5 mars 2018

Les passeurs de livres de Daraya : Delphine Minoui

On vit dans un monde où les quotidiens ne se ressemblent pas, où la vie ne se conçoit pas de la même manière, où le verbe survivre est parfois plus adapté à un quotidien de violences, de terreur et d’abandon. Ce monde, vous ne le connaissez peut-être pas ou du moins pas directement et pourtant il pourrait concerner votre père, votre mère ou encore votre voisin. On reste pour la plupart enfermé dans une bulle où l’autre nous apparaît comme étranger. On reste centré sur un quotidien relevant du meilleur alors que le pire se passe à quelques kilomètres. C’est cette réalité parfois dure à accepter que Delphine Minoui essaye de nous dépeindre dans un livre bouleversant.

Les passeurs de livres de Daraya : Delphine Minoui

05 Mar 2018

On vit dans un monde où les quotidiens ne se ressemblent pas, où la vie ne se conçoit pas de la même manière, où le verbe survivre est parfois plus adapté à un quotidien de violences, de terreur et d’abandon. Ce monde, vous ne le connaissez peut-être pas ou du moins pas directement et pourtant il pourrait concerner votre père, votre mère ou encore votre voisin. On reste pour la plupart enfermé dans une bulle où l’autre nous apparaît comme étranger. On reste centré sur un quotidien relevant du meilleur alors que le pire se passe à quelques kilomètres. C’est cette réalité parfois dure à accepter que Delphine Minoui essaye de nous dépeindre dans un livre bouleversant.

Le livre témoigne d’un quotidien pas si lointain où la ville syrienne de Daraya, banlieue rebelle de Damas, connaissait davantage le son des bombes et l’odeur des gaz chimiques que la douce mélodie du bonheur. De 2012 à 2016, une quarantaine de jeunes révolutionnaires ont résisté à l’ampleur de la guerre civile menée par l’armée de Bachar El Assad. Ce livre ne témoigne pas seulement de cette guerre, il met en lumière des hommes et des femmes qui nous donnent de véritables leçons de vie.

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Fadi-DiraniDaraya-media-centerLe-Figaro
La bibliothèque de Daraya

Fadi Dirani / Daraya media center / Le Figaro

Je préfère vous prévenir, ce livre n’est pas un livre que l’on prend pour s’émerveiller, il n’est pas non plus fait pour s’échapper du quotidien. Ce livre nous confronte à la réalité, il nous prend et nous bouscule dans un quotidien parfois bien rangé. Il nous amène à réfléchir sur le sens réel du verbe vivre et sur sa signification à travers le monde.
Delphine Minoui commence son récit par le moment où elle a été confrontée à cette photo, cette photo qui sera la ligne directrice de ce livre. Le témoin direct qu’une bibliothèque cachée peut exister malgré l’attaque des balles, que lire se conjugue toujours au présent malgré la guerre.

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Delphine-Minoui-©ParisMatch
La journaliste Delphine Minoui

Paris Match

A travers ce livre, Delphine Minoui nous relate ces échanges par Skype avec les révolutionnaires, ces hommes qui ont décidé que les livres étaient le meilleur rempart à l’obscurantisme. « La lecture, ce modeste geste d’humanité qui les rattache à l’espoir fou d’un retour à la paix. A l’ombre de la guerre, les phrases peuvent de nouveau vibrer. Elles sont la marque du temps qui reste quand tout est condamné à disparaître. ». Ces mots ne sont qu’un extrait des richesses de leur parole. La lecture s’avère être bien plus qu’un échappatoire. Les livres leur donnent les clefs pour s’inscrire dans le présent, pour développer leurs idées au niveau de la politique, des valeurs sociétales dans un environnement où cela ne devrait pas exister. Les lectures sont aussi un moyen de partager et d’échanger avec les autres, de s’éveiller sur des sujets qui interpellent tel que le développement personnel. L’alchimiste de Paulo Coelho est le livre qui a été le plus partagé au sein de la bibliothèque. Plus qu’une leçon de vie, il nous apprend qu’il faut suivre le chemin qui nous est destiné. C’est une réelle dose d’optimisme pour ces hommes et ces femmes.

Les livres permettent à ces hommes de trouver une cohérence dans l’incompréhension qui les entoure. Chaque histoire, chaque phrase met des mots, des noms sur l’inexprimable. Ils ont recours à l’ensemble des images présentes dans la mémoire collective. C’est une forme de réalité dans un quotidien de cauchemar. « Il croit aux livres, il croit en la magie des mots, il croit aux bienfaits de l’écrit, ce pansement de l’âme, cette mystérieuse alchimie qui fait qu’on s’évade dans un temps immobile, suspendu. ». Il est important de se raccrocher à la réalité quand on est bercé de désillusions pertinentes. Ce n’est pas seulement un hymne à la vie, c’est une quête de sens pour continuer à croire que tout est possible, que tout est réalisable. La littérature peut faire apparaître des bornes temporelles quand les jours défilent au crépitement des balles.

Dans son livre L’Écriture ou la vie, Jorge Semprun ne nous dépeint pas les abominations du camp de Buchenwald telles qu’elles, il les met en lumière au travers de scènes d’opéra, de pièces de théâtre ou encore de douces notes de musique. L’art est une voie, un support qui permet d’expliquer l’Histoire, il est révélateur de la liberté d’expression. Il permet de donner des repères au lecteur parfois désarçonné par le quotidien. “La vérité essentielle de l’expérience, n’est pas transmissible”.

Je pourrais continuer à parler de ce livre mais ça serait trop vous en dévoiler. Voici une dernière citation du livre qui montre que l’espoir persiste toujours malgré la noirceur de la guerre : « L’espoir, malgré tout. L’espoir cultivé dans ce jardin potager improvisé sur le recoin d’une terrasse. L’espoir dans ces tournesols qui s’échappent d’une terre sèche et polluée. L’espoir dans cet arbuste planté au milieu d’un cratère creusé par un obus. ».

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Couverture du livre "Les passeurs de livres de Daraya"

Reportage à Reyhanli, à la frontière turco-syrienne

Soufiane, le parcours d’un réfugié

Passionnée par les sujets d’actualité, j’attache de l’importance à informer et à sensibiliser sur des histoires méconnues. J’aime découvrir et appréhender le monde qui m’entoure par des rencontres, des partages et des parcours de vie.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017