• Maxi Obexer
31 mars 2017

Briser les frontières

Fragil a rencontré Maxi Obexer, dramaturge invitée en résidence dans le cadre du projet « Création & Crise ». Deux spectacles, explorant les problématiques des migrations européennes, sont nés de ce travail. Ils étaient présentés lors du festival Turbulences au TU Nantes le mercredi 29 mars 2017.

Briser les frontières

31 Mar 2017

Fragil a rencontré Maxi Obexer, dramaturge invitée en résidence dans le cadre du projet « Création & Crise ». Deux spectacles, explorant les problématiques des migrations européennes, sont nés de ce travail. Ils étaient présentés lors du festival Turbulences au TU Nantes le mercredi 29 mars 2017.

Nous avons rencontré Maxi Obexer, auteure engagée, essayiste et dramaturge depuis une quinzaine d’années. Elle est née en Italie mais vit en Allemagne depuis 24 ans : «Plus longtemps que je n’ai vécu dans mon pays natal » s’amuse t-elle. Principalement concernée par les questions politiques, elle s’intéresse « notamment à la migration, la politique migratoire européenne et bien évidemment aussi aux droits de l’homme…». Beaucoup de ses textes se sont concentrés sur ces sujets : « J’ai commencé avec Das Geisterschiff (Le Vaisseau fantôme) puis de nombreux essais ont suivi. Récemment j’ai écrit Illegal helpers », primé à de multiple reprises. Artiste mais aussi chercheuse, Maxi Obexer était l’invitée d’une résidence artistique dont la restitution a eu lieu le mercredi 29 mars au TU Nantes lors du festival Turbulences.

La société au cœur du travail théâtral

Le projet Création & Crise est un projet qu’elle « apprécie beaucoup car il est dédié aux étudiants qui connaissent les méthodes de travail théorique bien qu’il soit important pour les artistes d’être également en contact avec les travaux théoriques et leurs incidences ». Dans beaucoup de domaines, artistes et étudiants se penchent sur les mêmes problématiques comme la politique migratoire, les réfugiés… : « On travaille tous dans différents champs d’études, nous avons différentes façons d’approcher ces thèmes mais nous devrions nous lier, nous unir afin de soutenir la transdisciplinarité. Nous devons avoir conscience de nos propres méthodes. L’approche artistique est une démarche à laquelle je crois fortement mais je pense qu’elle a besoin d’être accompagnée par les connaissances théoriques pour façonner nos esprits. Le futur de l’éducation se forge sur la binarité universitaire et artistique, c’est très important pour les deux disciplines » conclue t-elle.

De nos jours, il est vraiment important que le théâtre prenne part aux débats actuels Maxi Obexer

Karsten Forbrig, enseignant à l’Université de Nantes, qui a également coordonné et co-dirigé le projet, était présent aux cotés de Maxi Obexer lors de l’interview. Il ajoute : « Nous allons au-delà de cette « tour d’ivoire » qu’il est important de déconstruire. C’est comme s’il existait deux mondes qui ne pourraient s’unir, se connecter l’un à l’autre. Il y a pourtant énormément de sujets sur lesquels débattre et partager ».
Maxi renchérit : « Oui et c’est important pour les deux parties ! Le théâtre a besoin de plus de monde, de toutes les « couches » de la société, de nous tous. Sinon nous nous ancrons dans un schéma théâtral où nous jouons au théâtre pour jouer au théâtre. Pourtant, de nos jours, il est vraiment important que le théâtre prenne part aux débats actuels. »

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Maxi Obexer

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Nous avons également évoqué ce pourquoi nous étions là : les représentations théâtrales. Porté par la Faculté des Langues et Cultures Étrangères (FLCE) de l’Université de Nantes, Création & Crise est un projet qui va s’échelonner sur quatre ans. Ce projet vise à brouiller les frontières, à décloisonner les mondes, à échanger et débattre autour des crises sociétales, culturelles et politiques actuelles.
Durant le processus de création, il était impensable, selon eux, de ne pas évoquer la ville de Nantes qui possède une lourde histoire autour de la traite négrière et de l’esclavage. Karsten Forbrig explique : « Lors de notre première rencontre à Berlin, nous avons tout de suite abordé le sujet de la migration sur lequel Maxi s’interroge beaucoup et ensuite nous avons décliné le terme « migration » en plusieurs types, historiquement parlant. Nous sommes arrivés à la conclusion que ce sujet était indissociable de l’histoire de Nantes. Peu importe le résultat final, nous devions dire quelque chose à ce propos et ça a été le point de départ ». Maxi Obexer atteste : « Nous devons tous affronter notre propre histoire pour comprendre comment nos questions politiques actuelles sont encore liées à elle. »

Le sujet [des migrations est] indissociable de l'histoire de Nantes Karsten Forbrig

Affronter sa propre histoire pour s’en libérer

Concernant les méthodes de travail, ils ont mis en contact des compagnies locales d’artistes émergents et certains d’autres nationalités : des Allemands, des Français et des Brésiliens. Ceux-ci ont rencontré Maxi en amont du projet, ils ont échangé via Skype et quand ils sont arrivés à Nantes, ils ont commencé à travailler autour des recherches, à discuter avec les étudiants : « C’était les premiers pas pour entrer dans le vif du sujet. » Lors de ces débats menés avec les étudiants, ils ont eu l’impression qu’ils ne connaissaient pas tellement le passé historique de leur propre ville : « Nous pensions qu’ils seraient beaucoup plus concernés par ce sujet et ce n’était pas le cas. Il y a eu des moments surprenants, comme lors de notre rencontre avec Jean, membre de l’association Les anneaux de la mémoire. Il nous a alors parlé de cette histoire et nous étions tous éberlués, les Nantais et Nantaises y compris… C’était déroutant.»


