26 avril 2018

Omar Meftah, amuseur anti-politiquement correct, à fleur de peau, à fleur de mots

Omar Meftah a présenté tout le mois d’avril son dernier spectacle percutant « Sans rancune maman » au Théâtre du Sphinx de Nantes. Il a accepté de se livrer en toute liberté à Fragil qui a pu aller voir ce qui se cache derrière sa carapace d’humoriste.

Omar Meftah, amuseur anti-politiquement correct, à fleur de peau, à fleur de mots

26 Avr 2018

Omar Meftah a présenté tout le mois d’avril son dernier spectacle percutant « Sans rancune maman » au Théâtre du Sphinx de Nantes. Il a accepté de se livrer en toute liberté à Fragil qui a pu aller voir ce qui se cache derrière sa carapace d’humoriste.

Il est arrivé de Grenoble pour se poser à Nantes il y a dix ans. A grandi à St Martin d’Hères. N’a pas trouvé sa place à l’école, se sentait à l’écart, pas mauvais, mais pas en phase. Se souvient de la conseillère d’orientation qui a cassé son rêve de devenir médecin, lui qui admirait son médecin de famille. Qui lui conseille de faire de la chaudronnerie. Première rupture, entre ses rêves de gosse et la réalité du monde des adultes. En arrivant au lycée, il vit le décalage entre son niveau, lui issu d’une « Zone d’Élevage de Pauvres » et les exigences du lycée. Certaines rencontres, à côté, lui permettent de continuer à cultiver son amour des mots : en particulier grâce à ce prof qui lui donne des cours de français tous les soirs pour lui apprendre la grammaire, l’orthographe, comment s’exprimer, quoi lire. Il fait un bac littéraire mais ne va pas jusqu’au bout, abandonne en terminale, ne se présente qu’à l’épreuve de philo. Il a déjà un sentiment d’injustice : dans ce quartier populaire, préservé de la violence, ordinaire en sorte, seuls deux copains poursuivent des études générales. Tous les autres ont été orientés en filière technique. Et il comprend vite que le domaine associatif relève davantage de l’achat de la paix sociale que d’un réel désir de tirer les gosses vers le haut. Dès l’âge de neuf ans, il rencontre l’écriture. Se plonge dans la poésie, sa mère lui corrige ses premiers poèmes, lui conseille les rimes qui sonnent bien. A quinze ans, il est édité par une maison d’édition grenobloise. Fierté d’être reconnu. Pourtant il sent qu’il ne fait pas partie de cette sphère restreinte. Il est encouragé à continuer d’écrire mais préfère d’autres modes d’expression pour toucher plus large, atteindre tous ceux qui ne lisent pas de livres. Il cite Ferré « La poésie ça ne rapporte rien », tout en reconnaissant que son existence est nécessaire.
Il confie que la colère qu’il porte en lui vient de sa mère, son geôlier de l’enfance, dans un modèle patriarcal paradoxalement dominé par la figure maternelle. Sa mère issue d’une famille de sept enfants, d’un milieu très puritain, avec le grand-père tirailleur algérien, puis opposant partisan du FLN, commerçant qui a monté les premiers salons de coiffure à dix euros, respecté dans sa communauté. Très silencieux, tout en retenue à la maison, très expressif à l’extérieur. Sa mère qui a voulu élever ses enfants sans la violence de la tradition mais y a substitué ce qu’il appelle « une violence de cœur », en surprotégeant ses enfants. Une mère louve qu’on ne tue jamais. IL va naturellement vers tous les excès, pour vivre une vie de rocker punk, en faisant tout pour que sa mère le sache. Il comprend, plus tard, que tout ne venait pas d’elle.

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Omar Meftah

Yassine Latrache

La figure du père nourricier l’a accompagné. Un père qui aurait eu du mal à être formateur, mais est là pour les protéger. Un homme arrivé d’Alger en 1972 pour mener une vie libre, détruire ses frustrations, se marie tardivement. Président d’apparat qui appelle sa femme son premier ministre.
La révolte elle s’installe aussi lorsque les profs écorchent son nom et pas celui des polonais. Il dit ne se sentir ni français ni algérien. C’est du rejet social dont sa révolte se nourrit. Les cas sociaux les plus lourds, il les rencontre chez les français blancs, en bas de chez lui. Ils les fait rire, ceux-là. La détresse, chez lui, elle est différente, car l’odeur du paprika embaume comme pour insuffler du beau dans le laid. Il apprend le code de déontologie de la police par cœur pour s’armer intellectuellement et pouvoir répondre avec une arme qu’il sait plus imparable que toute autre : les mots.
Il fréquente des associations, où il côtoie le pire et le meilleur : le pire, ce sont les référents animateurs qui enferment les gamins dans des activités qui ne comblent pas leurs désirs d’ailleurs comme si ils ne méritaient pas de rencontrer des écrivains, des financiers. Il prend vie-te conscience que l’argent distribué aux associations n’aide pas vraiment à soutenir les projets ambitieux des minots du quartier. Le meilleur, ce sont des rencontres humaines dans la maison de quartier, comme ces échanges avec un groupe de papous.
A 16 ans il rêve d’être une star, à 20 ans, il rêve qu’on l’écoute et aujourd’hui il souhaite qu’on reconnaisse ce qu’il a à dire. Il ne rêve plus de remplir des salles, mais de trouver des espaces où il puisse partager ce qu’il a à dire en toute liberté. Le mot provocateur lui plait : tester les limites, le cadre religieux, familial.
Son talent de comédien il l’a acquis à force de travail. En observant la nature humaine, en écrivant, en jouant, en écoutant les conseils de femmes en particulier. La répétition inlassable, le rythme, son côté perfectionniste suffisent d’après lui à expliquer son talent. Il suit les conseils reçus de ses ainés : Smain qui lui parle de maitrise, Popeck qui lui parle d’amour, Bigard qui lui parle de bienveillance. Des rencontres fabuleuses, auxquelles il croit.
Le prix de la formation c’est aussi de jouer gratuitement pendant des années.
Sa première scène c’est au TNT à Nantes. A l’époque il était plus en retenue, et depuis la colère ne cesse de prendre place sur scène.

