8 février 2018

Pour que vive Marianne…

Marianne pleure, rit, pense et rêve sous les crayons de Baptiste Chouët. Elle nous livre ses pensées intimes, celles d'une République un peu perdue, légère et profonde : humaine avant tout.

Pour que vive Marianne…

08 Fév 2018

Marianne pleure, rit, pense et rêve sous les crayons de Baptiste Chouët. Elle nous livre ses pensées intimes, celles d'une République un peu perdue, légère et profonde : humaine avant tout.

Ce n’est pas la première fois que Baptiste Chouët se retrouve dans les mailles de Fragil. Déjà en 2016, Fatma Ben Hamad lui consacrait un portrait alors qu’il faisait ses débuts comme dessinateur de presse. Deux ans plus tard, ce Nantais, co-fondateur du studio de communication visuelle Babel Arts, l’Œil de Chouët dans les colonnes de Ouest-France, livre sa première BD aux Editions Marabout. Interview.

Fragil : Quel a été l’élément déclencheur de cet album, Le Journal de Marianne?

Baptiste Chouët : Le projet est très ancien. Depuis que je commence à avoir une conscience politique, un intérêt pour l’Histoire, pour les questions citoyennes et républicaines… Je suis tombé un peu amoureux du personnage de Marianne quand j’avais 20-25 ans. De tous les symboles nationaux, je pense que c’est un des plus aimés parce que c’est un symbole assez doux. Chez la plupart des Français, Marianne renvoie une image positive. Il y a des symboles plus belliqueux comme l’hymne national. Marianne, elle, représente les belles valeurs, pour faire très simple.

Fragil : Qu’as-tu recherché en travaillant ce symbole républicain ?

Baptiste Chouët : Le projet est double. J’avais à la fois l’idée de traiter l’histoire française, l’actualité, d’avoir une réflexion sur ce qu’il se passe dans notre pays. Et je voulais aussi réaliser un travail spécifiquement sur Marianne. J’ai voulu voir ce qu’il y avait derrière le buste, derrière le symbole. […] Même si chacun connait ce symbole, ça reste une figure solennelle, un buste dans une mairie. On se questionne peu sur ce que représente Marianne dans les consciences collectives.

Fragil : Cette bande-dessinée, qui se présente comme un journal intime, démarre en septembre 2015. Quelques mois après l’attentat à Charlie Hebdo. Est-ce que les événements de 2015 ont contribué à mettre en œuvre ton projet ?

Baptiste Chouët : Oui. Je me suis vraiment lancé dans le dessin de presse après les attentats de Charlie Hebdo. J’ai voulu alors réaliser ce projet et faire vivre Marianne.  Un peu comme une nécessité urgente. J’ai aussi trouvé dans ces événements un bon début au récit. L’idée était de traiter du malaise du pays, du malaise de notre République, pour aller vers une image qui ne soit pas uniquement négative.

Fragil : Au début du récit, Marianne est déprimée…

Baptiste Chouët : Parce que la France est déprimée.

Fragil : Elle s’interroge beaucoup, parfois trop selon ses copines… Elle est en quête de sens, d’identité. Est-ce le reflet de l’état de notre société aujourd’hui ?

Baptiste Chouët : Oui, mais c’est aussi une volonté de travailler un personnage singulier. Sa trajectoire propre et aussi comment elle nous interroge sur des choses qui nous interpellent tous.  Sur des thèmes comme l’identité, l’histoire, une certaine responsabilité qui pèse un peu sur toutes nos épaules : la fameuse « patrie des droits de l’Homme »…  Ce sentiment ambigu et complexe vis-à-vis de notre pays. […] Marianne cherche un sens à sa vie et un lien avec les Français qu’elle a l’impression d’avoir perdu. Elle ne se sent plus légitime, une espèce de sentiment d’imposture et en même temps une certaine estime de ce qu’elle représente.

Fragil : Penses-tu que le symbole de Marianne parle aux jeunes aujourd’hui ?

Baptiste Chouët : J’ai fait un test au moment où je bossais sur le projet. J’ai demandé à pas mal de jeunes de 20 ans ce qu’il connaissait de Marianne. Je me suis rendu compte que c’est un symbole qui parle encore. Il y a évidemment plus de distance que les générations précédentes. Mais c’est un repère visuel avec le tableau de Delacroix, le bonnet phrygien, etc. Après, ça reste strictement de l’ordre du symbole. Marianne, c’est la France, point.

