23 septembre 2020

L’éducation aux médias à travers les débats mouvants : des affirmations à débattre en groupe

L'association Fragil vous propose un retour d'expérience à partir d'une liste d'affirmations permettant de débattre sur plusieurs thématiques liées aux médias.

L’éducation aux médias à travers les débats mouvants : des affirmations à débattre en groupe

23 Sep 2020

L'association Fragil vous propose un retour d'expérience à partir d'une liste d'affirmations permettant de débattre sur plusieurs thématiques liées aux médias.

Lors des ateliers d’éducation aux médias proposés par l’association Fragil, nous utilisons régulièrement le débat-mouvant comme outil de réflexion avec les groupes que nous encadrons. Cet outil d’éducation populaire simple à mettre en place ne demande que très peu de préparation et vous permettra de faire réfléchir activement un groupe de 4 à 30 personnes. Voici notre manière de procéder :

  • avec le groupe, nous définissons deux zones dans l’espace d’animation : « d’accord » et « pas d’accord »
  • en énonçant une affirmation clivante, la personne en charge de l’animation demande aux participants et participantes de se déplacer dans l’une des zones pour réagir
  • pendant environ 2 minutes, les participantes et participants réunis dans chacune des zones discutent entre eux pour définir les raisons qui les ont poussés à se positionner
  • après cette discussion, chaque groupe est invité, à tour de rôle et à travers un ou une porte-parole, à donner des arguments (et non à réagir à l’argument du groupe d’en face) pour convaincre les personnes du camp opposé, en commençant leur phrase par « Je suis d’accord avec l’affirmation car… » ou « Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation car… »
  • à chaque argument, les personnes peuvent changer de camp si elles se sentent convaincues
  • une fois tous les argument énoncés, la parole est ouverte (dans la bienveillance) à celles et ceux qui voudraient répondre ou commenter des arguments précédemment énoncés
  • l’animateur ou animatrice peut alors apporter des éléments ou questionnements supplémentaires si nécessaire, avant de passer à une autre affirmation pour un autre débat

Note : nous choisissons volontairement de ne pas donner le choix aux personnes participantes de se placer dans une zone de « doute », afin de les inviter à trouver des arguments forts.

Atelier débat mouvant avec des adultes dans les locaux de Fragil

Nous vous proposons ici une liste de phrases dans laquelle vous pouvez piocher pour animer un temps de débat dans vos classes, entre ami.e.s, à la machine à café du travail, en repas de famille…  Nous vous rajoutons quelques commentaires issus de nos expériences d’animation avec cet outil.

Journalisme

« Il faudrait un document officiel pour être journaliste »

Cette phrase vous permettra de mettre en évidence les différentes perceptions du mot « Journaliste » parfois trop attachées aux notions de formation en école de journalisme ou de salaire : une personne pratiquant le journalisme bénévole dans un média comme Fragil est-elle journaliste ? Une personne qui enquête, croise ses sources, publie des informations d’intérêt général tout en vivant dans un pays en guerre dans lequel les médias sont ruinés et les institutions ne donnent plus de carte de presse, est-elle journaliste ? Doit-on créer un « permis de journalisme » donné par l’Etat ? Si oui, comment enquêter sereinement sur les dysfonctionnement de celui-ci en cas de dérive autoritaire ?

Ce débat vous permettra aussi de définir ce qu’est une carte de presse et à quoi elle sert. La demande de carte de presse ne pouvant se faire qu’en prouvant que le journalisme professionnel est « l’occupation principale et régulière (3 mois consécutifs pour une première demande) », une personne est donc par définition « journaliste » avant d’obtenir sa carte de presse.

« Pour les journalistes, il devrait être plus important de parler de 10 morts à 10km que de 100 morts à 1000km »

Cette affirmation amènera le groupe à réfléchir aux choix de sujets faits par les journalistes en fonction de leur affinités mais surtout en fonction de la ligne éditoriale de leur média. Le journal « l’Equipe » va-t-il publier dans ses pages une information concernant un attentat en Irak ? Peut-être si un sportif est concerné par cet événement, surement pas dans le cas contraire.

