4 octobre 2023

Un jeu de cartes pour décrypter le sexisme dans les médias

Dans sa mission d'éveil à l'esprit critique médiatique, Fragil s'est doté d'un nouvel outil d'éducation populaire. Avec plusieurs usages possible ce jeu de cartes, développé par une animatrice de l'association nantaise, vise avant tout à décrypter les ressorts sexistes présents hier et aujourd'hui dans les médias français.

Un jeu de cartes pour décrypter le sexisme dans les médias

04 Oct 2023

Dans sa mission d'éveil à l'esprit critique médiatique, Fragil s'est doté d'un nouvel outil d'éducation populaire. Avec plusieurs usages possible ce jeu de cartes, développé par une animatrice de l'association nantaise, vise avant tout à décrypter les ressorts sexistes présents hier et aujourd'hui dans les médias français.

En tant qu’association d’éducation aux médias et aux pratiques numériques, Fragil explore de nombreux domaines à travers des ateliers usant de méthodes d’éducation populaire. Si l’accompagnement à la création de médias, l’étude des modèles économiques des réseaux sociaux ou encore la sensibilisation au cyberharcèlement sont parmi les thématiques les plus abordées en atelier, celle du traitement discriminatoire de l’information restait à explorer.

Le sexisme, une attitude discriminatoire qui imprègne la presse

En tant qu’animateur et animatrice d’atelier d’éducation aux médias en direction, notamment, d’élèves de collèges et lycées, il nous a semblé nécessaire de produire un outil visant à éveiller un esprit critique concernant la représentation des femmes dans les médias. Peu et mal représentées, les femmes et personnes sexisées font l’objet d’un traitement souvent stéréotypé, voir discriminant. C’est à travers les divers témoignages des jeunes rencontré·es en ateliers qu’il nous a paru finalement essentiel de redéfinir ensemble le poids de la société patriarcale dans les productions médiatiques, et ainsi questionner la place actuelle et future des femmes dans cette sphère toujours dominée par les hommes.

Dans son rapport annuel, l’Arcom témoigne de ces inégalités de représentations. Si les femmes représentent près de la moitié des personnes présentes à l’antenne (46% à la tv et 42% en radio), elles ne représentent cependant que 36% du temps de parole. Les femmes sont présentes mais la parole leur est donc moins donnée, voir confisquée (le manterrupting). Lorsqu’elles sont visibles, elles sont également moins invité·es en tant qu’expertes mais plus en tant que consommatrice ou travailleuses.

Au niveau économique et politique, les grands groupes de presse sont majoritairement possédés et dirigés par des hommes. D’après l’économiste Julia Cagé dont la parole est reprise dans le documentaire « Média Crash qui a tué le débat public? »,  entre 80 et 90% , des médias français sont détenus par 9 milliardaires ( Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère, Bernard Arnault, Daniel Kretinsky, Xavier Niel, Martin Bouygues, Patrick Drahi, la famille Dassault et François Pinault). Fondés et/ou détenus par les hommes, les médias français laissent peu de place aux femmes parmi les journalistes phares, ses invité·es politiques ou encore ses « grand·es patron·es ». De ce manque de diversité découle un traitement de l’actualité et de l’information patriarcale, c’est à dire le plus souvent empreint du « male gaze » ou regard masculin. C’est ce traitement différencié, aux biais et comportements sexistes, que nous avons souhaité questionner et critiquer via ce nouvel outil d’éducation populaire.

Un jeu de carte pour distribuer des « bons » points

En s’inspirant des cartes à imprimer « points biais et sophisme » développé par Un Monde Riant en 2016, l’idée de la distribution de bons points est venue s’ajouter à l’envie de lutter contre le sexisme dans les médias. Concernant le fond de ces cartes, nous nous sommes inspirés du travail de Rose Lamy sur son compte instagram Préparez-vous pour la bagarre et son essaie Défaire le discours sexiste dans les médias. L’autrice y décompte et analyse les le traitement médiatique des faits divers ou actualités traitant des femmes, en y relevant les mécanismes sexistes.

Dans ce jeu de cartes, les exemples sont issus d’un travail de recherche et de veille informationnelle, quant aux noms des points et définitions elles ont été imaginées par l’équipe de Fragil. Ces cartes sont libres de droit, modifiables et adaptables. Elles s’accompagnent d’un dossier de « unes » sélectionnées d’après leur traitement problématique de l’information. À vous de retrouver et de débattre de quels points « va » avec chaque une !

Exemple de déroulé d’atelier à animer :

  • Laissez les unes de médias à disposition pour que les participant·es puissent prendre le temps de les observer sans nul autre consigne
  • Mettre à disposition par la suite un (ou plusieurs selon le nombre de participant·es) tas de points anti-sexisme, laissez le public les regarder et les commenter
  • Proposer aux participant·es d’apposer les bons points face aux unes qui semblent correspondre. Il est ici essentiel de préciser que tous les points sont discutables, les unes n’étant pas forcément problématiques ou pas pour chacun·e.
  • Tout l’intérêt de ce jeu est de débattre et d’essayer d’argumenter les liens ou l’absence de liens entre les bons points et les unes.

Chez Fragil nous attribuons par exemple à la une ci-dessous les points  « homme de l’ombre », « superman », « euphémisme » et « banque d’image ». En effet l’information principale de cet article recentre le sujet autour du père de la nouvelle née qui aurait été « mise au monde par son papa ». Une tournure qui place la mère et donc l’accouchée en second plan et survalorise le rôle du père, « uniquement » aidant dans cette accouchement. L’homme est alors mis en avant, qualifié de « héros », prend même la place de la véritable personne concernée qui n’est d’ailleurs ni citée dans le titre ou le chapô de l’article. La posture choisie va jusque dans le choix de l’image, sans doute mise en scène, où le père tient l’enfant dans ses bras tandis que la mère tient.. un chien.

Ces 4 points attribués relèvent bien d’une approche subjective de l’information, certain·es personnes n’interpréteront ou ne verront pas forcément les ressorts de ce traitement sexiste de l’information.

source : Le Journal du Pays Yonnais

Les liens des cartes « points anti- sexisme » : planche de cartes imprimables et dossier de cartes imprimables à l’unité.

Le lien vers les dossier des unes.

Trois des 24 points (à ce jour) proposés par Fragil :

Curieuse de tout et surtout de l'info, Romane (se) pose beaucoup de questions. Salariée de Fragil, elle écrit sur l'éducation aux médias et la musique actuelle !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017