10 juillet 2020

Nana : « libérée, dé… gradée » ?

Revenue sur le devant de la scène à l’occasion de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle le 28 mai dernier, la publicité Nana sortie fin septembre 2019 n’en reste pas moins toujours vivement critiquée. Si la première a été créée pour sensibiliser à l’importance d’une bonne hygiène menstruelle chez les jeunes filles et les femmes de par le monde, la seconde en revanche, sous couvert de « lever des tabous » autour des règles et de l’intimité de la femme, n’a reculé devant rien… « Osez tout », c’est justement le slogan de cette publicité.

Nana : « libérée, dé… gradée » ?

10 Juil 2020

Revenue sur le devant de la scène à l’occasion de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle le 28 mai dernier, la publicité Nana sortie fin septembre 2019 n’en reste pas moins toujours vivement critiquée. Si la première a été créée pour sensibiliser à l’importance d’une bonne hygiène menstruelle chez les jeunes filles et les femmes de par le monde, la seconde en revanche, sous couvert de « lever des tabous » autour des règles et de l’intimité de la femme, n’a reculé devant rien… « Osez tout », c’est justement le slogan de cette publicité.

En septembre dernier, la marque de protections intimes Nana sortait un nouveau spot publicitaire, un spot qui est loin d’avoir fait l’unanimité… Alors que beaucoup se sont enthousiasmés de ce qu’ils et elles considèrent comme un pas en avant pour la libération de la femme, d’autres personnes se sont dites choquées, outrées, écœurées, voire scandalisées par ce spot publicitaire qu’ils jugent honteux, vulgaire, dégradant ou encore affligeant.

« Viva la vulva » : ainsi est intitulée cette campagne de trois minutes dans sa version longue, et trente secondes dans sa version courte. La publicité y représente la femme, et plus précisément son sexe, dans une atmosphère de légèreté et de bonheur. Les images s’enchaînent, montrant des choses de la nature et du quotidien, des mets et des fruits, tout à coup détournés, « métaphorisés » en vulves. Tout y passe : coquillages, huîtres, pêches, pamplemousses, papayes… mais aussi muffins, portemonnaies, marionnettes, origamis… sans oublier les fameuses lingettes Nana, ou encore une fleur de douche rose bonbon, qui se dandinent au rythme de la danse, jusqu’au plus innocent jeu de pliage pour enfants, la cocotte en papier.  Chacun de ces objets, pris isolément ou placé à l’endroit adéquat sur le corps d’une femme, est personnifié, avec notamment une bouche – des lèvres – qui sourit et qui chante…

Une mélodie joyeuse et entraînante, dont les paroles sont ici attribuées aux femmes, fières de leur sexe au sens littéral : « You’re so rare, You’re so fine, I’m so glad you’re mine. » (« Tu es si rare, tu es si belle, je suis si heureuse que tu sois mienne. »). Ainsi chantent les vulves… Sur l’air de Take Yo’Praise, une chanson de Camille Yarbrough sortie en 1975, les femmes – représentées par une vulve – chantent qu’elles doivent « célébrer » leur sexe, « en faire les louanges comme elles le devraient » (« I have to celebrate you, baby, I have to praise you like I should »). Des paroles qui, à l’époque, avaient été écrites par la musicienne américaine, activiste et poétesse, pour la défense et le respect des droits des Noirs. Une chanson originellement dédiée, en un mot, à l’égalité.

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Capture d'écran de la publicité "Viva la Vulva"

Nana

« Cette campagne peut en effet surprendre« 

À celles et ceux qui crient au scandale, la marque Nana rétorque que « cette campagne peut en effet surprendre » et qu’ils « l’assument ». Et d’arguer que « le but de cette vidéo n’est pas de montrer des vulves, mais de les représenter de manière positive, artistique et symbolique afin de libérer la parole autour de ces sujets qui restent encore tabous chez beaucoup de personnes. » La marque se défend de « briser un tabou » en mettant sur la table ce que seraient les règles : du sang (qui chante lui aussi…) sur une serviette hygiénique. Plus authentique que le liquide bleu habituel, cette exposition crue de l’intimité des femmes en emballe certains, en dérange d’autres, mais suscite surtout moult railleries : « Heureusement que vous ne vendez pas de papier toilette… », ironise par exemple un commentaire Youtube.

Mais la frontière reste ténue quant à ce qui devrait faire la fierté des femmes, selon Nana. La publicité célèbre-t-elle le sexe féminin en tant qu’organe reproducteur, avec l’exposition de ce que sont les règles ? Célèbre-t-elle le sexe féminin en tant qu’objet de désir ?…

Sous couvert de lever des tabous autour du corps des femmes et de les décomplexer (« 1 femme sur 2 pense que sa vulve n’est pas parfaite », peut-on lire en introduction de la publicité sur Youtube), Nana expose ainsi aux yeux de tous, adultes comme enfants, le sexe féminin, mille fois suggéré, à travers différents objets de tous les jours. Au fil de la publicité, le nombre de vulves données à voir va crescendo : vers la fin, en quelques secondes à peine, on passe d’une dizaine de dessins schématisant le sexe féminin à une vingtaine de cupcakes ornés de lèvres… puis à plus d’une quarantaine d’origamis-vulves, remuant joyeusement au gré de la musique. Une métaphore à la limite de l’obsession : même au détour d’une robe entrouverte ou de rideaux roses se refermant, la comparaison avec le sexe féminin est une énième fois évoquée.

