“Il faut faire autre chose à côté, sinon tu deviens bête”, “Je suis dans la vigne en attendant d’être dans un fauteuil [roulant, NDLR]” : ces phrases sont celles de deux des travailleuses dont le documentaire “Femmes précaires” dresse le portrait. La première, Danielle, enchaîne les CDD dans un centre de tri postal, où elle réalise des tâches répétitives et peu stimulantes pour 800 à 1000 euros nets par mois. La seconde, Agnès, est ouvrière viticole durant 9 mois de l’année pour 900 à 1100 nets mensuels. Malgré son hernie discale, les médecins ne la jugent pas suffisamment handicapée pour être déclarée inapte à travailler dans les vignes.
Sans fioritures, le journaliste et réalisateur Marcel Trillat nous emmène dans le quotidien de femmes du monde ouvrier dont les problématiques sont bien connues d’Ève Meuret-Campfort et d’Annie Guyomarc’h, les deux invitées de la soirée du 8 novembre. En tant que sociologue du genre, du travail et des mobilisations pour l’une et qu’ancienne ouvrière de Chantelle à Saint-Herblain pour l’autre, elles ont en effet proposé compléments d’informations et retours d’expérience aux participant·es de l’événement, à travers un temps de questions-réponses de 50 minutes environ.
“Si on ne s’était pas battues, ils nous auraient bouffées !”
D’abord hésitante à rejoindre le devant de la scène, Annie Guyomarc’h s’est rapidement sentie en confiance pour raconter un pan de son histoire de “fille de Chantelle”, une appellation qui désigne les ouvrières de la fabrique de lingerie de Saint-Herblain qui se mobilisèrent notamment contre la délocalisation de la production dans les années 1980. L’usine a fermé ses portes en 1994 et Annie est désormais retraitée, mais le discours de cette rebelle autoproclamée suggère encore un certain ressentiment, ainsi qu’une réelle admiration pour les luttes menées par les nouvelles générations contre la précarité.
Annie Guyomarc’h identifie le manque d’organisation, au sens syndical du terme, comme difficulté majeure des femmes précaires du documentaire projeté avant l’échange. Son analyse est complétée par celle d’Ève Meuret-Campfort, qui définit la création de collectifs comme “la grande conquête des femmes” face à une précarité à la fois financière, temporelle et projectionnelle. La sociologue présente aussi l’agilité et la flexibilité comme les nouveaux termes de la précarité, prouvant ainsi que la dénonciation des situations professionnelles instables est l’enjeu d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Si un public d’habitué·es a majoritairement répondu présent lors de la séance du 8 novembre, les cycles organisés par Ciné Femmes dans le cinéma de la rue des Carmélites sont en réalité ouverts à toute personne désireuse de mettre des images et des mots sur des thématiques féministes aussi complexes et essentielles que le droit à l’avortement ou la santé des femmes.