27 février 2018

Avec NMcube, PressPepper repense son avenir

Raconter la tension d’une salle d’audience en réalité virtuelle. Diffuser l’information judiciaire sur Snapchat... Le journaliste nantais Guillaume Frouin, fondateur de l’agence PressPepper, interroge son métier à travers le dispositif NMcube. Rencontre.

Avec NMcube, PressPepper repense son avenir

27 Fév 2018

Raconter la tension d’une salle d’audience en réalité virtuelle. Diffuser l’information judiciaire sur Snapchat... Le journaliste nantais Guillaume Frouin, fondateur de l’agence PressPepper, interroge son métier à travers le dispositif NMcube. Rencontre.

Sur son métier, Guillaume Frouin est intarissable.  A 37 ans, le journaliste nantais fondateur de l’agence PressPepper, spécialisée dans la chronique judiciaire régionale, a 16 années de journalisme derrière lui. Diplômé de l’IUT de Tours, correspondant de presse cinq ans dans les Deux-Sèvres, journaliste trois ans à 20 Minutes Paris, huit ans à 20 Minutes Nantes, correspondant pour Reuters depuis 2006… En 2014, il quitte 20 Minutes pour créer son entreprise. Un pari loin d’être gagné d’avance.

Quatre ans et 5000 dépêches plus tard, l’heure est au bilan flatteur pour PressPepper. Une cinquantaine de journaux (quotidiens et hebdomadaires) consomme ses dépêches dans l’Ouest. Deux antennes ont vu le jour avec à leurs têtes les journalistes Carole André à Rennes et Benjamin Morin à Caen. PressPepper  a su combler un vide en investissant des tribunaux parfois délaissés par la presse écrite classique, faute de moyens.

Depuis janvier 2018, Guillaume Frouin participe à l’incubateur nantais NMCube lancé par deux clusters (Ouest Médialab, Creative Factory) et deux établissements d’enseignement supérieur nantais (Audencia Sciencescom – Audencia Business School et Polytech).  Un dispositif à destination d’entreprises du secteur des médias, en partie financé par le Ministère de la Culture et de la Communication dans le cadre du Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse.

Sept projets se nourrissent de formations, d’échanges et d’ateliers pour (ré)inventer les médias de demain  et faire évoluer les pratiques. Des entreprises naissantes ou des acteurs déjà en place comme Euradio, Grabuge, PressPepper…  Au programme surtout, des rencontres qui viennent bousculer les idées reçues : Éric Scherer, directeur de prospective France Télévision, Alexandre Brachet, fondateur de Upian, pour ne citer qu’eux.  Un an à être coaché et à s’interroger sur les pratiques médiatiques actuelles. Après six semaines d’incubation, Guillaume Frouin témoigne de son expérience.

Fragil : Votre agence est déjà en place depuis plusieurs années. Pourquoi participer à NMcube ?

Guillaume Frouin :  Je me suis aperçu, avec le lancement de PressPepper Rennes  et PressPepper Caen, que c’était énormément d’énergie. Je l’ai fait de façon empirique à partir de mon expérience à Nantes mais j’ai touché certaines limites. Quand j’ai lancé PressPepper à Nantes, je connaissais les besoins d’information des médias nantais, j’ai démarché des confrères dont je mesurais la fiabilité. Avec  Rennes et Caen, il a fallu mettre en place  toute une logistique, apprendre à travailler avec de nouvelles personnes, etc. Si demain, l’objectif est d’aller plus loin sur le territoire français, il nous faut une méthode, un tutorat.

Fragil :  Que vous apporte cet incubateur ? 

Guillaume Frouin :  NMcube m’oblige à faire un pas de côté, à sortir des salles d’audience et de cette urgence qu’on a d’informer les lecteurs sur les décisions de justice. Ce pas de côté me permet de penser l’après-demain de l’agence, de réfléchir à comment procéder à moyen-long terme. Prendre un peu de  hauteur, voir où on veut aller et comment y aller. […] NMcube nous donne notamment accès au réseau de Ouest Medialab et à des séances de formations, de réflexions, etc. On reprend les bases. Comment monter un projet, comment le structurer, le faire évoluer.