Délibérément réduite à son sexe, la femme est ici, et sans détour, objet : objet dont on se nourrit (fruits), objet qui se vend, qui s’achète (porte-monnaie)… Mais on aurait tort de s’indigner, s’offusquent sur les réseaux sociaux celles et ceux qui voient en cette campagne une avancée pour la libération des femmes, celles et ceux qui voient derrière ces scènes gentillettes voire infantilisantes, une mise en valeur de la femme et de sa féminité, l’image de la femme décomplexée…

Les commentaires des internautes ne sont pas tendres envers les personnes choquées par cette publicité. Taxées de « coincées », de « pudibondes », parce qu’elles disent leur trouble, parce qu’elles estiment que Nana est allée trop loin : Nana a fait un amalgame entre ce qui relève du tabou et ce qui relève de l’intime. Et elles sont nombreuses ces femmes qui décrivent un « malaise », la sensation d’une « violation de l’intimité » à la vue de ce spot, quelque chose qui heurte de plein fouet leur sensibilité, le respect qui leur est dû, leur intégrité de femmes.

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Capture d'écran de la publicité "Viva la Vulva"

Nana

« Notre intention n’est pas de choquer mais au contraire d’éduquer pour lever les tabous qui existent autour du corps de la femme.« 

Même les enfants – petits garçons et petites filles – et les adolescents, rapportent les parents sur les sites de réseaux sociaux, se sont sentis « gênés », « écœurés », voire ont « détourné les yeux » : bon nombre d’entre eux auraient, malgré leur jeune âge, bien identifié la chose. Cette chose qui serait tellement « taboue » que, pour la « dé-tabou-ifier », Nana a choisi d’en faire subir une sorte de matraquage. C’est d’autant plus révoltant pour certains parents, tout à fait conscients de l’allusion récurrente qui est faite au sexe dans les médias, et dont ils veulent protéger leurs enfants. Encore une fois, la marque se défend : « Notre intention n’est pas de choquer mais au contraire d’éduquer pour lever les tabous qui existent autour du corps de la femme. » Et aux parents de répliquer que ce n’est pas à la télévision de faire l’éducation de leurs enfants, si tant est que l’on puisse parler d’éducation…

« Malvenue », « déplacée », « humiliante », « sans intérêt », « indécente », « lamentable », « inadmissible », « racoleuse », « obscène », « ignoble », « abjecte »…, les mots ne manquent pas auprès des internautes pour exprimer le désarroi ressenti face à cette publicité. La campagne publicitaire Nana est une « insulte à la femme » pour certains, une « grosse marche arrière pour les combats de la cause féministe » pour d’autres.

À l’heure où la femme est exposée à moitié nue pour vendre tout et n’importe quoi, à l’heure où les diktats de « beauté » auxquels elle doit se soumettre conditionnent de plus en plus son identité, en somme à l’heure où, plus que jamais réduite au statut d’objet sexuel, elle peine à se faire entendre, respecter, à imposer ses opinions ou encore à accéder à des postes à responsabilités, la marque Nana ne serait-elle pas allée un peu trop loin ? Certains ont, depuis quelque temps déjà, leur avis sur la question…

En effet, il y a neuf mois, à peine sortie sur le petit écran, la campagne publicitaire Nana faisait scandale. Aussitôt, une pétition avait été créée sur Change.org par une certaine Saloua R. dans le but de la retirer. « Cette pub montre une image dégradante de la femme », explique l’initiatrice de la pétition sur la page dédiée. Indignée qu’un spot publicitaire aussi choquant puisse être visible par tous, même par les téléspectateurs les plus jeunes, Saloua R. décrit sa révolte : « STOP au Buzz, STOP au « vendre à tout prix », STOP aux publicités choquantes, STOP à la dégradation de l’image de la femme… », et incite chacune et chacun à signer.

Si la pétition a pour le moment récolté plus de 18.000 signatures, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a d’ores et déjà tiré sa conclusion depuis le 5 novembre dernier, en refusant que la publicité disparaisse des écrans : « Les images en cause, si elles ont pu surprendre, sont directement en lien avec les produits promus et ne peuvent être considérées comme véhiculant une image dégradante de la femme. » En attendant, un grand nombre de femmes outrées par cette campagne publicitaire annoncent fièrement sur les réseaux qu’elles boycotteront désormais la marque.

Ainsi, il semblerait que le corps de la femme, encore une fois, ait été exploité par la publicité, alors même que les femmes constituent la cible exclusive de Nana… « Éduquer », « briser des tabous », « décomplexer », tels ont été les arguments de la marque pour séduire, pour convaincre, pour vendre… ; l’objectif ultime de la pub. Et vraisemblablement, tous les moyens sont bons, quitte à choquer, diviser, pour faire le buzz…

De formation scientifique, Lola s’est orientée vers des études en langues étrangères puis en psychologie. Auteure autoéditée et relectrice indépendante, elle aime lire tout autant qu’écrire, et apporte sa petite touche personnelle à Fragil sur des sujets qui l’inspirent.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017