6 septembre 2018

Un opéra de Jean-Jacques Rousseau à Saint-Céré

On ignore souvent que Jean-Jacques Rousseau était aussi musicien. Il a composé un petit opéra, « Le devin du village », un intermède musical en un acte créé à la cour de Fontainebleau en 1752. Le philosophe évoque cet ouvrage au huitième livre des « Confessions ». L’une des idées passionnantes de l’édition 2018 du festival de Saint-Céré a été de monter cette rareté.

Un opéra de Jean-Jacques Rousseau à Saint-Céré

06 Sep 2018

On ignore souvent que Jean-Jacques Rousseau était aussi musicien. Il a composé un petit opéra, « Le devin du village », un intermède musical en un acte créé à la cour de Fontainebleau en 1752. Le philosophe évoque cet ouvrage au huitième livre des « Confessions ». L’une des idées passionnantes de l’édition 2018 du festival de Saint-Céré a été de monter cette rareté.

La mise en scène a été confiée à Benjamin Moreau, conseiller artistique au festival de Figeac, où le spectacle a également été représenté. A Saint-Céré, ce « devin du village » était joué dans le cadre enchanteur du Château de Montal, à proximité des champs et des bois, de cette nature que Rousseau aimait tant. Benjamin Moreau nous a accordé un entretien, au lendemain d’une représentation.

« Une histoire de gens simples. » Benjamin Moreau

Fragil : Qu’est-ce qui vous touche dans « Le devin du village » de Jean-Jacques Rousseau ?
Benjamin Moreau : C’est la place que cet ouvrage laisse à la vraie beauté du chant populaire, avec une sincérité dans l’émotion, même s’il y a aussi une construction intellectuelle. C’est une histoire de gens simples. Ce qui m’interroge, c’est la continuité de cet opéra comique avec la pensée de Rousseau philosophe : ce « Devin du village » pose également la question de la recherche d’un bonheur désormais accessible, qui ne passe plus seulement par le salut, comme auparavant.

Fragil : Quel rapport Rousseau entretenait-il avec la musique et avec l’opéra ?
Benjamin Moreau : Il a découvert la musique assez jeune, et avait de vraies ambitions, allant jusqu’à inventer un système de notations musicales, qui a été balayé par Jean-Philippe Rameau. Il a aussi été copiste de partitions, ce qui n’est pas rien. C’est l’exemple de l’autodidacte. On sait qu’il aimait beaucoup les opéras italiens. On lui doit une lettre pour l’encyclopédie et un dictionnaire sur la musique. Quand par ailleurs on lit ses écrits sur le théâtre, il parle beaucoup du « Misanthrope », qui était pour lui une figure positive. Il ne voulait pas, comme Molière, représenter les travers humains, mais envisageait la représentation comme une communion avec le public, une véritable fête populaire : Jean-Jacques Rousseau était fasciné par les retraites aux flambeaux. Il souhaitait rendre le spectateur actif, ce en quoi il annonce Brecht. Sa conception du théâtre a conduit à un point de rupture avec Diderot et D’Alembert. De même, dans sa musique, il a cherché la vérité du sentiment plus qu’une construction savante.

« Quand on joue cette œuvre, on doit retrouver cet étonnement de toute chose. » Benjamin Moreau

Fragil : Comment présenteriez-vous votre spectacle ?
Benjamin Moreau : Le sujet n’est pas mythologique, c’est une pastorale naïve et le livret fait penser au théâtre de Marivaux. C’est une suite très simple d’évènements, pris pour ce qu’ils sont, où l’on est dans l’émerveillement immédiat. Quand on joue cette œuvre, on doit retrouver cet étonnement de toute chose. J’ai fait le choix d’un certain statisme au début : des chanteurs, et aussi une musicienne, disent des textes. Ainsi, chacun s’approprie quelque chose qui n’est pas forcément son art. Toute la musique est de Rousseau et seul, l’avant-dernier air est de Philidor, qui l’avait composé dix ans après la création, pour étoffer ce « Devin du village ». Le dernier air « Allons chanter sous les ormeaux » est devenu un chant révolutionnaire, et l’ensemble « C’est un enfant », également à la fin, était certainement destiné à faire participer le public. L’ouvrage a connu un grand succès, il a été représenté devant Louis XV, et Marie-Antoinette a joué Colette dans son théâtre .Il y a eu de nombreuses parodies.

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/09/DSC01650.jpg » credit= »Alexandre Calleau » align= »center » lightbox= »on » caption= »Les saluts, à la fin de la représentation » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Fragil : Vous avez évoqué des textes, qui sont de Jean-Jacques Rousseau. De quelle manière les avez-vous choisis et comment s’articulent-ils avec l’ouvrage ?
Benjamin Moreau : Lorsque j’ai commencé à travailler pour cette commande, j’ai réuni beaucoup de textes qui se rapprochent de l’argument. Aussitôt après l’ouverture, ce sont des extraits des « Confessions », qui évoquent la genèse de l’ouvrage, et la simplicité avec laquelle c’est sorti. Il y a aussi un dialogue extrait de « Rousseau juge de Jean-Jacques », dans lequel le compositeur se justifie, suite aux reproches qui lui avaient été faits d’avoir plagié Pergolèse. Les autres textes appartiennent au livre V de « L’Emile », son roman d’apprentissage. Après Platon, aucun philosophe ne s’était ainsi intéressé à l’amour et aux rapports hommes femmes. Ces extraits trouvent une continuité dans « Le devin du village », sans l’alourdir.

