25 novembre 2020

Être chorégraphe au temps du covid

Contrairement au premier confinement, le monde de la danse peut continuer les répétitions malgré la fermeture des salles au public. Mardi 24 novembre, le gouvernement a annoncé une réouverture des lieux culturels le 15 décembre. C’est un véritable soulagement pour tous les acteurs du milieu. Mais les reports et annulations des pièces ont impactés durement la création et la diffusion des pièces. Fragil s’est intéressé au travail en temps de crise de deux chorégraphes nantais : Louis Barreau de la compagnie homonyme et Hervé Maigret de NGC25.

Être chorégraphe au temps du covid

25 Nov 2020

Contrairement au premier confinement, le monde de la danse peut continuer les répétitions malgré la fermeture des salles au public. Mardi 24 novembre, le gouvernement a annoncé une réouverture des lieux culturels le 15 décembre. C’est un véritable soulagement pour tous les acteurs du milieu. Mais les reports et annulations des pièces ont impactés durement la création et la diffusion des pièces. Fragil s’est intéressé au travail en temps de crise de deux chorégraphes nantais : Louis Barreau de la compagnie homonyme et Hervé Maigret de NGC25.

Ce deuxième confinement a confirmé la position gouvernementale dont nous avions déjà perçu les contours en mars : la culture n’est pas considérée comme essentielle. Pire, elle est déclarée à demi-mot comme dangereuse dans un contexte épidémique car l’accueil du public, malgré l’application de mesures sanitaires strictes, contribuerait à la circulation du virus. Or, aucune étude n’a prouvé la réalité de ces positions, qui semblent aberrantes compte-tenu des autorisations à continuer le travail en présentiel pour bon nombre de secteurs et à fréquenter les transports en commun. Beaucoup d’acteurs du monde culturel sont en colère et multiplient les interventions contre ces décisions. À l’image de Sébastien Azzopardi, co-directeur du théâtre du Palais-Royal à Paris, qui affirmait sur francetvinfo fin octobre « qu’il n’y a pas de cluster dans les salles de théâtre et de cinéma » avant d’insister sur la grande difficulté dans laquelle se trouve tout le secteur. Le premier confinement avait déjà mis les artistes au pied du mur. Cette deuxième fermeture s’apparente à un coup de grâce.

©Ernest S. Mandap

Les confinements et l’activité culturelle

Avec le premier confinement, toutes les activités artistiques ont dû cesser. Hervé Maigret, chorégraphe de la compagnie NGC25, déplore : « cela a tout changé : l’économie de nos spectacles, l’organisation, la diffusion. ». Louis Barreau, chorégraphe de la compagnie du même nom, rappelle la nécessité de travailler jusqu’à deux ans avant la diffusion d’une pièce pour chercher des partenaires, monter la pièce et organiser les résidences. Ce temps long est lié principalement au fonctionnement des théâtres et des institutions qui établissent leur programmation avec une saison d’avance. En plus des semaines de résidences avec les danseurs et danseuses, le chorégraphe travaille également beaucoup en amont, « seul à la table ».

 » Le confinement cela a tout changé : l’économie de nos spectacles, l’organisation, la diffusion. « 

Hervé Maigret affirme que NGC25 travaille tous les jours, entre « les tournées avec les pièces du répertoire, les répétitions, les actions culturelles et de sensibilisation. ». En mars, tout s’est arrêté, même la possibilité de répéter dans les salles. La perte du lien avec le public a été le plus difficile pour lui. Dès la fin du premier confinement, il n’a pas hésité à rebondir et à créer avec d’autres artistes « Ouvrir l’Horizon ». Ces paniers artistiques réunissent des formes différentes de spectacle vivant et ont été proposé au public de tous les Pays de la Loire tout au long de l’été et jusqu’au nouveau confinement. Plus de trois cents représentations ont pu être organisées dans des parcs, des écoles, des EHPAD. Les artistes ont ainsi pu renouer avec le public tout en générant une économie culturelle, si importante. Hervé Maigret souligne avec un peu de fierté que cette initiative leur a permis « entre ces deux confinements de pouvoir réinventer et garder le lien tout en continuant la création. ».
Louis Barreau en Mars travaillait seul sur Le Sacre de Printemps de Stravinsky. Les résidences ne commençaient qu’en juin et la diffusion est programmée pour fin janvier 2021. Il avoue que si la crise sanitaire a pu le perturber « aux niveaux personnels et émotionnels, cela n’a pas impacté la compagnie et la création », avant d’estimer avoir eu beaucoup de chance contrairement à beaucoup de ses collègues qui ont dû annuler résidences et diffusions.