A voir sur le site du Vlipp, l’article sur Création et crise, ainsi que les vidéos réalisées pendant le festival Turbulences.


Lors de ces étapes de défrichage, ils ont notamment visité le Mémorial de l’abolition de l’esclavage et ont ainsi décidé de se focaliser sur cette approche, jugeant qu’il s’agissait d’une « partie suffisamment riche » sur laquelle travailler : « Nous devions réduire notre champ de recherches à une approche particulière car c’est une histoire dense ». Maxi Obexer justifie ce choix ainsi : « Je pense que c’est une très bonne approche car ça a une résonance particulière avec nos débats actuels. Nous devons prendre conscience du temps que cela nous a pris pour en arriver à l’abolition. Nous avons conscience des injustices mais cela nous demande beaucoup de temps pour les démanteler, les résoudre. Au-delà de démontrer ces connexions concrètes à notre actualité, il fallait les prouver d’un point de vue artistique.»

A présent, les choses évoluent à vitesse grand V, à travers les médias nous avons les informations et la connaissance des crises actuelles, pourtant nous reproduisons les erreurs passées. Selon Maxi Obexer, il faut que « chaque génération fasse face à ça » : « Nous répétons les mêmes processus que nos parents et nos grands-parents, nous nous confrontons aux mêmes interrogations, aux même questions, nous avons les mêmes impressions sur les injustices qui se produisent autour de nous (…) Des personnes se battent et nous rappellent que l’esclavage, par exemple, existe toujours. »

Nous répétons les mêmes processus que nos parents et nos grands-parents, nous nous confrontons aux mêmes interrogations, aux même questions, nous avons les mêmes impressions sur les injustices qui se produisent autour de nous Maxi Obexer

L’idée pour cette première année autour du projet était de se concentrer sur les travaux de Maxi Obexer. Pour le premier projet, ils ont alors choisi Das Geisterschiff (Le Vaisseau fantôme) et ont étudié ce texte avec les étudiants afin de créer une pièce : « Ce projet est une sorte d’approche classique au théâtre : nous avons choisi un texte, nous l’avons décortiqué, il a été traduit par certains des étudiants. Nous présenterons cette pièce lors du festival de théâtre amateur au Théâtre du Sphinx en mai à Nantes et aussi deux fois à Rostock (en Allemagne, ndlr) en juin. C’est une sorte de continuité avec les projets théâtraux que nous avons effectués ces dernières années. » Grâce à ce nouveau cadre de travail ils vont « essayer de continuer à travailler en se focalisant sur un sujet particulier, un auteur précis afin de créer une synergie entre les cours que nous donnons à l’université mais aussi avec les activités extra-scolaires que l’on entreprend en incluant au maximum les étudiants.»

Le Vaisseau fantôme, une vidéo du Vlipp.

Ensuite, pour le second projet, ils ont « jeté un œil sur les autres textes de Maxi » en se basant principalement sur l’approche de la traduction. Ils ont analysé Illegal Helpers « qui est plus de l’ordre du théâtre-documentaire que Le Vaisseau fantôme ». Il s’agissait d’une expérimentation grandeur nature mélangeant des méthodes, confrontant des approches, des façons de penser et en travaillant en commun. Cette expérimentation devait aboutir à une forme scénique : « Ça aurait pu être une installation, ou juste une lecture, une pièce radiophonique… ça aurait pu être beaucoup de choses, nous étions très ouverts et nous étions curieux de voir ce qui allait se passer.» A l’image des scientifiques, ils ont proposé plusieurs configurations et ont attendu de voir ce qui allait se produire : « Des conclusions en ressortent et c’est ainsi qu’ils créent des connaissances. Nous avons essayé d’adapter ce modèle à notre façon de travailler. Le résultat est une performance de 20-30 minutes. Nous sommes nous-mêmes toujours un peu curieux puisque c’est un processus de création qui n’est pas vraiment dirigé par une personne mais c’est quelque chose de dynamique », une alchimie en constante progression.

Le résultat est surprenant et touchant, frappant. Nous avons particulièrement aimé Sans titre – sans nom, des réflexions scéniques autour de la migration. Un projet qui nous invite à nous interroger, sur nos inactions face à la crise migratoire actuelle, sur la manière dont nos pays « accueillent » les réfugiés. Et si une crise majeure arrivait en Europe…où irions-nous ?

TUR-BU-DANSE !

De ma fenêtre, je vois...

Curieuse de tout et surtout de l'info, Romane (se) pose beaucoup de questions. Salariée de Fragil, elle écrit sur l'éducation aux médias et la musique actuelle !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017