17 octobre 2022

L’exposition «Départ d’usines» passage Sainte-Croix raconte en photos le déclin industriel de Nantes

Quel meilleur regard pour comprendre un tournant historique que celui des photoreporters qui travaillent dans les journaux locaux. En couvrant l’actualité, ils et elles sont les témoins de nombreuses fermetures et démolitions d’usines. Leurs photos retracent cette mémoire ouvrière disparue. Elles sont à découvrir jusqu’au 19 novembre passage Sainte-Croix à Nantes.

L’exposition «Départ d’usines» passage Sainte-Croix raconte en photos le déclin industriel de Nantes

17 Oct 2022

Quel meilleur regard pour comprendre un tournant historique que celui des photoreporters qui travaillent dans les journaux locaux. En couvrant l’actualité, ils et elles sont les témoins de nombreuses fermetures et démolitions d’usines. Leurs photos retracent cette mémoire ouvrière disparue. Elles sont à découvrir jusqu’au 19 novembre passage Sainte-Croix à Nantes.

Des usines qui déménagent comme les conserveries Saupiquet, Armor ou la Manufacture des tabacs, des chantiers navals qui ferment comme Dubigeon ou les ACB, des usines qui disparaissent comme la raffinerie de Chantenay, Amieux ou les locomotives Batignolles, des usines qui sont démolies comme les grands moulins de la Loire ou les brasseries de la Meuse. Entre 1970 et 2000, c’est tout un pan de l’industrie nantaise qui s’est écroulé.

Des photographes ont capté·es ces moments de vie. Ils et elles ont suivi·es de près les piquets de grèves, les occupations d’usine, les manifestations parfois musclées. Ils et elles travaillaient pour des journaux comme Ouest France ou Presse Océan. Certain·es ne sont plus de ce monde comme Hélène Cayeux ou Jacky Péault. D’autres sont à la retraite comme Jean-Noël Thoinnet. Mais tous et toutes laissent derrière elles et eux une œuvre qui les dépasse.

Manifestation des ouvriers du chantier Dubigeon Normandie
Photo de Jean-Noel thoinnet prise entre 1983 et 1986

Travailler pour l’Histoire

«Quand je partais sur une manif …» raconte Jean Noël Thoinnet, qui a débuté sa carrière à Presse Océan comme dessinateur de presse avant de devenir photographe, «je ne me doutais pas que je travaillerais pour l’Histoire et que mes photos seraient exposées dans un centre culturel. Je me débrouillais pour être là au bon moment au bon endroit pour faire la photo la plus pertinente».

Avec le recul, il se rend compte qu’il a vécu bien des changements : des usines démolies, des quartiers rasés, un monde qui s’est transformé pour laisser place à des bureaux.

Chantelle à Saint-Herblain
Photo prise par Hélène Cayeux en 1981

Des archives qui subliment le réel

Ces photos prises sur le vif, en pleine action, en noir et blanc, ont une valeur patrimoniale inestimable. Mais elles ont aussi une valeur esthétique car elles racontent des souffrances, des colères, des combats.

Celle qui a sans doute le mieux perçu cette désespérance humaine mais aussi cette énergie collective, c’est Hélène Cayeux, photoreporter à Ouest France et à l’AFP. A la fin de sa vie, elle a rassemblé ses 40 000 clichés pour les confier au Centre d’Histoire du Travail et pour écrire un livre «A l’imparfait de l’objectif».

Xavier Nerrière, aujourd’hui iconographe indépendant et l’un des fondateur de Nantes en Noir et Blanc, l’a bien connue. En expert, il reconnaît son talent. «J’ai une véritable intimité avec elle car j’ai classé le fond qu’elle a déposé au Centre d’Histoire du Travail. Elle aimait ce monde du travail et a dressé de beaux portraits d’ouvrières et d’ouvriers».

Démolition des brasseries
Photo prise par Patrick Garçon en 1987

Des visages qui donnent de la chair

En fait chaque photoreporter a sa sensibilité d’artiste pour sublimer le réel. Pour Hélène Cayeux, ce sont les visages qui donnent de la chair aux conflits sociaux. Pour Jacky Péault, c’est la force du quotidien. Daniel Garnier, ancien rédacteur chef de Presse Océan, l’a côtoyé. Pour lui, «il n’y avait jamais de petits évènements ou de sujets mineurs dans son objectif».

Certain·es regretteront peut-être que ces photos ne soient pas en couleurs mais comme l’explique Jean Noël Thoinnet, «on n’avait pas le choix. A l’époque la couleur n’existait pas».

Vernissage de l’exposition Passage Sainte-Croix le 6 octobre 2022

Une conservation qui laisse à désirer

Les journaux n’avaient pas non plus le souci de la conservation de ces photos.
«Il fallait faire vite» explique Jean-Noël Thoinnet. «On transmettait les photos par belin et on les retouchait au crayon noir. Quant aux négatifs, beaucoup ont disparus ont sont en mauvais état».

Aujourd’hui, avec le numérique, ce serait certainement plus facile de les classer et de les archiver. Les exposer comme des œuvres d’art est un acte fort. Le mérite en revient au Passage Saint-Croix. L’exposition dure jusqu’au 19 novembre. Elle est enrichie par des projections au Cinématographe les 19 et 20 octobre, des ateliers du Photo club nantais les 26 et 27 octobre et une table ronde sur le métier de photojournaliste le 17 novembre.

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Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017