Inventer et rester positif

Lors du premier confinement, les lieux de création et de diffusion de la danse comme le 783 ou le Centre Chorégraphique National de Nantes (CCNC) avaient gardé un lien avec leurs publics en proposant sur Facebook des vidéos reprenant les spectacles annulés ou en partageant des découvertes d’artistes en lien avec leur programmation annulée ou future. L’équipe du CCNC annonçait dans un post le 9 avril chercher « à garder une vibration, une relation avec vous spectateurs, danseurs pros, amateurs, enseignants, fidèles et si curieux. ». Le 783 avait mis en place des rendez-vous réguliers avec les abonnées : « Les Chroniques d’un Nouveau Monde » et autres « Humeurs du Jour ». Les programmations sur internet et surtout les réseaux sociaux donnent accès à un public qui n’a pas pour habitude de se déplacer dans les salles.

Aujourd’hui les directives sont moins restrictives puisque les résidences et les répétitions sont autorisées. Même si c’est une bonne nouvelle pour les artistes, cela ne suffit malheureusement pas à faire vivre la culture. Le système d’intermittence des artistes leur permet actuellement de vivre. Mais si les spectacles sont achetés, les répétitions ne sont en revanche pas rémunérées. Or, actuellement les spectacles ne sont plus achetés puisqu’ils ne peuvent plus être joués. Hervé Maigret fustige : « C’est bien joli de dire « allez-y, artistes, répétez ». Oui, mais avec quel argent ? » Avant de s’adoucir et de reconnaître que « cela reste quand même mieux qu’au premier confinement parce que nous pouvons nous retrouver. ».

Louis Barreau

Le chorégraphe souligne le « bouchon » dont est victime le spectacle vivant à cause des annulations, des reports et des pièces qui n’ont pu être programmées. Du jamais-vu dans le secteur. Il a donc trouvé une solution afin de garder le lien avec le public et diffuser la dernière pièce de la compagnie « Des pieds et des mains », solo pour le danseur et musicien équatorien Pedro Hurtado. Elle devait avoir lieu le 12 novembre au Piano’cktail à Bouguenais (44). Finalement c’est une diffusion en direct sur Facebook qui a été imaginée grâce à une caméra installée dans la salle, à la place du public. Pour Hervé Maigret, cette solution était une évidence face à l’absence de solution pour montrer sa pièce. Il ajoute : « Je trouve cela bien, même pour l’artiste : il joue. Même s’il n’y a personne dans la salle, il sait qu’il est en direct. Pour Pedro, qui est équatorien, pour une fois sa famille et ses amis pourront le voir en direct, ce qui n’est pas possible habituellement. Il faut voir les choses positives. ». Avant de souligner : « Mais ça ne remplacera jamais les spectacles en public. D’où le souhait du Piano’cktail d’à la fois proposer ce Facebook Live pour les personnes qui avaient payé leur place mais de quand même reprogrammer la pièce. ».

 » C’est bien joli de dire « allez-y, artistes, répétez ». Oui, mais avec quel argent ? « 

La première du Sacre du Printemps, pièce sur laquelle Louis Barreau travaille actuellement, ne doit se jouer que le 22 janvier 2021 au Quatrain à Haute-Goulaine (44). Il confie « essayer d’être positif face aux rumeurs qui disent tout et n’importe quoi. » quant au déconfinement. Selon lui, une annulation serait « extrêmement frustrante et au-delà de la frustration émotionnelle, fragiliserait la compagnie ». Le fait d’avancer à tâtons, sans perspectives claires, est un vrai supplice pour la profession. Pourtant les deux chorégraphes restent optimistes malgré les difficultés.