Fragil :  Est-ce aussi une manière de repenser l’exercice de la profession de journaliste ? 

Guillaume Frouin :  Oui et c’est primordial. Ce n’est pas comme si notre secteur connaissait une croissance à deux chiffres ! Dans tous les types de médias, on est en crise existentielle à se dire : comment je peux produire de l’information en étant compétitif, sans déstabiliser notre lectorat qui nous fait vivre tant bien que mal. Il faut qu’on se questionne, qu’on accepte de se remettre en cause. Cela suppose de mobiliser des effectifs pour se dégager de la pression du quotidien… Et ça, c’est compliqué car la crise économique a fait que les effectifs des rédactions sont exsangues. On travaille en service minimum avec des professionnels qui, pour la plupart, sont des passionnés et donnent déjà tout.

Fragil :  Au-delà de la question économique, est-ce que, selon vous, la profession accepte cette nécessité d’une remise en question ? 

Guillaume Frouin :  On n’est pas forcément réfractaire au changement dans le milieu journalistique mais souvent, on attend de voir. On ne prend pas trop de risque… Ce qui m’avait fasciné quand j’avais lancé PressPepper, c’était le monde des startups. Cette capacité à essayer. Et si ça rate : ce n’est pas grave.  C’est ce que nous expliquait Jean-Marc Charlot, enseignant-chercheur à Audencia Business School, lors d’une formation à NMcube : « tout projet innovant comporte un risque ».  Le tout est de minimiser ces risques. Mais si on veut innover, on doit accepter la possibilité de l’échec.

Fragil :  Quelle pourrait-être l’évolution de PressPepper, au regard de vos premières semaines passées à NMcube ? 

Guillaume Frouin :  Je garde l’idée que l’information judiciaire doit être diffusée au public le plus largement possible. Il en va du bon fonctionnement démocratique : être informé sur ses droits. Mais la crise étant, je me dis qu’on ne peut pas compter uniquement  sur la presse pour diffuser cette information. Il faut peut-être diversifier les canaux de diffusion, atteindre de nouveaux lecteurs pour qui  l’information judiciaire locale est capitale : avocats, notaires, DRH par exemple.

Fragil : Envisagez-vous de nouveaux supports ? 

Guillaume Frouin : Il faut réfléchir à la manière dont l’information circule aujourd’hui et s’adapter à ces évolutions.  NMcube me permet d’envisager des éventualités improbables. Lors d’un atelier, j’ai dû travailler sur la question de la réalité virtuelle. Pour moi, c’était à mille années-lumière de l’exercice de mon métier. Mais, après tout,  ça peut avoir du sens. Les tribunaux et les salles d’audience constituent un monde clos. Montrer cette réalité, ça peut avoir une utilité sociale. Autre exemple, pourquoi ne pas faire de l’information judiciaire sur Snapchat ? Si on voulait toucher les jeunes, c’est là qu’ils sont. On peut raconter une même information de mille façons différentes. Ça a toujours été le cas avec la radio, la presse écrite, la TV… Aujourd’hui, d’autres supports sont là. Ce qui compte, c’est qualité du travail journalistique, la fiabilité de l’information.

Fragil :   Quel conseil principal donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite créer un média d’information aujourd’hui ?
Guillaume Frouin :
  De ne pas prétendre avoir trouvé LA recette miracle. D’expliquer calmement son projet, son intuition et d’affirmer qu’on peut tous bosser ensemble, grands et petits, médias d’horizons différents… Pour le bien commun du journalisme : diffuser l’information.

Propos recueillis par Pierre-Adrien Roux

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Un temps journaliste, roule aujourd'hui pour l'Information Jeunesse... Enseigne à droite, à gauche. Membre du CA de Fragil. #Medias #EMI #hiphop #jazz et plein d'autres #

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017