« Les bon.ne.s journalistes ne doivent pas donner leur opinion »

Permettant de mettre en évidence les notions d’objectivité, de subjectivité et d’injonction à la neutralité, cette phrase pose la question de la place de l’humain dans le traitement de l’information. Choisir de traiter un sujet en particulier, n’est-ce pas choisir d’écarter tous les autres, et donc de donner son opinion sur ce qui mérite une attention particulière ? Les journalistes doivent-ielles masquer leur opinion politique au risque de la laisser transparaitre inconsciemment dans le traitement de leurs sujets ? Le lectorat ne devrait-il pas être totalement informé de « qui » parle et « d’où parle » un ou une journaliste ?

« Toutes les informations devraient être vérifiables »

Une affirmation qui vous servira à questionner le croisement des sources, et la notion d' »information ». Qu’est ce qu’une information ? Qu’est ce que la vérité ? Comment vérifier une information ? Qu’est ce qu’une source de confiance ? A quel moment doit-on s’arrêter de vérifier ?

« La bonne information coûte cher »

Cette phrase peut être utilisée pour faire émerger l’idée du coût de l’information : des journalistes qui enquêteront des mois durant dans plusieurs pays pour réaliser un documentaire d’1h30 auront besoin de plus d’argent que ceux qui publieront, sur Twitter, le résultat d’un match de foot amateur auquel il assistent. La notion de « bonne information » pourra elle aussi être débattue : la valeur d’une information est-elle liée à l’argent qui a été engagé pour la trouver ou bien à la pertinence pour le public qu’elle informe ?

« Une information obtenue de manière illégale ne devrait pas être publiée »

Nous vous proposons cette phrase pour évoquer la déontologie journalistique et le rapport à la loi. Quelle place pour l’information libre et indépendante dans un pays où la loi interdirait le travail des journalistes ? Les États protègent-ils toujours leur population vis-à-vis du travail de journalistes peu scrupuleux (paparazzi et atteinte à la vie privée) ? Quelle place pour les lanceurs et lanceuses d’alerte (Edward Snowden et la surveillance de masse à travers les réseaux sociaux, Irène Frachon et le Mediator…) ?

« Les journalistes ne devraient pas connaitre personnellement les personnalités qu’ils et elles interrogent »

Cette affirmation peut soulever des questionnements autour de la centralisation des pouvoirs médiatiques, politiques et financiers. Les journalistes des grands médias parisiens sont amenés à côtoyer au quotidien les personnalités politiques, artistiques, intellectuelles et économiques qu’elles interviewent régulièrement, est-ce un frein ou une aubaine pour l’information proposée au public ? Comment faire pour la presse ultra-locale pour laquelle un seul journaliste couvrira l’actualité de son village ? Faut-il une loi qui interdirait les rapports amicaux ?

Atelier débat mouvant avec de jeunes ados

Internet

« Si je n’ai rien à cacher, je n’ai rien à craindre »

Cette affirmation est un poncif de l’argumentaire pro-surveillance largement déconstruit dans le documentaire « Nothing to Hide ». Le débat généré ici vous permettra de mettre en avant quelques questionnements : si l’on se sait surveillé, est-ce qu’on prend autant de risques, notamment sur des aspects liés à l’émancipation (chanter sous la douche, explorer sa sexualité) ? La loi peut-elle être rétroactive : qu’est ce qui nous garantit qu’une pratique aujourd’hui légale, le reste pour toujours ?

« L’anonymat sur internet est une bonne chose »

Il est possible qu’avec cette phrase, les personnes qui se placent du côté « pas d’accord » invoquent rapidement l’un des quatre cavaliers de l’infocalypse comme argument contre l’anonymat. Mais la lutte contre la pédophilie, le terrorisme, le crime organisé et le trafic de drogue est-elle suffisante pour priver du droit à l’anonymat les millions de personnes qui ont d’autres raisons pour ne pas dévoiler leur nom et leur activité en ligne : militants et militantes politiques dans une dictature, minorités persécutées, enfants navigant sur le web ?

« Pour vivre en sécurité il faut accepter de réduire sa liberté »

Vous pouvez utiliser cette phrase en complément du débat amorcé par les affirmations précédentes, et pourquoi pas débattre de la citation controversée de Benjamin Franklin à ce sujet. Quels risques peut-on accepter de prendre pour rester libre ? Quelle liberté peut-on brider pour vivre sereinement ?

