7 mai 2015

Les médiathèques tournent la page

Confrontées au web 2.0, aux nouveaux outils numériques et aux transformations radicales en matière de consommation culturelle, les médiathèques doivent être repensées. Du temple de la culture au lieu de convivialité, elles évoluent pour s’adapter aux besoins des usagers.

Les médiathèques tournent la page

07 Mai 2015

Confrontées au web 2.0, aux nouveaux outils numériques et aux transformations radicales en matière de consommation culturelle, les médiathèques doivent être repensées. Du temple de la culture au lieu de convivialité, elles évoluent pour s’adapter aux besoins des usagers.

Des bibliothèques sans livre ? Des espaces de rencontres ouverts le dimanche ? Des plateformes 100 % web ? Mais à quoi pourront bien ressembler les médiathèques de demain ? Dans le cadre d’une intervention à Ancenis, Fragil s’est penché sur la question avec une quinzaine de personnes, professionnelles et bénévoles, évoluant dans les médiathèques de Loire-Atlantique. Cet article offre des pistes de réflexion, sans prétendre à aucune vérité.

Changement de paradigme

Les médiathèques sont face à un changement de paradigme. Le web a placé les usagers dans une posture plus distante vis-à-vis des structures. En trois clics, on peut désormais réserver son livre sur le site web de sa médiathèque avant d’y faire un saut en vitesse pour récupérer l’ouvrage. Une fois lu, on peut le rendre via une borne électronique. Fini le temps où l’on passait des heures entre deux linéaires à la recherche d’un livre. Aujourd’hui, ce n’est plus l’utilisateur qui va au contenu, mais le contenu à l’utilisateur.

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L’autre évolution qui frappe de plein fouet les structures, ce sont les nouvelles formes de consommation culturelle. Selon un sondage mené par l’institut LH2, 69 % des Français consomment régulièrement des produits culturels dématérialisés. Selon une autre étude menée par Bain et Company (réalisée en France, Allemagne, Suède, Royaume-Uni et États-Unis), 63 % des plus de 35 ans regardent des vidéos en ligne, 93 % écoutent de la musique en format numérique et 34 % ont déjà lu un livre électronique.

Digital natives

Ces chiffres sont encore plus importants en ce qui concerne la génération des Digital natives (moins de 25 ans). 87 % des consommateurs entre 15 et 25 ans regardent des vidéos en ligne, 98 % écoutent de la musique dématérialisée et 46 % disent avoir lu au moins une fois un livre électronique. 20 % des 15 à 18 ans n’utilisent jamais de média traditionnel pour regarder des vidéos. À cela s’ajoute le fameux pouvoir de recommandation inhérent au web 2.0. Plus de deux tiers des 15 à 25 ans déclarent choisir leurs contenus grâce aux recommandations sur les réseaux sociaux.

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Face à ce constat, certes ici très schématique, quel avenir pour les médiathèques ? Après être passées du statut de bibliothèque à celui de médiathèque en intégrant la pluralité des médias, les structures deviennent progressivement des lieux ouverts sur les pratiques numériques. Comme souvent en la matière, c’est en sortant de l’Hexagone qu’on trouve des exemples très explicites. Parfois même extrêmes à l’image de la bibliothèque sans livre de San Antonio (USA) logiquement intitulée Bibliotech. 4 000 m² ouverts en 2013 qui s’apparentent plus à un Apple Store qu’à une bibliothèque. 10 000 livres numériques, 600 liseuses, 48 ordinateurs, une vingtaine de tablettes… Les chiffres donnent le tournis.

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Le numéribus

L’exemple de San-Antonio peut prêter à sourire. Reste que son impact est énorme, car la Bibliotech se situe dans un quartier multiculturel de San-Antonio où l’accès à internet est très faible. On sait que le territoire français est insuffisamment doté en la matière, notamment dans ses zones rurales. Les médiathèques ont donc plus que jamais un rôle de facilitateur en terme d’accès à la Toile.

D’une manière générale, les Anglo-saxons sont plus avancés en matière de livre numérique. Fin 2012, 23 % des Américains âgés de 16 ans et plus lisaient des livres électroniques, soit une augmentation de 16 % par rapport à 2011 selon le Pew Research Center. Le livre numérique représente 15 à 20 % du marché du livre au Royaume-Uni et aux USA contre 2 % en France et 1 % en Allemagne. 20 % des Français et 29 % des Allemands déclarent avoir déjà lu un ebook contre 50 % dans les pays anglo-saxons.

[aesop_quote type= »block » background= »#ffffff » text= »#000000″ align= »center » size= »2″ quote= »Les bibliothécaires deviennent formateurs auprès du public pour apprendre à télécharger un ebook, à choisir une application ludique, etc. » parallax= »off » direction= »left »]

C’est ainsi qu’en France, on connaît le bibliobus alors qu’aux USA, on développe ce qu’on pourrait appeler le numéribus. La ville de Houston parle de Digital books mobile, un semi-remorque à l’intérieur high-tech créé en 2010 sans aucun livre mais rempli d’ordinateurs, tablettes et liseuses. À son bord, les bibliothécaires deviennent formateurs auprès du public pour apprendre à télécharger un ebook, à choisir une application ludique, etc.

