4 décembre 2017

Pris de Vertiges au Grand T

Le Grand T a accueilli en novembre pour cinq représentations le spectacle Vertiges, produit en janvier 2017 par MC2 Grenoble, écrit et mis en scène par Nasser Djemaï. Le spectacle sera joué en décembre dans le département, à Vallet, Châteaubriant, Machecoul et Redon.

Pris de Vertiges au Grand T

04 Déc 2017

Le Grand T a accueilli en novembre pour cinq représentations le spectacle Vertiges, produit en janvier 2017 par MC2 Grenoble, écrit et mis en scène par Nasser Djemaï. Le spectacle sera joué en décembre dans le département, à Vallet, Châteaubriant, Machecoul et Redon.

Troisième volet d’une trilogie dont les premiers épisodes étaient « Une étoile pour Noël » (2006 , sur la complexité de la double culture) et « Invisibles »  ( 2011, sur le sort des vieux chibanis) Vertiges nous fait partager le quotidien d’une famille vivant dans une cité qui ne cesse de se dégrader : commerces de proximité qui disparaissent, jeunes désœuvrés, dégradation des logements, disparition des commerces de proximité, refuge dans la religion. Au-delà des polémiques et simplifications binaires, Nasser Djémaï nous propose un voyage au cœur d’une réalité méconnue et forcément fantasmée, au cœur d’une famille confrontée, somme toute, aux mêmes joies et tristesses que n’importe quelle autre famille amenée à se battre pour survivre. Une pièce profondément humaniste et généreuse, entre réalisme et onirisme qui active le levier intrinsèque de l’art dramatique : donner à voir la complexité de notre petite humanité .

Fragil y était et a rencontré Clémence Azincourt qui interprète le rôle de Mina, la sœur dans la fratrie de trois enfants. Elle a accepté de nous faire quelques confidences sur la genèse de la pièce, son travail avec Nasser Djémaï , et le métier de comédien aujourd’hui.

FRAGIL : Vertiges est donc le troisième volet de ce qu’on pourrait appeler la saga de Nasser Djemaï ?
CLEMENCE AZINCOURT : Oui, en effet. Même si Nasser n’avait pas forcément au départ l’intention d’en faire une trilogie. C’est en regardant son travail à postériori qu’il s’est dit qu’il y avait une vraie continuité : des spectacles un peu autobiographiques, avec les mêmes problématiques autour du père et de la mort du père, des familles d’origine maghrébines en France aujourd’hui et ce que cette identité comporte comme questionnements.

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Vertiges2©JeanLouisFernandez025

Jean-Louis Fernandez

FRAGIL : Nasser Djémaï parle à propos des quartiers d’univers parallèles et de fantasmes projetés. Adhérez-vous à cette vision ?
CLEMENCE AZINCOURT : Nasser s’intéresse vraiment au travail autour de la langue comme auteur. On le voit par les personnages des parents qui sont un peu entre deux, porteurs d’une langue franco-arabe inventée. Il aime travailler la langue pour s’éloigner des clichés. Il montre en même temps ce qui pourrait être un cliché et ce en quoi ça ne l’est pas. A chaque fois qu’il aborde une problématique il essaie de faire en sorte qu’il y ait deux points de vue car il dit ne pas avoir à délivrer de message ou de vérité. Il essaie au maximum de jouer avec ça et dans l’écriture et dans la mise en scène : le cliché pour mieux s’en éloigner. Les banlieues sont nécrosées par tout un tas de clichés véhiculés par des gens qui n’y vivent pas, qui ne regardent que la télé. Nasser y a vécu, c’était son enfance dans les années 80. Quand il est arrivé dans ce quartier c’était génial par rapport à l’endroit où il vivait avant, il l’a vécu comme une sorte de libération : l’appartement, le chauffage, l’eau courante, les baies vitrées qui dans la banlieue de Grenoble donnent sur la montagne. Pour les familles c’était une sorte d’Eldorado, tout le monde se connaissait, c’était joyeux, très familial. Depuis cela s’est dégradé.

Ce qui transparait au final c’est que cette famille ressemble à beaucoup d’autres, avec ses tensions, ses joies, la violence larvée et les moments fusionnels.
De toute façon c’est une famille comme les autres. Dans « Une étoile pour Noël » Nasser joue le petit Nabil et tous les autres personnages, dans « Invisibles » c’est la génération du père et là il a réuni toutes les générations. Réunir plusieurs générations est forcément attrayant. Il n’y a pas les enfants du fils ainé, Nadir, dans le spectacle mais ils sont quand même évoqués. Les histoires de famille sont toujours savoureuses, elles font toujours écho à chacun, peu importe l’âge des spectateurs, tout le monde peut s’identifier. Certains spectateurs nous disent qu’ils ont vécu la même chose dans leur famille à la campagne, lorsqu’ils sont partis faire leurs études et revenus en décalage avec le vécu de leurs parents. Il s’agit de parler de l’héritage qu’on a reçu quel qu’il soit, qu’on a refusé, contre lequel on s’est construit et ce qui se passe lorsqu’on y revient, comment on réagit, comment on arrive à être étranger dans sa propre famille, ce qu’on en garde lorsque les parents vieillissent. La pièce raconte aussi des histoires de ruptures : du père avec son pays d’origine, de la mère avec sa liberté de femme, du fils avec sa famille. Et la mort qui est l’ultime rupture…mais il y a toujours la vie , la vie… c’est ce qu’on a essayé de montrer.