Médias

« Dans une démocratie, il ne faudrait rien censurer »

Une phrase qui vous permettra de questionner le rapport à la liberté de la presse, la liberté d’expression et la démocratie. Y a-t-il des opinions qui ne peuvent pas être exprimées dans la presse en France ? Faut-il empêcher les discours de haine pour préserver la démocratie ?

« Il faudrait que les médias ne soient pas politisés »

Avec cette phrase, les participantes et participants pourront réfléchir au positionnement idéologique (et le découvrir si besoin) des grands médias. L’Humanité à l’extrême-gauche, Minute à l’extrême-droite, Libération à gauche, Le Figaro à droite, etc… En tant que consommateurices d’information, ils et elles devront se positionner sur leur rapport à l’information et sur la définition d’un média « neutre politiquement » qui correspondra peut-être au positionnement idéologique de la pensée dominante. Comment garantir une information apolitique ? Comment appréhender l’information si on ne connait pas, ou ne sait pas reconnaître l’orientation d’un média ?

« Les réseaux sociaux sont des médias comme les autres »

Cette affirmation pourra vous servir à débattre de ce qu’est un média. Ce mot a plusieurs sens en français et peut à la fois définir la technique de transmission d’un message (télévision, radio, internet), un support lié à une ligne éditoriale (TF1, Le Monde, Europe1, Konbini…) ou bien un objet physique lié à une information (livre, photo…). En France les grandes plateformes telles que Youtube ou Facebook sont considérées comme des diffuseurs et non des éditeurs

« Le propriétaire d’un média peut décider seul du contenu qui y sera publié »

Pour débattre de la liberté des journalistes professionnels vis à vis des médias qui les emploient. Un patron de presse est-il un censeur ? Une information allant dans le sens contraire des intérêts des propriétaires d’un média peut-elle être publiée sans risque pour les journalistes qui l’écrivent ? Quel est l’intérêt de posséder un média si je ne peux pas contrôler l’information qui y est diffusée ? Vous pouvez aller plus loin en vous inspirant de la liste de documentaires sur les liens entre médias et milliardaires que nous vous avons proposé précédemment.

Débat mouvant avec les lycéens du Lycée Nature de la Roche-Sur-Yon

Cyberharcèlement

« Il vaut mieux faire attention à ce que l’on dit et fait en ligne pour ne pas se faire cyberharceler. »

Une phrase qui vous permettra de questionner la notion de culpabilisation des victimes auprès du public. Premier réflexe pour nombre de participantes et participants : répondre par l’affirmative en argumentant que « souvent, les victimes ont dit ou fait quelque chose de violent » qui justifie leur situation, s’appuyant par exemple sur l’affaire Mila. Ces propos seront à questionner : la victime de cyber-harcèlement est-elle responsable de l’agissement de ses harceleurs ? Doit-on se censurer par peur d’une agression ? Peut-on parfois se faire cyberharceler « pour rien » ?

« Sur Internet, il est nécessaire de défendre le droit de troller »

Cette affirmation permettra de réfléchir ensemble à la notion d’humour blessant et de liberté d’expression. Est-que si « c’est pour rire », on peut tout dire sur Internet ? Comment différencier troll et cyber-harcèlement ? Comment débattre sereinement avec des personnes de mauvaise-foi ?

« Sur les réseaux, un seul signalement devrait suffire pour supprimer un contenu »

Une phrase qui invitera le public à se questionner sur les manières de se protéger individuellement face à une vague de cyber-harcèlement et sur le rôle des réseaux sociaux dans la protection des victimes. Supprimer n’importe quel contenu en un seul signalement aiderait peut-être les personnes isolées qui subissent des attaques, mais donnerait en contre-partie un pouvoir de censure extrêmement puissant pour des personnes malintentionnées.

Josep, la résistance par le dessin

4e édition du Tremplin Parazic : du bon son à venir !

Chargé de projets numériques et médiatiques chez Fragil depuis 2017, musicien, auteur, monteur... FX est un heureux touche-à-tout nantais. Il s'intéresse aux musiques saturées, à l'éducation aux médias, aux cultures alternatives et aux dystopies technologiques.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017