1 octobre 2020

Émotions retrouvées à Saint-Céré

Le festival de Saint-Céré a pu être maintenu cette année sous une forme allégée mais permettant au public de revivre des émotions en direct, et de retrouver le vrai sens et le goût des applaudissements : c’est essentiel !

Émotions retrouvées à Saint-Céré

01 Oct 2020

Le festival de Saint-Céré a pu être maintenu cette année sous une forme allégée mais permettant au public de revivre des émotions en direct, et de retrouver le vrai sens et le goût des applaudissements : c’est essentiel !

L’édition 2020 du festival de Saint-Céré a été l’une des premières manifestations, au cœur de l’été, à retrouver des spectateurs. Les artistes ont pu se produire dans des propositions  réduites et des impromptus, en parfaite harmonie avec de beaux lieux du Lot. C’est ainsi que les ensembles étourdissants de Rossini, les élans romantiques de Chopin et les accords pénétrants de Bach ont bouleversé le public d’une façon encore plus forte en cette période de manque de spectacles. Nous évoquons trois concerts particulièrement marquants, avant  que Véronique Do, directrice des festivals de Saint-Céré et de Figeac, n’explique la mise en place de cette édition et annonce sa prochaine saison au Théâtre de l’Usine, qu’elle dirige également.

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Le baryton Franck Leguérinel, originaire de Nantes, lors du concert Rossini

Alexandre Calleau

Les spectateurs étaient placés dans une configuration inhabituelle et plus intime…

Cette année, le festival aurait dû afficher La Cenerentola, de Rossini, dans une mise en scène de Clément Poirée, directeur du Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes. Quatre protagonistes du spectacle, Lamia Beuque, Camille Tresmontant, Franck Leguérinel et Philippe Estèphe ont proposé un récital Rossini, accompagnés au piano par le chef d’orchestre Gaspard Brécourt,  au Château de Castelnau. Les spectateurs étaient placés dans une configuration inhabituelle et plus intime, inversée par rapport aux éditions précédentes et offrant un autre point de vue sur ce cadre grandiose. Olivier Desbordes nous a précisé que c’est dans cette disposition qu’avait été présentée une mémorable Carmen de Bizet, au début des années 80, à la naissance de cette manifestation unique en son genre. Le spectacle était signé par Jean-Luc Boutté, Sociétaire de la Comédie-Française, avec pour assistants le superbe acteur Richard Fontana et le metteur en scène Alain Garichot. Ainsi, dès l’origine, la dimension théâtrale était très importante. Cette discrète réminiscence rappelle que l’année 2020 marquait les 40 ans du Festival de Saint-Céré.

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Le château de Montal

Alexandre Calleau

Il y a ainsi quelques effets de surprise, où les chanteurs jouent avec le lieu.

Dès les premiers accords du trio du Turc en Italie, que l’on a pu voir en 2013 à Angers Nantes Opéra, l’émotion est indescriptible. Les voix se mêlent avec bonheur, et le chant appelle le théâtre. Il y a ainsi quelques effets de surprise, où les chanteurs jouent avec le lieu. Camille Tresmontant s’accompagne à la guitare pour une miraculeuse sérénade du Comte Almaviva du Barbier de Séville, avec des aigus d’une beauté indicible et une lumineuse présence. La voix de Lamia Beuque, qui joue Rosine, résonne  du balcon au-dessus du ténor, en un effet plein de poésie, où les voix semblent léviter dans le mystère de la nuit et des vocalises. Le superbe baryton Franck Leguérinel, originaire de Nantes où il s’est beaucoup produit, assure les transitions entre les airs en lisant des extraits de la Vie de Rossini écrite par Stendhal. Les arias s’enchainent aux duos et aux ensembles de façon tourbillonnante, avec de beaux effets d’ornementation, et les solistes apportent une vie incroyable à plusieurs passages de cette Cenerentola, qu’ils viennent de commencer à répéter. Philippe Estèphe donne des instants de grâce à l’air réjouissant de Dandini et Franck Leguérinel est truculent dans celui de Don Magnifico. Ces magnifiques artistes nous rendent impatients de découvrir ce spectacle l’an prochain! Lamia Beuque, merveilleuse Cendrillon,  impose aussi un tempérament intense à la figure d’Isabella, dans des extraits de L’Italienne à Alger, qu’elle sculpte avec des graves saisissants et d’éblouissantes vocalises. Gaspard Brécourt accompagne les artistes au piano, avec de somptueuses couleurs et un vrai sens du théâtre. Parmi les beaux projets de ce chef d’orchestre que l’on voit régulièrement au Festival, il dirigera en avril à l’Opéra de Marseille une version de concert des Pêcheurs de perles de Georges Bizet, avec la magnifique Patrizia Ciofi et le divin Julien Dran ! Les maisons d’opéras et les théâtres ont annoncé leurs saisons, et ça fait du bien !