Regarder vers l’avenir

Mais quel avenir pour les compagnies et le monde de la danse cela présage-t-il ? La présence sur internet peut être vue comme une manière de garder une existence, de ne pas être tu par le statut de « non-essentiel ». Pour Louis Barreau, il est pourtant inconcevable de se plier à ce type de diffusion. « Imaginer faire un spectacle vivant sur l’ordinateur, c’est quand même glauque. Cela le rend mort et empêche de sentir les corps réels. » déclare-t-il. Selon lui, le problème n’est ni logistique ni lié à une veine anti-technologique mais bien à l’idée que faire sans cesse des projets « covid-compatibles » va à l’encontre des pièces, des projets et des performances qui n’ont pas cela en elles à l’origine. Pour lui, des pièces dans lesquelles le contact physique serait central devraient-elles arrêter pour se plier aux règles sanitaires ? « Cela pose de vraies questions sur nos intentions et nos convictions au départ. Mais aussi sur le fait de devoir peut-être les lâcher pendant quelque temps. Mais nous sommes très nombreux à nous interroger sur le caractère liberticide de toutes ces mesures. ».

 » Nous sommes très nombreux à nous interroger sur le caractère liberticide de toutes ces mesures. « 

Hervé Maigret est plus nuancé. Pour lui « si nous faisons du spectacle vivant c’est bien parce que nous transmettons quelque chose en direct qui ne passe pas par une caméra ». Il se dit prêt à éventuellement inventer un vidéo-danse pour sa version des quatre-saisons. La diffusion de son spectacle qui réunit cent amateurs de sept à quatre-vingts ans a sans cesse été reportée. « Je suis en train de réfléchir à le filmer et non plus à le jouer sur scène. Peut-être inventer un travail web-documentaire avec une finalité filmée en pleine nature et non plus sur un plateau. ». Pour lui, « la caméra est un outil extrêmement intéressant qui peut aussi permettre de créer du lien ». Mais la situation actuelle est extrêmement préoccupante avoue-t-il. « Aujourd’hui, je suis privilégié de pouvoir jouer car je pense que nous ne sommes pas beaucoup d’équipes à jouer en conditions et à pouvoir aller au bout. Beaucoup ont dû annuler. Pour nous la captation du Solo était très importante car, si nous ne pouvons plus jouer, comment allons-nous présenter nos spectacles aux diffuseurs ? ».

 » Si nous faisons du spectacle vivant c’est bien parce que nous transmettons quelque chose en direct qui ne passe pas par une caméra « 

Les compagnies sont très inquiètes et le Syndicat National des Arts Vivants, dont il fait partie, demande le report sans limite dans le temps du statut d’intermittent des artistes et des techniciens. Et donc au-delà de la date fixée au 31 août 2021 par le gouvernement. « Le secteur est complètement bouché, c’est des milliers d’intermittents, d’artistes et de techniciens qui vont perdre leur statut. Il faut déclencher des économies, relancer une activité et des finances pour pouvoir contrecarrer l’absence de spectacles et de diffusions. C’est bien beau de répéter mais il faut que ces répétitions soient rémunérées. » tempête-il. Louis Barreau s’inquiète également et à juste titre : « On dit : “ Oui d’accord, nous artistes, nous sommes d’accord pour faire des pièces ou des cours sur l’ordinateur et nous sommes d’accord pour ne plus rien faire physiquement ”. Mais qu’est-ce que l’État va faire de ça ? Nous sommes tous un peu tiraillés entre résister et lâcher. ». Le 24 novembre, 250 artistes ont adressé une lettre ouverte à Roselyne Bachelot dans laquelle ils s’inquiètent des dérives possibles de la diffusion de spectacle en streaming qui pourrait conduire à la disparition progressive des théâtres. Hervé Maigret ajoute avec vigueur : « Il faut montrer que la culture est essentielle contrairement au message envoyé par le gouvernement. Selon lui, tout ce qui est inessentiel ne devrait pas exister. ».

La question se pose évidemment de qui décide ce qui est essentiel ? Et surtout, qui peut souhaiter une société dans laquelle la culture n’aurait pas sa place ?

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Après des études en sociologie, je décide de me réorienter vers le journalisme. C'est une révélation pour moi. Passionnée par la photographie et le reportage, je mets ma curiosité au service d'histoires à raconter.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017