envoi de plus de 20 000 SMS d’insultes.

Marchands de haine

Les mouvements d’extrême-droite prennent différentes formes et ne se réduisent plus à quelques skinheads. Ces formes sont plus insidieuses et envahissent la toile. Les jeunes deviennent une cible privilégiée pour les sites d’extrême droite. Ils sont plus faciles à influencer. Le plus connu de ces sites est « Français de Souche », dirigé par Pierre Sautarel, avec plus d’un million de visiteurs par an. Français de souche est une expression reprise par l’extrême-droite et les antisémites, voulant souligner pour eux la différence entre les Français nés en France de parents et ancêtres français et ceux dits « Français sur papiers ». Sur le site s’étalent des propos choquants et nauséabonds par centaines, déformant certains faits pour renforcer l’idéologie de l’extrême-droite.

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Pire encore, il existe aujourd’hui ce que l’on nomme « des marchands de haine », c’est à dire des gérants de sites de mouvements politiques extrémistes qui payent des jeunes garçons et filles pour publier des commentaires à caractère racistes, promouvant ainsi une « suprématie blanche ».

Catherine Blaya, autrice de Cyberhaine et professeure en sciences de l’éducation, a mené une enquête auprès de jeunes exposés à des sites haineux. D’après cette enquête, ils sont très actifs entre 14 et 16 ans sur Internet et connectés à 75 % d’entre eux plus de cinq heures par jour. Aucun constat n’a été fait sur leur origine sociale et économique et on compte autant de garçons que de filles. En revanche, les personnes concernées n’ont ni confiance dans les autres ni dans les institutions garantissant la démocratie.

Catherine Blaya rapporte les paroles du psychiatre Keith Cheng dans son ouvrage. Le professeur de médecine à l’université de l’Oregon analyse :

« Ceux qui se sentent isolés ou persécutés par leurs camarades d’école ou dans leur quartier, qui se sentent rejetés par leur famille, sont psychologiquement plus fragiles et peuvent développer un sentiment de puissance en rejoignant des sites haineux. »

Travailler son esprit critique

Albert Moukheiber, docteur en neurosciences sensibilise les jeunes à la façon dont on réfléchit ou prend une décision, et nous explique pourquoi on adhère facilement à certaines informations. Il nous incite à cultiver le doute et à se remettre en question.

Nous avons interviewé Thomas, intervenant de l’association PING à Nantes

FRAGIL : En quoi maîtriser le numérique est-il important pour les jeunes ?

THOMAS : Évoluer dans cet environnement numérique que l’on ne comprend pas ou peu remet en question notre pouvoir d’agir. En effet, il paraît difficile d’être en capacité d’agir dans un monde que l’on peine à comprendre. Pour autant « maîtriser » le numérique nous semble être une entreprise trop conséquente pour une seule et même personne, il faut déjà pouvoir définir à quel numérique on veut s’atteler, un terme utilisé aussi bien pour parler d’internet que de son PC, pour après s’orienter dans la compréhension d’une de ses composantes : informatique, algorithmique, internet, électronique, etc. sans compter tout ce que le numérique génère au niveau socio économique, politique, environnemental, etc…

FRAGIL :Étudions nous assez le numérique à l’école ?

THOMAS : Actuellement, il existe des écoles pour former des programmeurs qui travaillerons dans des entreprises qui développeront notre environnement numérique, mais tout cela se fait dans un cadre essentiellement privé et fermé, nous sommes loin d’impliquer les citoyens et citoyennes dans l’élaboration de cet environnement. L’apprentissage du numérique n’est pas accessible à tous !

FRAGIL : Aujourd’hui, les jeunes s’informent en premier lieu sur les réseaux sociaux, pensez-vous qu’il est facile pour eux de décrypter les informations ?

THOMAS : Ce que l’on nomme les réseaux sociaux sont généralement réduit à une poignée d’acteurs qui ne sont rien d’autres que des entreprises privées qui défendent des intérêts privés. Ces firmes ont pour modèle économique la valorisation des données de leurs utilisateurs auprès d’autres entreprises privées notamment afin de faire de la publicité ciblée. Il y a également d’autres intérêts en jeu au sein de ces réseaux sociaux comme on a pu le voir lors de certaines élections politiques ces derniers temps avec des questions d’ingérences extérieures. Gardons en tête déjà ces faits là pour relativiser la supposée neutralité de ces informations et de leur traitement.

FRAGIL : Pensez vous que des « fake news » puissent être dangereuses ?

THOMAS : Ce qui semble pernicieux est d’avoir des idées arrêtées et de ne pas prendre le temps d’en parler, de confronter ses idées avec d’autres, de croiser ses sources. Ce régime intensif de production d’informations erronées ou approximatives est une sorte de dommage collatéral de l’accélération générale du temps en partie due au numérique et aux réseaux sociaux. Invitons les jeunes à la lecture lente propre au papier, journaux, livres ou revues, pour retrouver la distance utile à la mise en perspective des informations que l’on glane. »

Sources et pour aller plus loin  :

Is Google Making Us Stupid ?, article de Nicholas Carr, revue, The Atlantic, 2008
Les comportements à risques des adolescents sur Internet, Seraphin Alava, Editions la Boite à Pandore, 2019
Cyberhaine, les jeunes et la violence sur Internet, Catherine Blaya, Nouveau Monde éditions, 2019
Manuel d’auto défense intellectuelle, Sophie Mazet, éditions Robert Laffont, 2015
Ping, association nantaise de sensibilisation aux questions numériques

Initiation à la communication : réalisation d'une affiche avec les jeunes des Deux Rives

Comment l'association Fragil peut-elle vous accompagner dans votre programme de SNT et de NSI ?

Jeune auteure de 23 ans, j'ai publié trois livres aux éditions Fabert : Et il me dit : "Pourquoi tu rigoles jamais Blanche ?", un récit-témoignage sur le harcèlement scolaire, "Chair et âme" qui traite d'hypersexualisation de la société, et "Luciole", une histoire d'amour entre deux adolescents. J'écris sur mes propres expériences et aborde dans mes livres les problèmes de société qui touchent les jeunes d'aujourd'hui. Je fais également des interventions sur les thèmes de l'hypersexualisation, du consentement sexuel etc

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017