8 novembre 2019

Jacques Offenbach sur un plateau de télévision à Saint-Céré

Le festival de Saint-Céré a célébré cette année le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach (1819-1880) en programmant au Théâtre de l’Usine « La vie parisienne », mise en scène par Olivier Desbordes et Benjamin Moreau, transposée dans les années 1960 avec une formidable réorchestration de François Michels, aux couleurs des émissions de variétés de l’époque : un tourbillon d’énergie, de rythmes et de théâtre !

Jacques Offenbach sur un plateau de télévision à Saint-Céré

08 Nov 2019

Le festival de Saint-Céré a célébré cette année le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach (1819-1880) en programmant au Théâtre de l’Usine « La vie parisienne », mise en scène par Olivier Desbordes et Benjamin Moreau, transposée dans les années 1960 avec une formidable réorchestration de François Michels, aux couleurs des émissions de variétés de l’époque : un tourbillon d’énergie, de rythmes et de théâtre !

L’équipe réunie pour cette « Vie parisienne », en tournée jusqu’en mai 2020, est composée essentiellement de comédiens chanteurs. L’ouvrage a été conçu pour une troupe de théâtre lors de sa création en 1866 au Théâtre du Palais Royal. Il est régulièrement repris par des chanteurs d’opéra, et Angers Nantes Opéra l’a monté dans une mise en scène de Carlos Wagner en 2011, avec le baryton Christophe Gay dans le rôle de Gardefeu, mais deux productions marquantes ont été interprétées par des acteurs, celle de Jean-Louis Barrault en 1958, et celle d’Alain Françon à Lyon en 1991, avec Hélène Delavault en Métella et Jean-François Sivadier en Gardefeu. Le contexte de la création de 1866 est celui d’une bourgeoisie triomphante et de progrès scientifiques, où le Baron Haussmann métamorphose l’architecture de Paris. Les années 1960 sont également une époque où tout semble encore possible, une période de reconstruction et d’idéaux. La parodie occupe cependant une place importante dans l’œuvre d’Offenbach, et l’euphorie se décline dans un étourdissant jeu de masques, où personne n’est à sa place. Le monde de la télévision montré ici est celui d’une représentation éphémère, où chacun poursuit un rêve de gloire et de paillettes.

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Le monde de la télévision montré ici est celui d’une représentation éphémère, où chacun poursuit un rêve de gloire et de paillettes.

Nelly Blaya

Un jeu de masques

Dans « La vie parisienne », un couple de riches suédois, le baron et la baronne, viennent visiter Paris. Gardefeu, sous le choc d’une déception sentimentale dans la gare où ils arrivent, a l’idée de se substituer au guide, de leur faire découvrir la capitale et des héberger chez lui. Cette mascarade amène des quiproquos en rafales, des rencontres improbables et de multiples travestissements. Des valets prennent la place de maîtres absents, pour faire croire à une table d’hôtes. Le jeu de masques est assez proche du théâtre de Marivaux ; chacun peut sortir ici, le temps d’une soirée, de sa condition sociale.

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Christophe Lacassagne, Baron au look de crooner

Alexandre Calleau

On aspire à être star un jour…

Dans le spectacle d’Olivier Desbordes et de Benjamin Moreau, on aspire à être star d’un jour, et il y a de l’émerveillement à participer à ce show télévisé. Les airs connus d’Offenbach ont l’aspect de numéros ou de tubes, Christophe Lacassagne chante « Je veux m’en fourrer jusque-là » du Baron, relooké en crooner, avec des accents qui rappellent Dick Rivers ou Eddy Mitchell, Thierry Jennaud joue un brésilien qui « a de l’or » avec la gestuelle tourbillonnante de Claude François, dans un costume doré et entouré de danseuses, tandis que Diana Higbee donne à l’air de Métella « C’est ici l’endroit redouté des mères » toute l’intensité des chansons populaires des années 30, illustrées notamment par Fréhel (1891-1951). Clément Chébli (qui joue aussi Joseph, dont Gardefeu a pris l’identité !) filme ces chanteurs, dans de très beaux gros plans qui traquent leurs émotions. Les images du vidéaste sont retransmises en direct sur des écrans, comme dans la mémorable « Traviata » de 2016 à Saint-Céré.

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Anandha Seethanen en baronne suédoise venue visiter Paris.

Nelly Blaya

Du noir et blanc à la couleur

La confusion dans l’ordre social est récurrente dans l’œuvre d’Offenbach. Dans « La Périchole », une chanteuse des rues devient favorite d’un Vice-Roi, La grande duchesse de Gerolstein (dans l’ouvrage du même nom) fait gravir par amour tous les échelons de la hiérarchie militaire au soldat Fritz, en quelques phrases.

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Une même impression de désordre règne sur ce plateau de télévision

Nelly Blaya

Rabbi Jacob et le gendarme de Saint-Tropez

Une même impression de désordre règne sur ce plateau de télévision, l’urgence et la fièvre du plateau sont bousculées par les coups de théâtre et les malentendus. Les références à des films accentuent le délire, Lionel Muzin, bottier décalé et irrésistible, reprend la danse truculente de Louis de Funès dans « Rabbi Jacob » (1973), et revient en gendarme de Saint-Tropez. Lors du finale, on reconnaît aussi les sœurs jumelles des « Demoiselles de Rochefort » (1967).

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Le passage à la couleur

Alexandre Calleau

Le passage à la couleur pour que la fête soit encore plus belle.

La mise en scène est pleine d’invention joyeuse, et l’énergie de tous est débordante. Les écrans montrent aussi des réclames de l’époque, ou de petits films, en interludes, lors des coupures de programmes. L’une des grandes métamorphoses entre les deux parties du spectacle est le passage à la couleur, pour que la fête soit encore plus belle.

Le triomphe de la fête

L’orchestration et les arrangements de François Michels donnent de nouveaux reliefs et d’autres couleurs à la partition. Les rythmes sont modifiés, et certains effets sont géniaux, car les mélodies sont les mêmes et on a du plaisir à les reconnaître sous ces contours inattendus. Les références sur scène à Nana Mouskouri, Sylvie Vartan ou Sheila reflètent d’autres citations de music-hall à l’orchestre. Jacques Offenbach, déjà, avait recours à des citations, pour accentuer la parodie. On reconnait par exemple un passage de l’opéra « Guillaume Tell » de Rossini (1829) dans «  La belle Hélène », ou de « La favorite » de Donizetti (1840) dans « La Périchole ». Tout est prétexte à donner un côté festif, et le jeu sur la partition qui est proposé ici reflète complètement l’esprit du compositeur.

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La chorégraphie, assurée par Fanny Aguado est essentielle, et également très inventive

Nelly Blaya

L’aspect délirant et même surréaliste de certains passages…

La chorégraphie, assurée par Fanny Aguado (qui jouait le double muet de Violetta dans « Traviata ») est essentielle, et également très inventive. Elle accentue l’aspect délirant et même surréaliste de certains passages, comme la scène extravagante de la veuve d’un colonel, où la soprano Morgane Bertrand joue avec ses beaux aigus de façon désopilante. On se réjouit de retrouver, dans le rôle de Pauline, Lucile Verbizier, émouvante Colette dans « Le devin du village » de Rousseau l’année dernière, dans un tout autre répertoire.

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La troupe de "La vie parisienne", rejointe par Olivier Desbordes

Alexandre Calleau

Un véritable feu d’artifice…

La fin est un véritable feu d’artifice, et toute la troupe s’empare de ce « Feu partout », dans un éclatant bonheur d’être sur scène, et de jouer. C’est un spectacle qui fait du bien, et qui rend heureux.

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Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017