13 octobre 2020

« Un pays qui se tient sage » à Nantes, le film sur les violences policières résonne

Jeudi 17 septembre 2020, au cinéma le Concorde à Nantes a eu lieu l’avant première du film du réalisateur David Dufresne « Un pays qui se tient sage ». Cette soirée était organisée en partenariat avec la librairie café « Les bien-aimés », La ligue des Droits de l’Homme et l’Observatoire Nantais des Libertés. La rédaction de Fragil était présente. C’est après la projection du film que David Dufresne et les nantais très émus par le film ont pu échanger sur la question des violences policières.

« Un pays qui se tient sage » à Nantes, le film sur les violences policières résonne

13 Oct 2020

Jeudi 17 septembre 2020, au cinéma le Concorde à Nantes a eu lieu l’avant première du film du réalisateur David Dufresne « Un pays qui se tient sage ». Cette soirée était organisée en partenariat avec la librairie café « Les bien-aimés », La ligue des Droits de l’Homme et l’Observatoire Nantais des Libertés. La rédaction de Fragil était présente. C’est après la projection du film que David Dufresne et les nantais très émus par le film ont pu échanger sur la question des violences policières.

Écrivain, réalisateur et journaliste anti violences policières, David Dufresne vient de réaliser « Un pays qui se tient sage », son premier long métrage au cinéma, soutenu par la Quinzaine des réalisateurs de Cannes 2020. Pour lui, Nantes est une ville incontournable de par ses actualités de violences policières. Là où « Allo Place Beauvau » (Twitter) provoque le débat, son livre « Dernière Sommation » est sa vision personnelle de la question, le film quant à lui a pour rôle de nourrir le débat en faisant des salles de cinéma un lieu propice à l’échange et à la réflexion.

 « C’est complètement fou que les salles soient pleines de jour en jour, ce n’est pas pour le film, c’est pour la question. Il y a trois ou quatre ans il n’y aurait pas eu cette tournée là ! C’est bien qu’il y a quelque chose qui s’est passé. » 

Militants de la Ligue des Droits de l’Homme, représentants de l’Observatoire Nantais des Libertés, acteurs d’association d’éducation populaire, manifestants, témoins ou victimes, journalistes, féministes, étudiants ou simples spectateurs, c’est un panel assez large de nantais qui répond présent au Concorde.

C’est après la projection du film que David Dufresne, heureux de tant de participation, arrive dans la salle. Le débat commence, chacun s’exprime, témoigne, pose des questions, s’informe. Les deux associations partenaires se font connaître et partagent leur analyse. On ressent beaucoup d’émotions lors des témoignages.

Le point sur la situation à Nantes 

Pour Jean-Luc Landas, militant à la LDH et acteur de la défense des victimes de violences policières, Nantes est un “laboratoire d’expérimentation” et d’utilisation de nouvelles méthodes de surveillance policière individuelle .

Deux spectatrices témoignent avoir peur maintenant d’aller manifester, de sortir dans la rue, une d’elle s’est retrouvée dans une manifestation avec un enfant dans les gaz. « Il est courant dans les manifestations de se faire charger et de se faire coincer dans une petite rue puis de se faire gazer. Nous avons besoin, nous les jeunes, de nous retrouver entre personnes qui ont le même avis et de pouvoir nous exprimer »,confie Maeva.

Elle pense que choisir de rester chez soi équivaut à de l’autocensure et que cela empêche d’avancer. Aussi, elle s’interroge sur la confiance en la police française qui se réduit. Une police devenue violente physiquement et psychologiquement (tirs à vue, délits de faciès, propos racistes, sexistes…).

« J’ai subi des violences psychologiques, des policiers qui m’ont mal parlé et bloqué sans raison, sans explication », s’insurge Deo Gratias NIYONGIFA, étudiant et collaborateur pour la nouvelle émission « La voix des luttes » de Prun’. 

C’est au tour d’une militante féministe, qui témoigne en pleurant, qu’après avoir rétorqué sèchement aux propos sexistes et violents d’un policier lors d’un contrôle, se retrouve en procès, accusée de violences. Elle s’interroge sur comment se sortir de ce cercle vicieux haineux.

La volonté des nantais à informer

Les représentants de l’Observatoire Nantais des Libertés (qui regroupe 12 associations dont le Syndicat des Avocats de France et la Ligue des Droits de l’Homme) rapporte la volonté des nantais et nantaises à informer et à réagir sur les violences policières.

