• Wendy Vitse, Laureline Lejeune et Anaïs Harté du collectif L'Envers Libre porteuse du spectacle Unfuckables
6 novembre 2025

Unfuckables, un virage engagé pour le Théâtre 100 Noms

Au Hangar à Bananes, le Théâtre 100 Noms consacre une partie de sa saison 2025-2026 à une programmation plus engagée en faveur de l’égalité Femme-Homme. Sous l’impulsion de son directeur Clément Pouillot, les propositions mêlent émotions, humour et réflexion politique. Parmi les spectacles phares, Unfuckables du collectif L’Envers Libre Créations incarne un féminisme vivant, joyeux et sans concession.

Unfuckables, un virage engagé pour le Théâtre 100 Noms

06 Nov 2025

Au Hangar à Bananes, le Théâtre 100 Noms consacre une partie de sa saison 2025-2026 à une programmation plus engagée en faveur de l’égalité Femme-Homme. Sous l’impulsion de son directeur Clément Pouillot, les propositions mêlent émotions, humour et réflexion politique. Parmi les spectacles phares, Unfuckables du collectif L’Envers Libre Créations incarne un féminisme vivant, joyeux et sans concession.

« La joie des gens, ça fait hyper plaisir », confie Anaïs Harté, membre de L’Envers Libre Créations aux côtés de Laureline Lejeune, Wendy Vitse et Aurélie Bapst. Ces quatre comédiennes et autrices d’Unfuckables inscrivent leur spectacle dans la programmation annuelle du 100 Noms, aux côtés des comédies grand public habituelles du lieu et de spectacles plus engagés.

Le spectacle Unfuckables à retrouver pour une dizaine de représentations au 100 Noms, jusqu’en juin 2026. © Amélie Fortin, 31/10/2025

À l’origine du projet, une envie commune des quatre amies de longue date : « écrire un spectacle féministe en partant de nos histoires personnelles », résume Laureline. Très vite, le titre Unfuckables s’impose. D’abord une blague, il devient manifeste. Wendy ironise sur le stéréotype sexiste : « on dit souvent aux féministes qu’elles sont imbaisables parce que quand on “devient” féministe, on devient “moche” ». Anaïs complète : « on aimait bien aussi le côté “je ne vais plus me faire baiser, tu m’as eu, tu m’auras plus.” »

Le spectacle met en scène quatre femmes décidant d’écrire une lettre au patriarcat. « Elles rencontrent beaucoup d’embûches, métaphores des difficultés d’être une femme dans ce monde », résume Laureline. Entre fiction, absurde et liberté totale, les comédiennes jouent pour être, sans se poser de questions, ni s’excuser, et surtout pour se faire plaisir.

La broderie offerte par Anaïs à Laureline, souvenir de Berlin qui « date d’hyper longtemps ». © Amélie Fortin, 05/11/2025

Elles finalisent la pièce en 2023. La diffusion reste complexe à cause « d’une sorte de tiédeur à programmer ce spectacle pour le contenu, des fois rien que pour le titre » révèle Wendy.

Mais le public suit. Les représentations données aux alentours du 8 mars 2024 et 2025 affichent souvent complet. Des retours enthousiastes, de nombreux remerciements et une audience mixte et captivée qui rit, se reconnaît et s’interroge. Le féminisme d’Unfuckables passe d’abord par la scène avec une mise en scène chorale, émotionnelle et capable de toucher tout le monde. Wendy évoque cette volonté d’ouverture, elles ont « fait au mieux pour écrire le spectacle pour qu’il puisse s’adresser pas qu’aux personnes déjà convaincues ou déjà féministes […], que ça soit pas fermé, que ça soit populaire ». Objectif réussi, la pièce rejoint la programmation du Théatre 100 Noms pour la saison 2026.

Du rire à la réflexion : le pari d’un théâtre “populaire” et “politique”

Aux côtés d’Unfuckables, le 100 Noms programme cette année des pièces qui abordent liberté d’expression, masculinités toxiques ou violences sexistes et sexuelles, sans sacrifier l’exigence artistique.

« Depuis cette saison, je trouve qu’on a une belle programmation, c’est assez engagé et politique. » Clément Pouillot

Une orientation nouvelle pour ce théâtre privé de l’île de Nantes. À son arrivée en 2017, Clément fait évoluer une programmation jusque-là centrée sur l’humour. « Il fallait transformer le lieu, amener un nouveau public », explique-t-il. La Quinzaine Féministe, lancée en 2020, s’installe rapidement comme temps fort, avant que les thématiques égalitaires ne s’étendent à l’année. Le directeur se félicite de cet élan « depuis cette saison, je trouve qu’on a une belle programmation, c’est assez engagé et politique », mais déplore que pour certains sujets « on aurait pu les traiter plus tôt ».