« J’ai une certaine affection pour le théâtre de boulevard. » Benjamin Moreau

Fragil : Vous avez collaboré trois fois avec Olivier Desbordes, sur « La Périchole » en 2015, « La Traviata » en 2016 et « Les contes d’Hoffmann » cette année. Comment travaillez-vous ensemble ?
Benjamin Moreau : Nous nous sommes connus grâce à Michel Fau, au festival de Figeac. Je viens du théâtre et Olivier Desbordes m’a permis d’apprendre tout un langage musical. Dans nos collaborations, j’ai davantage une approche littéraire des œuvres. Pour « La Périchole », je suis revenu au texte de Prosper Mérimée « Le carrosse du Saint-Sacrement ». J’ai une certaine affection pour le théâtre de boulevard, et j’ai travaillé sur les parties théâtrales, avec du texte parlé. Dans « La Traviata », nous avons fait une inversion, un retour en arrière puisque Violetta revoit son passé juste avant de mourir. C’est finalement plus proche du roman d’Alexandre Dumas.

Fragil : Que représente pour vous le Festival de Saint-Céré ?
Benjamin Moreau : C’est un festival de créations, de lancement pour de jeunes chanteurs, et vraiment un espace de liberté. Il parvient à rendre accessible des œuvres au plus grand nombre. Saint-Céré est une petite ville, il y a donc des liens affectifs qui se tissent, et un côté familial.

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/09/DSC01634.jpg » credit= »Alexandre Calleau » align= »center » lightbox= »on » caption= »Le château de Montal » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Fragil : Vous êtes metteur en scène de théâtre et avez notamment signé « Amphitryon » de Kleist à Grenoble en 2010, et « Un homme de paille » de Feydeau, au Festival de Figeac en 2012. Qu’est-ce qui différencie pour vous une mise en scène de théâtre et celle d’un opéra ?
Benjamin Moreau : Lorsque l’on reprend une pièce de théâtre, c’est souvent très lourd de refaire ce que l’on a déjà fait, parce que ce sont les interprètes qui construisent la partition. L’accès à l’émotion est plus direct à l’opéra, on la retrouve assez vite, car la perception du temps est différente. L’enjeu est de créer des images sublimes sur ces émotions qui sont constantes ; il est plus rare de parvenir à une telle symbiose avec le texte parlé. Ces deux arts sont différents, mais le but reste le même : il s’agit de transmettre un état émotionnel à un public proche de soi.

« J’ai également en projet de monter « L’avare » de Molière. » Benjamin Moreau

Fragil : Vous allez co-signer l’an prochain avec Olivier Desbordes une « Vie parisienne » d’Offenbach transposée dans les années 60. Que pouvez-vous nous en dire et quels sont les autres projets qui vous tiennent à cœur ?
Benjamin Moreau : On va effectivement bientôt commencer à travailler sur cette « Vie parisienne ». Il y a des points communs entre ces années 60 et le second empire de Napoléon III, deux époques de changements importants. La ville monde qu’est Paris pour Offenbach, et qui exerce une telle fascination, sera transposée sur un plateau de télévision, où le baron et la baronne seront des invités. Ce spectacle sera joué l’an prochain au festival de Saint-Céré ; ce sera le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach. J’ai également en projet de monter « L’avare » de Molière, à Figeac puis à Grenoble pour la saison 2019-2020. J’écris enfin un second texte de théâtre ; après « Brand, une échappée » que j’avais monté à Figeac en 2012, et qui était un clin d’œil à Ibsen.

« Je ne manque pas de rêves… » Benjamin Moreau

Fragil : Quelles autres œuvres aimeriez-vous aborder ?
Benjamin Moreau : Je ne manque pas de rêves et, pour rester avec Ibsen, j’adorerais mettre en scène « Peer Gynt », une pièce fleuve qui dure entre 10 et 12 heures ! J’aime également beaucoup Harold Pinter, et Peter Handke. A l’opéra, je serais heureux de monter un opéra de Mozart, et particulièrement « Cosi fan tutte ».

Fragil : Pouvez-vous citer un souvenir particulièrement marquant dans votre itinéraire artistique ?
Benjamin Moreau : Ces moments sont rares, mais j’ai eu la chance de rencontrer le comédien Bruno Sermonne, aujourd’hui disparu. Il avait notamment travaillé avec Antoine Vitez, et Olivier Py. Je l’ai mis en scène dans « L’homme de paille » à Figeac, et j’ai appris beaucoup de choses avec lui. Il m’a beaucoup marqué dans une courte nouvelle de Pierre Michon, « Le roi du bois ». En le voyant jouer ce texte, on ne savait plus trop ce que l’on avait devant soi, si c’était un arbre ou un oiseau. J’ai connu de tels troubles avec Michel Fau, qui m’a également procuré de grandes joies au théâtre. Bruno Sermonne avait le talent de révéler les gens ; il était magnifique également dans « Une saison en enfer » d’Arthur Rimbaud…

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/09/DSC01667.jpg » credit= »Alexandre Calleau » align= »center » lightbox= »on » caption= »Benjamin Moreau, metteur en scène du "Devin du village" » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Alain et Nathalie Berry ont dirigé pendant 17 ans l’Hôtel de France de Saint-Céré, où nous faisons régulièrement des entretiens pour fragil, dans ce canapé devenu traditionnel pour nos photos d’artistes. Cet hôtel authentique et au charme unique risque malheureusement de fermer, malgré le beau travail de ceux qui en ont fait un lieu chaleureux. Qu’ils en soient sincèrement remerciés !

 

[aesop_image imgwidth= »35% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/09/DSC02115.jpg » credit= »Alexandre Calleau » align= »center » lightbox= »on » caption= »Alain et Nathalie Berry » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

 

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017