30 juillet 2021

La téléréalité analysée avec les jeunes détenus de l’établissement pénitentiaire pour mineurs d’Orvault

Dans le cadre d'un partenariat avec l'établissement pénitentiaire pour mineurs d'Orvault, Fragil a animé une série d'ateliers d'éducation aux médias destinés aux jeunes détenus durant l'été 2021. Retour sur l'un d'entre eux dédié au décryptage de la téléréalité.

La téléréalité analysée avec les jeunes détenus de l’établissement pénitentiaire pour mineurs d’Orvault

30 Juil 2021

Dans le cadre d'un partenariat avec l'établissement pénitentiaire pour mineurs d'Orvault, Fragil a animé une série d'ateliers d'éducation aux médias destinés aux jeunes détenus durant l'été 2021. Retour sur l'un d'entre eux dédié au décryptage de la téléréalité.

C’est dans une salle de classe, au premier étage de l’établissement pénitentiaire pour mineurs d’Orvault, que l’animateur de Fragil a accueilli son public du jour. Quatre jeunes hommes de moins de 18 ans sont accompagnés par l’une des employées du service éducatif. Regroupés en cercle autour d’une table, les adolescents sont là pour un atelier d’1h45 traitant de la téléréalité. Qu’ils soient consommateurs où non de ce type de contenu, le temps d’échange est aussi un prétexte pour évoquer le fonctionnement des médias et les mécaniques de création de contenu.

Une définition sous l’angle du sexisme

Pour introduire le sujet, l’animateur de l’atelier a demandé à chacun des participants d’inscrire sur le tableau blanc de la classe le premier mot qui leur venait à l’esprit quand ils pensaient à “Téléréalité”. Après être passés deux fois au tableau, une tendance générale s’est dégagée. En effet, pour les participants la téléréalité est principalement perçue à travers les candidates et leur hypersexualisation.  Les mots “pute”, “folle”, “Milla”, “Nabilla” (ces deux prénoms étant ceux de candidates récurrentes d’émissions de téléréalité) ayant été ceux qui ont généré le plus de commentaires dans le temps d’échange. On notera l’absence de prénom de candidat masculin au tableau, ainsi que celle de mots à valeur positive pour les candidates. Cette discussion a permis à l’animateur d’évoquer, avec les adolescents, les réflexes sexistes encouragés par de nombreuses émissions de téléréalité. Confrontés au caractère discriminant de leur discours, les participants n’ont pas fermé la porte à un début de remise en question qui pourra se poursuivre avec l’accompagnement de l’éducatrice.

Jeu de classement « téléréalité »

Un jeu de classement pour évoquer les différentes productions

L’atelier s’est poursuivi avec un jeu de classement de cartes représentant une trentaines d’émissions de téléréalités. Invités à classer les cartes selon la méthode de leur choix, les quatre jeunes ont opté pour un classement par type d’émission. Les téléréalité d’enfermement (Loftstory, Secret story…), les concours de talents artistiques (The Voice, Star Academy…),  les concours de talents culinaires (Le Meilleur Patissier, Top Chef…), les téléréalité de semi-enfermement (Anges de la Téléréalité, les Marseillais…), autant de genres de programmes qui ont permis d’évoquer la notion d’audience. Chaque programme s’adressant à un type d’audience en particulier, les participants ont pu définir les différentes cibles publicitaires qu’ils visent. Ainsi, là où “Les Anges de la Téléréalité” permettront à une chaine de vendre de la publicité à des annonceurs visant les 15-25 ans, la chaîne diffusant “Chasseurs d’appart” visera plus facilement les actifs de classes moyennes ou supérieures en recherche immobilière.

Images utilisées pour débattre des ressorts de la téléréalité

Des clichés pour discuter de la recette des émissions de téléréalités

Afin de conclure l’atelier, l’animateur a présenté au groupe trois images. Sur la première, des castings de différentes téléréalités françaises ont permis de faire prendre conscience aux participants du manque de diversité de ces émissions comme le soulignait en 2020 le Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes. Que ce soit au niveau de la couleur de la peau ou des types de corps féminins et masculins, la téléréalité alimente une vision stéréotypée et inégalitaire du monde. La deuxième image, rebondissant sur la première, présentait différentes villas, toutes construites autour d’une piscine. Interrogés sur la raison de la récurrence de la présence d’un bassin dans les maisons où sont tournées ces émissions, les adolescents ont pu réaliser en discutant entre eux que ces piscines avaient pour objectif de présenter des corps en maillot de bain à l’antenne, alimentant l’hypersexualisation des candidats et candidates évoquée plus tôt. Enfin, une image de candidats et candidates se criant dessus, ou se “clashant” selon le vocabulaire dédié, a permis aux participants à l’atelier d’évoquer la scénarisation des épisodes à travers ces moments forts.

Ce temps d’échange et de débat à permis aux participants d’évoquer un sujet qui alimente leur quotidien, tout en prenant du recul sur leur consommation de ce type d’émission et sur la manière dont les médias fonctionnent.

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Chargé de projets numériques et médiatiques chez Fragil depuis 2017, musicien, auteur, monteur... FX est un heureux touche-à-tout nantais. Il s'intéresse aux musiques saturées, à l'éducation aux médias, aux cultures alternatives et aux dystopies technologiques.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017