À l’entrée du théâtre, Clément Pouillot nous parle avec enthousiasme d’un autre spectacle phare : Chattologie, une conférence pour briser le tabou des règles © Amélie Fortin, 31/10/2025

En fil rouge, Clément défend un théâtre accessible au plus grand nombre : « Je crois beaucoup à un théâtre populaire de qualité. Populaire au sens de “qui parle à tout le monde”. » Le directeur assume aussi la réalité d’un théâtre privé qui doit remplir sa salle. D’où la recherche constante d’un équilibre entre œuvres explicitement militantes et comédies grand public.

« C’est quand même joyeux d’y être et que je pense qu’on fait venir un public qui n’est pas totalement celui du 100 Noms. » Laureline Lejeune

Une lecture de la programmation que les comédiennes d’Unfuckables partagent, puisque Laureline revient sur leurs interrogations : « On s’est demandées si c’était le bon endroit pour le spectacle. On s’est retrouvées face au fait qu’on avait envie de le jouer, mais que c’est pas l’endroit de la militance. C’est pas l’endroit où on avait l’impression qu’on pouvait trouver notre public. Mais il se trouve que c’est quand même joyeux d’y être et que je pense qu’on fait venir un public qui n’est pas totalement celui du 100 Noms ». Elle poursuit : « En acceptant cette proposition, on a demandé à baisser les tarifs. […] Ça reste très cher, mais c’est un choix aussi de se dire que “bah d’accord, on joue dans un théâtre privé, mais il faut au moins essayer de rendre un tout petit peu plus accessible”, même si on sait bien que les personnes n’ont pas de thunes, c’est mort, elles viendront jamais. »

Les associations partenaires du Planning familial, Nosig et EndoMind seront également présentes sur des dates clés. Elles informeront les spectateur·rices et bénéficient d’un euro reversé sur chaque place vendue pendant la Quinzaine Féministe, qui devient la Quinzaine Égalité-Fierté, du 27 mai au 6 juin 2026.

L’engagement en matière d’égalité des genres se manifeste aussi en coulisses : attention portée aux conditions de travail, écoute des équipes, rappel régulier du protocole de lutte contre violences et harcèlement sexistes et sexuels. Une cohérence saluée par les artistes et intermittent·es.

L’émotion pour réunir les publics

« Le spectacle vivant, pour moi, c’est d’abord l’émotion », affirme Clément Pouillot, qui souhaite proposer des pièces qui permettent au public de se connecter à ses émotions. Il assume une programmation qui veut « planter des graines ».

Les comédiennes d’Unfuckables nuancent : « Planter des graines, j’ai l’impression qu’on se place au-dessus », estime Laureline. « Ce n’est pas à nous d’apporter une morale », complète Anaïs. Elle poursuit : « Ce qui fonctionne quand on veut être porteuse de changement, c’est de faire. Et de compter sur le fait que les gens s’inspirent si ça leur parle, mais pas dire comment faire ou de convaincre. » Elles défendent un geste ancré dans leurs expériences, l’énergie du plateau et le lien avec la salle, notamment par le rire. « Le rire, c’est vraiment un outil de désamorçage de ouf. Je pense quand même que pour tout le monde, il y a un double effet. On rit et puis après on fait “ouh la la la” »mime Anaïs.

Parmi les sièges bientôt occupés par les Nantais·es, Clément Pouillot s’amuse du « cliché » de la photo. © Amélie Fortin, 05/11/2025

Reste à mesurer l’impact d’une saison entière. Clément Pouillot se fixe un horizon sobre : « Que les spectacles soient vus ». Et, si possible, que la « clientèle habituelle » se frotte aux spectacles engagés.

Unfuckables et la programmation du 100 Noms partagent finalement cette même idée d’un féminisme qui ne moralise pas, mais qui autorise. Qui ne sermonne pas, mais qui relie. Pour « continuer le combat », conclut Clément Pouillot. Pour « être nous, enfin », répondent les comédiennes d’Unfuckables.

Pour aller plus loin

Unfuckables au Théâtre 100 Noms les 18 novembre, 16 décembre 2025 puis 27 janvier, 10 février, 3, 24 et 31 mars, 2 juin 2026.

Curieuse, passionnée et lumineuse, Amélie a cette envie sincère de faire rayonner la culture et la solidarité nantaise.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017