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Le pianiste Gaspard Thomas, au Château de Montal

Alexandre Calleau

…il met en relief la fascinante architecture…

Le Festival a également permis de vibrer sur deux concerts de musique instrumentale d’une grande force. Le pianiste Gaspard Thomas a interprété, au Château de Montal, un récital romantique où il a une nouvelle fois montré son étonnante virtuosité. Dans les variations de Brahms sur un thème d’Haendel, il met en relief la fascinante architecture de la partition, par toute une gamme de subtiles couleurs et de nuances délicates. Les effets de contrastes sont saisissants. Il explore aussi les élans de lyrisme des Nocturnes de Chopin, dans toute leur puissance, tandis que la nuit tombe sur la cour du Château Renaissance et la campagne toute proche.

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La violoncelliste Aurélie Allexandre D'Albronn au jardin du cloitre de Carennac

Alexandre Calleau

A la fin du concert, les cloches de la chapelle retentissent pour l’Angélus de 19 heures.

Un autre concert a révélé un site prodigieux, dans la cité médiévale de Carennac, qui surplombe la Dordogne. Il était donné à 18 heures, sous une chaleur accablante mais à l’ombre des grands arbres du jardin du cloitre. Aurélie Allexandre d’Albronn a joué deux suites pour violoncelle de Bach, la suite numéro 1 et la suite numéro 3 : c’est une musique de l’âme, que cette artiste complètement habitée interprète avec d’ineffables nuances, dans un temps qui parait suspendu. Elle alterne ces suites de Bach avec une sonate de Kodaly et une autre de Ligeti, mettant en évidence de fascinants échos entre ces univers contrastés, avant de reprendre à la fin la suite numéro 1 de Bach, en un troublant recommencement. Cette artiste joue avec une ferveur incroyable, et s’empare de chaque morceau telle une actrice pénétrée par son rôle. A la fin du concert, les cloches de la chapelle retentissent pour l’Angélus de 19 heures.  Aurélie Allexandre d’Albronn va jusqu’au bout de son morceau, dans un mouvement qui n’a rien d’un combat, mais se révèle une véritable symbiose avec ces éléments qui se déchaînent.

Trois questions à Véronique Do

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Véronique Do, Directrice des Festivals de Saint-Céré et de Figeac

Alexandre Calleau

« …un clin d’œil au public pour annoncer cette Cenerentola l’an prochain. »

Fragil : Quelles ont été les contraintes de cette édition particulière du festival, et comment avez-vous élaboré la programmation ?