Fragil : Tu  apportes un petit côté girly à cette Marianne qui va sur « Adopte une République », qui sort avec ses copines Europe et Italia, etc. Pourquoi cette légèreté alors que tu cherches à montrer la profondeur du personnage ?

Baptiste Chouët : Pour en faire un personnage moderne. C’est venu tout seul, en m’inspirant de femmes que je connais ou que j’ai connues. Je mets dans Marianne des comportements que je vois autour de moi. [..] Cette légèreté m’a aussi permis de garder à distance des sujets dans lesquels je ne voulais pas me retrouver piégé.

Fragil : Quels étaient ces pièges ?

Baptiste Chouët : Typiquement, les sujets politiques, partisans. Je voulais mettre en scène un questionnement sur la République, son rapport aux Français. Tout ça dans le prisme de l’actualité de 2015 à 2017 avec les élections, les primaires… Mais je ne voulais surtout pas avoir l’air de prendre parti. Mettre en scène Marianne dans des scènes humoristiques, c’est une manière de ne pas perdre de vue la thématique principale de mon travail : la profondeur derrière le symbole, le lien de Marianne avec les Français.

Fragil : Pour autant, les politiques ne sont pas absents de ton récit. Comment les as-tu mis en scène ?

Baptiste Chouët : Marianne se sent seule, pense à Victor Hugo et Jean Jaurès… Elle aimerait bien qu’on lui parle d’avantage. Sous-entendu qu’on montre plus de ferveur pour les valeurs républicaines et surtout qu’on questionne plus ces valeurs, qu’on leur donne une vision.  J’aborde les politiques comme des prétendants souvent décevants. Marianne est beaucoup flattée, voire instrumentalisée, à chaque campagne présidentielle. Mais personne ne s’interroge sur ce qu’elle pense. Personne n’a de vision républicaine. « Ils en veulent tous à mon cul » dit-elle à un moment. Elle est très déçue mais pas totalement blasée. Un peu naïve, avec des attentes.

Fragil : Marianne est entourée de personnages secondaires : Europe, Italia, John, Sam… Autant de symboles de pays occidentaux. Des personnages qui la soutiennent et lui permettent de reprendre confiance. Comment as-tu composé ces personnages?

Baptiste Chouët : C’est une série de parti pris. Italia est la plus proche, parce qu’il existe un symbole républicain italien très proche du nôtre. Italia comprend la fracture entre Marianne et son peuple. Europe, c’est un peu la chef de bande qu’on aime bien, mais qui est chiante. Sa relation avec Marianne est un peu explosive. John, c’est l’ami d’enfance. Elle est secrètement amoureuse de lui. Il exprime le manque, la solitude de Marianne, le fameux « roman national » dénué de questionnement.

Fragil : Tous ces personnages croient en Marianne…

Baptiste Chouët : Dans l’album, ça se cristallise autour de la question des migrants. Marianne se demande pourquoi les autres continuent à croire en elle. Mais elle n’a qu’une crainte : que ça s’arrête. Elle aussi, elle sait qu’elle est la patrie des droits de l’Homme et elle se demande jusqu’à quand l’imposture va durer, parce qu’elle ne sent pas à la hauteur.

Fragil : Du point du vue graphique, comment as-tu construit cette bande-dessinée ?

Baptiste Chouët : J’ai mis longtemps à la mûrir. Des échanges avec plusieurs éditeurs m’ont permis de rythmer le récit. On a donc des pages où on voit Marianne vivre des scènes en direct et des pages de journal intime. Des cases classiques pour les saynètes et des échappées graphiques pour son journal. Au final, on est plus proche du roman graphique que de la BD.

Fragil : Tu travailles pour un studio à Nantes, tu piges pour Ouest-France. Quelle est l’avenir de ta Marianne dans tout ça ?

Baptiste Chouët : Ce que j’adorerais, c’est continuer à la voir évoluer. Elle évolue dans la BD. Elle évolue sur sa propre page Facebook. Et quand j’aurai à l’utiliser pour un dessin de presse, j’adorerais qu’elle ait sa nouvelle tenue, une attitude en phase avec l’évolution du personnage. En attendant, je l’espère, de faire une suite en BD.

Propos recueillis par Pierre-Adrien Roux

Dessins : Le Journal de Marianne, B.Chouët aux éditions Marabout

Photo : Pierre-Adrien Roux

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Vivir y otras ficciones

Un temps journaliste, roule aujourd'hui pour l'Information Jeunesse... Enseigne à droite, à gauche. Membre du CA de Fragil. #Medias #EMI #hiphop #jazz et plein d'autres #

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017