« C’est grâce aux vidéos de smartphones que l’on a pris conscience collectivement du dérapage, il y a une véritable nécessité citoyenne qui voit le jour. »

Il faut rappeler que l’ONL a pour rôle d’être une vigi-citoyenne de ce qui se passe à Nantes dans le cadre des manifestations. Il recueille des vidéos dans les rues et confirme que les nantais aspire à une véritable réflexion, ce qui représente un lieu d’espoir.

« Nous en tant qu’observatoire, on se dit qu’il faut dépasser l’observation et qu’il faut une autre police et une autre façon de gérer la police. »

Quant à Chantal, femme d’un militant de la LDH à Nantes – là en tant que simple spectatrice – affirme clairement que c’est grâce à la volonté des nantais d’informer, en partageant leurs vidéos sur les réseaux sociaux, qu’elle a été sensibilisée au sujet.

David Dufresne (gauche) accompagné d’un membre de l’équipe du Concorde (droite). ©C.Bled

De fortes réactions aux propos du ministre de l’intérieur lors des échanges

David Dufresne, se dit très préoccupé des propos récents de Gérald Darmanin qui selon ses dires, met en danger la liberté de l’information. En effet, alors qu’il venait clôturer le 9e congrès de l’UNSA Police, Gérald Darmanin a annoncé jeudi 10 septembre 2020, sa volonté d’interdire aux télévisions et aux réseaux sociaux de diffuser, sans les flouter, « des images montrant les visages » des policiers en opération, et de permettre la diffusion des vidéos réalisées par la police.

Maeva, spectatrice, considère que ces propos additionnés à l’état d’urgence deviennent quelque chose de systémique. David Dufresne rétorque que c’est l’omerta qui devient un système. Pour lui, cette omerta proposée par le ministre de l’Intérieur met en danger la liberté de l’information et la possibilité de faire évoluer la situation. Il ajoute également que malgré le fait qu’il n’y ait pas de rapport entre le film et la proposition du nouveau ministre, il considère que s’il n’y a plus de film, il n’y a plus de possibilité de dialogue, il n’y a plus de faits et on retombe dans l’oubli.

Mais il conclut avec espoir : « Heureusement qu’il y a des observatoires, heureusement qu’il y a des ligues et des syndicats d’avocats de France et de la magistrature, et puis il y a des manifestants et des gens qui filment, il y a des films et des cinémas pour les accueillir », mais il admet qu’avec les propos du ministre et l’embrayage des médias, on tend à revenir au chantage « êtes vous pour la police ou le chaos ? ». Quant à Jean Luc Landas (LDH), lui, poursuit son analyse, affirmant que tout cela n’est que le résultat d’une incompréhension entre policiers et Gilets Jaunes par les institutions. Il partage ces peurs pour la démocratie.

David Dufresne (droite). ©Fragil

Des solutions sont-elles à envisager ou existent-elles déjà ? 

Deo Gratias NIYONGIFA est subjugué de sentir David Dufresne encore optimiste sur la question des violences policières. Pour lui, le message à faire passer est qu’il ne s’agit pas tant de pointer du doigt l’ennemi mais plutôt d’envisager des solutions.

Finalement, analyses, constats, remarques et témoignages fusent mais il est difficile pour le public présent d’avoir le recul nécessaire à une réflexion plus aboutie. La salle semble encore sous le choc du film et n’a pas pu aller jusqu’à proposer des solutions, alors que c’était le but de la soirée. Ce n’est qu’à la toute fin des échanges que David Dufresne pour conclure évoque des pistes non abordées dans la salle et remercie les associations partenaires nantaises.

 « Après, des solutions existent, dans les débats, il y a des gens qui proposent la fraternisation avec les policiers, la rémission ou la réforme de la police, d’autres proposent de mieux former la police… il y a beaucoup de perspectives en fait. » 

Cette soirée a été un formidable moment de partage mais il a semblé que l’effet du film et le format global de l’événement n’aient pas laissé assez de place à une réflexion plus profonde, ni à un réel débat, du moins dans ce groupe. Le film est sorti le 30 septembre et certaines projections sont accompagnées à nouveau de débats, il n’est donc pas trop tard pour y participer. À suivre…

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Punk is not dead au Grand T

Ex parisienne, nantaise depuis quatre ans, Cécile Bled est passionnée de communication et de culture. C’est par besoin de se rapprocher des nantais et de leur être utile qu’elle choisi Fragil pour s’exercer au journalisme et partager ses savoir-faire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017