Véronique Do : Les contraintes sanitaires, pour le public comme pour les équipes artistiques, étaient très fortes au départ, jusqu’au 10 juillet. Elles se sont un peu assouplies ensuite. Nous avons longtemps hésité à maintenir cette édition, car le gouvernement a mis du temps à donner les conditions. Après plusieurs semaines d’incertitudes, nous avons commencé à réfléchir sur une formule a minima, avec une distanciation importante et en ne gardant qu’un siège sur trois, ce qui était difficile à envisager pour la circulation de l’émotion. C’est pourquoi nous avons pensé privilégier les lieux de plein air, avec des chaises disposées en respectant les distances, plutôt qu’une dispersion sur des gradins. Il a également fallu sécuriser les plateaux artistiques suite aux premières préconisations. Les mises en scène devaient être revues pour que les artistes ne se touchent pas, on nous demandait de maintenir un mètre entre chaque choriste et chaque musicien, et les cuivres allaient être recouverts de plexiglas, pour plaquer le souffle au sol. Même le directeur de l’Opéra de Paris a affirmé que ces mesures n’étaient pas possibles, nous avons donc dû renoncer aux orchestres et aux chœurs, en privilégiant des petits formats et des équipes artistiques réduites. L’idée était de s’appuyer sur celles qui étaient initialement programmées ; nous avons discuté avec chacune d’elles pour décider ce qu’il était possible de faire. Le calendrier a été bousculé. Ainsi, les répétitions de Cenerentola auraient dû débuter en avril, mais elles ont finalement pu se faire durant la deuxième quinzaine de juillet. J’ai demandé aux solistes de faire une proposition de sortie de résidence. C’est ainsi qu’a germé l’idée de ce récital Rossini, qui est un clin d’œil au public pour annoncer cette Cenerentola l’an prochain. Pour cette édition 2021 du festival, nous avons prévu deux opéras et un grand concert du genre de celui que nous espérions consacrer à Beethoven cette année. Mais notre priorité de cet été a été de soutenir au mieux les artistes initialement invités.

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Le jardin du cloitre de Carennac

Alexandre Calleau

« Une joie de retrouver le public… »

Fragil : Quelles sont vos satisfactions ?

Véronique Do : Ce qui nous réjouit, c’est d’avoir maintenu des rencontres entre le public et les artistes, ce qui est essentiel pour la pratique de l’art, l’emploi de ceux qui se produisent, les spectateurs qui se montrent au rendez-vous, et pour l’animation du territoire. Ces spectateurs ont changé, mais ils sont bien présents. Ceux qui n’ont pu aller à Avignon cet été ont découvert Figeac, un festival à taille humaine, et ils risquent d’y revenir. Et l’on sent, chez tous les artistes, une joie de retrouver le public, et de se dire qu’ils peuvent encore faire leur métier après tous ces mois d’incertitudes et d’angoisses.

« Cette prochaine saison, nous l’envisageons pour l’instant pleine et entière… »

Fragil : Comment envisagez-vous la prochaine saison du Théâtre de l’Usine et l’avenir du festival ? Quels en seront les temps forts ?

Véronique Do : Cette prochaine saison, nous l’envisageons pour l’instant pleine et entière, sauf si le virus nous en empêche. Nous avons prévu une quarantaine de spectacles à l’Usine, pour 90 représentations. Parmi les temps forts musicaux, nous programmons le 9 octobre un quatuor de musiciens de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, dans un programme autour de Beethoven et de Mendelssohn. Le 16 janvier, nous proposons un autre concert, du quatuor Debussy avec l’accordéoniste Vincent Peirani, pour un hommage à Claude Debussy, qui montrera en quoi ce compositeur a-t-il été précurseur du jazz. Un autre report de la saison dernière permettra d’entendre le 23 avril la mezzo-soprano Léa Desandre, révélation Artiste Lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2017, accompagnée du luthiste Thomas Dunford, dans un programme intitulé De Paris à Venise, donné en partenariat avec le Festival de musique sacrée de Rocamadour. Du côté du théâtre, il y aura notamment le 6 mars un hommage à Jacques Prévert  avec Yolande Moreau et Christian Olivier, dans un spectacle du Théâtre du Rond-Point et auparavant, le 22 janvier, la création de Moby Dick ou les enfants de Rachel, d’après Hermann Melville, dans une adaptation et une mise en scène de Stuart Seide, avec Jean-Quentin Chatelain, en coproduction avec le Centre National Dramatique de Tours.  D’autres spectacles se déclineront durant la saison. Et concernant l’édition 2021 du festival de Saint-Céré, les deux opéras prévus cette année (Cenerentola mis en scène par Clément Poirée, et le diptyque Cavalleria rusticana et Paillasse, par Eric Perez) sont à nouveau programmés, ainsi que le grand concert et le récital de Béatrice Uria-Monzon. Nous sommes heureux d’avoir bâti tous ces projets, dans une belle relation de confiance avec le public, et nous espérons que cela continue dans les années à venir.

Photo de haut de page prise à Saint-Céré par Alexandre Calleau.

Gaume : Real Rock made in Nantes

Fragil à Ligné : une journée pour apprendre à réaliser un podcast

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017