Fernando Trueba au Cinéma espagnol de Nantes : «Je ne comprends pas la différence de race, de religion ou de nationalité»

Samedi 12 mars, le grand réalisateur espagnol Fernando Trueba était à nouveau invité du Festival du cinéma espagnol de Nantes. Lors d’une masterclass au théâtre Graslin, il a donné à la salle une leçon d’humanisme, de générosité et d’intelligence.

16 Mar 2022

«Je suis cosmopolite. Je sais que c’est mal vu de le dire en ce moment. Mais c’est ce qui définit mon identité». Avec sa malice, son charme et l’humour qui le caractérise, Fernando Trueba n’a pas mâché ses mots contre ceux qui mènent des guerres au nom de leur nationalisme.
«Rien ne justifie que l’on détruise des maisons avec des familles qui vivent dedans» a-t-il affirmé. «Cette identité là, elle sert à se battre avec les autres et elle produit du mensonge». Une allusion sans la citer à l’invasion de l’Ukraine par Poutine.

En fait le cinéma de Trueba n’a pas de frontière. Le réalisateur madrilène a tourné aux Etats-Unis, en Colombie, en France, en Tchécoslovaquie, bref ailleurs qu’en Espagne. Voici comment il s’est défini lors de cette 31ème édition du Festival du cinéma espagnol.
«Je suis cosmopolite. Je ne comprends pas que l’on puisse faire une différence entre les religions, les races, les nationalités. Mon identité c’est le cinéma».

Fernando Trueba, fidèle au Festival du cinéma espagnol depuis 2003

Cosmopolite et francophile

Trueba est curieux. Il aime voyager, découvrir d’autres cultures que la sienne et il est très francophile. D’ailleurs à Graslin, il s’est exprimé en français pendant deux heures avec ce petit accent sifflant qui rappelle ses origines ibériques.
Petite confidence au passage : sa première petite amie était française. Ce qui lui plaisait en France, c’était la liberté qui existait à l’époque de son adolescence.

«En Espagne, tout était interdit y compris la pornographie et moi j’adore ça, la pornographie». Un écho à l’un de ses maîtres à penser Brassens et son esprit anarchiste.

Trueba : une filmographie impressionnante sur le rideau de l’Opéra Graslin

Brassens et Condorcet comme modèle

«Il était formidable pour moi car il n’hésitait pas à s’en prendre à l’ordre bourgeois, à la police, à la justice, aux bienpensants. C’est mon héros. Il est toujours dans mon cœur. Il m’accompagne partout. D’ailleurs, ça a été mon premier professeur de français».

Son autre grand modèle, c’est Condorcet, le philosophe des Lumières. «C’est le meilleur des hommes. Il a inventé la démocratie participative, repensé l’instruction, s’est battu contre l’esclavage, a défendu le droit des femmes et des homosexuels avant l’heure. Durant toute sa vie, il a cherché à améliorer la condition humaine».

Trueba l’humaniste

A l’écouter, on comprend mieux sa générosité, son ouverture d’esprit, son sens de l’humain. Tous les artistes qui l’ont côtoyé l’adorent a constaté Pilar Martinez Vasseur, la co-Présidente du Festival qui l’interviewait lors de cette masterclass. Ce qu’a confirmé l’intéressé à sa façon.
«Je ne vais pas m’amuser à torturer les comédiens et comédiennes qui tournent avec moi. Je sais que certains réalisateurs le font mais moi je préfère travailler dans la complicité, l’amitié, l’humour et quand c’est la fête sur un tournage, je suis heureux. C’est un miracle qui s’accomplit».

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Son amour pour les grecs

Fernando Trueba, l’humaniste, le francophile, le citoyen du monde a un autre amour, les grecs.
«Les grecs ont tout inventé : la tragédie pour nous aider à surmonter la mort et la malédiction ; et la comédie pour nous apprendre à rire et se moquer des puissants ».
Le cinéaste est tellement truculent, tellement passionnant qu’on l’écouterait pendant des heures. Cette année, le festival lui rend hommage en projetant au Katorza l’un des grands films : «El olvido que seremos». A voir ou revoir.

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Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017