Amuseur public ? Pas seulement. Tel le griot qui flatte ceux à qui il s’adresse et en profite pour réveiller l’air de rien leur conscience endormie. Libre. Intransigeant. Hyper sensible. Aux injustices. A la détresse humaine. A cette France dans laquelle il ne se reconnait pas : celle des assignations à résidence identitaires, , des peurs, des frilosités . Il dit être en colère contre l’être humain, il déteste le lisse, la bienpensance, les dossiers de subvention avec leur jargon formaté.
Il cite souvent 2001 comme point de non-retour qui a entrainé la montée en puissance des communautarismes, des replis, des hypocrisies, des silences, des égoïsmes. Il trouve insupportable que les plus faibles ne soient pas défendus. Le harcèlement de rue, les personnes faibles agressées dans le rue qu’on ne défend pas. Avec des lueurs d’espoir parfois. Il a conscience qu’il est un vecteur de langage, que c’est un acte politique , qui permet d’éviter de monter des barricades.

Derrière le charme, l’humour incisif, la tendresse pour ces personnages ( Kevin-Abou Merguez qui rêve de djihad le voisin du Hlm) la colère gronde. Il rêve de reconnaissance tout en affirmant se contenter d’une vie sans artifice. Il aimerait gagner des millions comme certains de ses copains qui ont réussi mais refuse les compromissions que cela implique. Il refuse de jouer l’arabe de service. De jouer la racaille lors d’un casting pour France 3. IL rêve de voir des figures de juges, d’avocats, des modèles positifs dans lesquels les gamins pourraient s’identifier.
Il aimerait voir un film à la Rabbi Jacob qui dépeindrait un imam maladroit et donnerait l’image d’une communauté diverse et complexe, qui donnerait envie d’aller voir ce qui se cache derrière le coran, comme il a eu envie de savoir ce que c’était l’hébreu après avoir vu le faux rabbin Louis de Funès.

Il écrit une nouvelle pièce, un drame à propos du djihad. Parce qu’il est tout sauf indifférent. Parce qu’il aimerait secouer le monde. Parce qu’il ne se résoud pas aux égoismes actuels. Il aimerait vivre des aventures collectives sans égos, sans pouvoir . Entier, il déteste ce qui est lisse, aime ce qui dérange, et possède une foi en l’autre intarissable.
Il nous chatouille là ou ça nous dérange. Les média BFM , W9 en prennent pour leur grade. De ses déceptions il a su faire une force. Une force qu’il transpose sur scène où il donne vie à des textes drôles, incisifs, percutants, grinçants parfois. Joue de son charme pour asséner des vérités derrière un humour qui pique à vif. Fait confiance à l’intelligence du public pour repérer que ce qui nous lie est plus important que ce qui nous sépare. Que la religion c’est aimer, que les idées reçues, elles n’existent que parce qu’on les reçoit. Que rire de nos petites faiblesses et lâchetés nous rassemble dans un devenir commun et qu’il va bien falloir ensemble, faire avec. Le public ne s’y trompe pas et le suit en complicité dans ses portraits sans concession de lui et de personnages faibles et attachants. Il comptera encore longtemps sur la scène de l’humour. Et au-delà : on aimerait le voir mettre ses talents de comédien et d’écrivain au service de rôles d’envergure. Ceux qui lui offriront cette possibilité ne le regretteront pas tant son jeu à fleur de peau est puissant.

Alors, sans rancune, on accepte qu’il dissèque nos petites faiblesses, qu’il secoue nos idées reçues sans que personne ne les ait envoyées et on dit : encore !

Formation: Création d'une frise chronologique numérique

Edwy Plenel discute démocratie à Audencia

Critiques de cinéma et questions politiques, religieuses et sociales se rencontrent et s'entremêlent dans les papiers de Nathalie. Élue au Conseil d'administration de Fragil, Nathalie sème également des "Poussières d'images" sur JetFM.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017