Théâtre Universitaire de Nantes : la pièce « Les enfants hiboux » donne de la voix aux enfants des rues

Qui sont ces enfants qui trainent dans les rues ? Pourquoi sont-ils abandonnés par leurs parents ? Pourquoi les accuse-t-on de sorcellerie ? Comment arrivent-ils à survivre ? Comment expliquer leur violence ? C’est à toutes ces questions que tente de répondre « Les enfants hiboux ou les petites ombres de nuit », la pièce écrite et mise en scène par le togolais Basile Yawanké, jouée jusqu’à vendredi au TU de Nantes.

02 Fév 2022

A l’origine de cette œuvre, un choc émotionnel en 2014 à Ouagadougou au Burkina Faso. Basile participe à un festival de théâtre panafricain, Élan des Récréâtrales. Et il est interpellé par le nombre d’enfants jetés à la rue, vivant de mendicité, en haillons, sans chaussure, dans la boue.
«Ils étaient très jeunes» raconte Basile Yawanké. «Certains avaient 5 ans, les plus vieux 15 ans. Et ils étaient une cinquantaine sur un petit périmètre».

Les enfants sorciers du Congo

Un an plus tard, Basile rencontre John Atta Tama, un ami de longue devenu psychologue au Samu social au Congo. Celui-ci préparait une thèse de doctorat sur les enfants sorciers du Congo à l’université de Nantes. C’est alors qu’il prend la mesure de l’ampleur du phénomène.

«Ces enfants, souvent issus de familles recomposés, souvent maladifs, sont accusés de tous les maux» poursuit Basile. «Ils sont un poids mort, une bouche de trop à nourrir, une menace pour les autres enfants légitimes, pour leur héritage. Bref, ils incarnent le mal et sont maltraités. Parfois, ils préfèrent préfèrent partir d’eux-mêmes pour s’extirper de ce contexte destructeur».

Basile Yawanke devant ces monstres imaginaires, les enfants hiboux

Les prophètes de malheur

Mais le plus scandaleux pour Basile, c’est l’utilisation cynique de ces enfants indésirables par des prêcheurs peu scrupuleux, pour la plupart des pasteurs d’une nouvelle église charismatique.

«Ces faux prophètes vont voir les parents en leur proposant d’ôter le mauvais esprit de leur enfant indésirables, lors de séances de délivrance collective. Pour eux, c’est un excellent fonds de commerce car évidemment ces cérémonies ne sont jamais gratuites. Et pour l’enfant, c’est un réel traumatisme car on lui dit qu’il est possédé et que c’est trop dur à vivre par leurs parents».

Une fois dans la rue, ces enfants rejetés, se mettent au service leur nouveau protecteur qui leur demande d’aller faire l’aumône pour renflouer les caisses de l’église. Au Sénégal, ce sont des imams qui jouent ce mauvais rôle ce qui fait dire à Basile que la religion entretient le phénomène.

La vie en bande et ses violences

Dans son spectacle soutenu par le Grand T, le togolais montre aussi la vie de ces pestiférés, vivant en bandes, avec leurs propres codes et modes de fonctionnement. Victimes de violences familiales, ils continuent à exercer envers eux-mêmes leur pouvoir de nuisance.

«Dans la rue, une bande apporte une forme de protection. On n’est plus seul» constate Basile Yawanké. «Mais la bande peut être aussi destructrice. Les nouveaux arrivants sont bizutés et on leur fait bien comprendre qui est le chef. Les abus physiques et sexuels sont une réalité et ils n’épargnent ni les garçons, ni les filles».

Hiboux, sorciers, même combat

Reste une interrogation : Pourquoi avoir parlé des enfants hiboux et non pas des enfants sorciers ? Pour l’auteur de cette pièce, il n’y pas de différence.
«En Afrique, le sorcier est un homme puissant» précise Basile. «Il vit souvent la nuit et il a ce pouvoir surnaturel de voler dans les airs et d’aller guérir les possédés en une nuit et à des centaines de kilomètres de chez lui. Le hibou, c’est pareil. C’est un oiseau nocturne qui fait peur, annonciateur de mauvaises nouvelles. Ne dit-on pas de lui que c’est un oiseau de mauvais augure».

Basile Yawanké vit à Nantes depuis 6 ans

Donner la parole

Avec ce spectacle haut en couleur, Basile Yawanké, comédien par ailleurs, a voulu dénoncer un phénomène aux accents très africains mais présent partout dans le monde et souvent tu.

«La voix des ses enfants, on ne l’entend quasiment jamais. J’ai eu envie de leur donner la parole en effectuant un travail artistique. Je ne prétends pas trouver la solution pour régler leur problème. Mais au moins de faire réfléchir sur ces monstres que la société a créée».

Les séances

Créé à Limoges aux Francophonies, jouée en Guyane, c’est aujourd’hui à Nantes que « Les enfants hiboux ou les petites ombres de nuit » se produisent. Séances à 20h au Théâtre Universitaire, du 1er au 4 février.
Un spectacle soutenu par le Grand T  et le TU-Nantes et réalisé avec la compagnie Éclat des Os et l’Ensemble Artistique Fako.

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Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017