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Modèle hybride et troisième lieu

En France, on trouve des modèles hybrides. Des médiathèques classiques contenant livres, CD, DVD, etc., qui développent parallèlement des plateformes web plus ou moins poussées. Parmi les exemples notables (hors Paris), on peut citer Numélyo, la plateforme numérique de Lyon qui a pour ambition de devenir la plus grande bibliothèque numérique d’Europe. La bibliothèque municipale de Lyon fait partie de la quarantaine de structures au niveau mondial à avoir contracté avec Google pour la numérisation de fonds patrimoniaux. C’est ainsi que 400 000 documents sont aujourd’hui en ligne et accessibles très facilement : manuscrits, enluminures, périodiques régionaux, livres, etc. Un fond qui permet à Numélyo de proposer de nouveaux services comme, par exemple, des expositions uniquement visibles sur le web.

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L’autre mot d’ordre du moment, c’est l’idée de « troisième lieu » ou « tiers lieu ». Initié Ray Oldenburg dans les années 1980, ce concept sociologique est l’une des pistes de développement des médiathèques notamment après le travail de Mathilde Servet sur le sujet, son mémoire ayant obtenu la palme de l’ENSSIB (École nationale des sciences de l’information et des bibliothèques). Le premier lieu : c’est le foyer. Le second : le lieu de travail. Le troisième lieu, lui, se définit comme un espace où l’on se retrouve pour discuter, échanger, rencontrer, interagir (café, association…). Le concept s’applique aujourd’hui aux médiathèques avec l’appui des outils numériques.

Ouverture le dimanche

Du côté de la Loire-Atlantique, les exemples de médiathèques « troisième lieu » fleurissent. C’est le cas par exemple à Orvault avec Ormedo depuis 2013. Accessibilité, mixité sociale, convivialité, sentiment d’appartenance… La nouvelle médiathèque au nord de Nantes tente de répondre à toutes les exigences d’un troisième lieu. L’espace est ouvert (plan ci-dessous), sur un seul niveau, avec très peu de linéaires. Un espace détente côtoie une salle d’animation et d’exposition, un espace multimédia et autoformation, des bornes d’écoute musicale, un espace presse, etc.

[aesop_quote type= »block » background= »#ffffff » text= »#000000″ align= »center » size= »2″ quote= »Dans le cadre de la stratégie troisième lieu, ouvrir une médiathèque pendant les heures de travail du public apparaît être une aberration. » parallax= »off » direction= »left »]

C’est aussi en matière de communication que se joue le troisième lieu. Ormedo n’hésite pas à investir les réseaux sociaux avec un ton décalé créant un sentiment d’appartenance, de communauté. Les heures d’ouverture du lieu jouent aussi un rôle majeur. Ormedo est ouvert un jour par semaine entre 12h et 14h, mais aussi le dimanche matin. Dans le cadre de la stratégie troisième lieu, ouvrir une médiathèque pendant les heures de travail du public apparaît être une aberration. Les structures qui ouvrent le dimanche remportent généralement un franc succès auprès du public.

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D’autres exemples notables ont vu le jour en Loire-Atlantique et pas seulement dans les pôles urbains. À Couëron, à l’ouest de Nantes, la nouvelle médiathèque Victor-Jara a franchi un cap, passant de la petite bibliothèque à un lieu de convergence culturelle très prisé. Et pour cause : la municipalité a opté pour la gratuité. De 2 700 lecteurs l’an dernier, la structure est passée à 6 700 aujourd’hui. Du côté du Cellier aussi, près d’Ancenis, le modèle de troisième lieu a fait des émules comme nous l’explique Béatrice Dronneau, responsable de la médiathèque Claire Brétécher, dans la vidéo ci-dessous.

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Numérisation, troisième lieu, changements d’horaires, etc. Les nouvelles pistes de développement des médiathèques ne sont pas sans conséquence sur les bibliothécaires. Ceux-ci doivent développer des compétences en termes de pratiques numériques afin d’apporter le bon contenu au bon moment. Un travail de curation qui porte notamment sur les applications pour tablette. Après le catalogue de livre, de CD, de DVD, les médiathèques doivent être en mesure de proposer un catalogue d’applications. C’est un des nouveaux challenges qui attend la profession. Après le bibliothécaire, le médiathécaire, bienvenue à l’applithécaire !

Un temps journaliste, roule aujourd'hui pour l'Information Jeunesse... Enseigne à droite, à gauche. Membre du CA de Fragil. #Medias #EMI #hiphop #jazz et plein d'autres #

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017