« Les histoires de famille sont toujours savoureuses, elles font toujours écho à chacun, peu importe l’âge des spectateurs, tout le monde peut s’identifier.

FRAGIL : Et comment avez-vous abordé le rôle de Mina, la jeune sœur joyeuse et moderne ? En quoi ce rôle est-il différent de celui de Linda dans la pièce « Immortels » que vous avez interprété en 2013 ?
CLEMENCE AZINCOURT : Ces deux rôles n’ont rien à voir. Le rôle précédent était plus secondaire. C’est ma deuxième collaboration avec Nasser, donc je l’ai abordé avec plus d’assurance, mais je continue à chercher, ce n’est pas une évidence. Pour le spectacle précédent nous avions tous plus au moins le même âge, une bande de jeune, il y avait un petit effet miroir entre le spectacle et ce qu’on vivait dans la troupe. Pour ce spectacle , nous n’avons pas les mêmes âges, les mêmes expériences , ce qui rend l’approche du rôle différente.

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Jean-Louis Fernandez

FRAGIL : Nasser Djemaï dit avoir fait des recherches, s’être documenté pour aborder ce spectacle. L’ avez-vous fait de votre côté ?
CLEMENCE AZINCOURT : Non, je me suis laissé porter. Il m’a expliqué que c’était le rôle de sa sœur et que cela m’irait bien. Il a rencontré des habitants de foyers et lu des études sociologiques. Nous avons ensuite fait un travail dramaturgique important autour du texte. Il était volumineux au départ, nous l’avons pas mal coupé. Autour de la table, nous avons décidé qu’il y avait trop de happy ending : Mina partait faire le tour du monde avec la japonaise, Hakim trouvait un travail. Nasser a cette grande qualité de penser qu’il n’y a pas de personnage secondaire. Il veut faire exister chacun mais il fallait resserrer l’intrigue autour du père et du fils pour que ça soit solide dramaturgiquement. On a été obligé de couper des passages superbes qu’on adorait.

« Le théâtre est constitutif de l’humanité. Quoi qu’il arrive on continuera toujours à raconter des histoires. »

FRAGIL : La pièce véhicule un message anti-clichés. Pensez-vous que le théâtre a le pouvoir de changer les choses ?
CLEMENCE AZINCOURT : Le théâtre est constitutif de l’humanité. Quoi qu’il arrive on continuera toujours à raconter des histoires. Le théâtre n’a pas la portée du cinéma en termes d’audience, de public. Ca ne changera rien, ne bouleversera rien. Mais c’est important de continuer à le faire , car il est fait par des gens passionnés et rien ne nous oblige jamais à le faire. On se bat tous pour faire ce métier avec les aléas de la réalité de ce métier.

FRAGIL : Vous avez une expérience d’assistante à la mise en scène, en particulier pour l’opéra avec Jean François Sivadier dans Eugène Onéguine. Avez-vous participé à la mise en scène pour ce spectacle ?
CLEMENCE AZINCOURT : Non, mais on parle beaucoup pendant le travail de création de la pièce. Même si Nasser sait ce qu’il veut, il y a toujours le besoin de partager, de s’interroger. Parfois les choses sont claires dans la tête, écrites sur le papier mais ne fonctionnent pas sur le plateau. Donc on s’arrête, on discute, on y revient, on change le texte, on essaie différentes entrées, sorties… comme c’est une écriture contemporaine, le travail d’ajustement est possible. Pour la globalité cela reste le travail du metteur en scène.

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Jean-Louis Fernandez

FRAGIL : Quel est votre moteur ?
CLEMENCE AZINCOURT : C’est aimer raconter des histoires, on y croit, c’est un métier incroyablement fort en sensations et même si le théâtre n’a pas l’audience du cinéma on va à la rencontre des gens. Travailler en groupe, faire des ateliers pour la compagnie, on a l’impression de faire un tout petit travail de fourmi, de bien le faire, de transmettre cette culture orale. On peut déclamer un texte devant très peu de spectateurs ou jouer avec beaucoup de décors, de la fumée… c’est magique… Et quand les gens se reconnaissent et réfléchissent à leurs propres histoires c’est bouleversant. L’accès est pourtant encore limité malgré les actions de décentralisation (nous partons pour quatre représentations dans le département à Machecoul, Redon, Vallet et Châteaubriant présenter Vertiges). Il faut continuer à bien faire ce métier, avec sincérité, honnêteté, générosité, du mieux qu’on peut.

« … quand les gens se reconnaissent et réfléchissent à leurs propres histoires c’est bouleversant. »

FRAGIL : Quels sont vos projets en cours ?
CLEMENCE AZINCOURT : Un prochain spectacle se met tout doucement en route avec Nasser. On a commencé à travailler des improvisations. Pour le première fois Nasser n’écrit pas à priori le texte, nous avons improvisé pendant 15 jours à partir de thèmes qu’il nous a donné. C’était plutôt un laboratoire d’acteurs et d’écriture. J’ai hâte de voir ce que cela donnera…

Comme des samouraïs

Les marchés de Noël, un intemporel qui se renouvelle

Critiques de cinéma et questions politiques, religieuses et sociales se rencontrent et s'entremêlent dans les papiers de Nathalie. Élue au Conseil d'administration de Fragil, Nathalie sème également des "Poussières d'images" sur JetFM.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017