12 février 2018

Danser pour vivre

Le Grand T présentait les 22 et 23 janvier la dernière création du chorégraphe congolais DeLaVallet Bidiefono, MONSTRES / On ne danse pas pour rien, dans le cadre du festival Trajectoires. Retour à quatre mains* sur ce spectacle saisissant et fondamental.

Danser pour vivre

12 Fév 2018

Le Grand T présentait les 22 et 23 janvier la dernière création du chorégraphe congolais DeLaVallet Bidiefono, MONSTRES / On ne danse pas pour rien, dans le cadre du festival Trajectoires. Retour à quatre mains* sur ce spectacle saisissant et fondamental.

Le voyage commence. On ne sait pas encore où. On ne sait pas encore avec qui. On est dans le brouillard, dans le silence. Un homme transperce ce nuage de fumée. Le bruit du vent qui souffle vient comme une caresse souligner sa fragilité.
La troupe et le plateau apparaissent peu à peu. Un décor brut, où trois échafaudages en fond de scène tiennent lieu d’estrade aux trois musiciens multi-instrumentistes (guitare, basse, percussions et chant).

La musique part et il devient urgent de danser. Vital.
Quel bonheur de les voir évoluer, sauter, bouger, quelle joie se dégage de ces danseuses et ces danseurs. On sent l’envie et le besoin impérieux d’être sur scène, de communiquer avec leurs corps, de s’exprimer sans retenue.
Ce sourire sur leurs visages, cette force qui se dégage de ces corps, ce plaisir brut d’être ancré dans l’instant présent…

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(c)christophe-Pean

Des jeux d’ombres et de lumières donnent un air mystérieux au spectacle. Les danseurs et les danseuses portent des vêtements de couleurs vives, qui les démarquent bien du brouillard ou des ombres, comme si la danse permettait de s’élever.
La création sonore est époustouflante, éclatante, et donne la part belle aux percussions ; elle est en parfait accord avec la danse endiablée des interprètes. La musique jouée ainsi en « live », davantage qu’un accompagnement, est un élément à part entière du spectacle, une réelle valeur ajoutée.

Le public applaudit à tout rompre dès la fin du premier tableau.

Nous ne vous laisserons pas tranquilles

DeLaVallet Bidiefono, qui a créé la compagnie Baninga et le centre chorégraphique Baning’Art au Congo, s’est battu et se bat encore, avec sa troupe, pour faire vivre son art (voir précédent article de Fragil).
On sent cette rage de danser, à chaque seconde. Une rage qui se transforme en joie incommensurable et contagieuse, qui irradie l’ensemble de la salle.

En plus des huit danseuses et danseurs, DeLaVallet Bidiefono a travaillé avec la dramaturge Aurélia Ivan, dont l’univers radical et engagé a largement influencé la mise en scène du spectacle, ainsi qu’avec Rébecca Chaillon, performeuse, qui intervient sur scène à plusieurs reprises.
Tour à tour drôle ou provocatrice, parfois vulgaire, elle prononce un long discours, avec des paroles vraies, simples, elle ne passe pas par quatre chemins. Comme une chanson de rap. Elle dénonce la réalité et les horreurs du monde avec beaucoup d’humour, et aborde des sujets tabous, ce qui est peu courant dans un spectacle de danse. Elle a des paroles de rébellion, comme si elle nous poussait à combattre avec elle.

Et la troupe se tient derrière elle, la pousse, la soutient, se révolte avec elle et la relève quand elle tombe. Un seul et même poing levé car il faudra compter sur elles toutes et sur eux tous : « nous ne vous laisserons pas tranquilles ».

Un spectacle important

DeLaVallet Bidiefono a voulu que « ces ʺmonstresʺ représentent une véritable force dopposition poétique et artistique face au régime en place. Ou comment aussi des artistes construisent par eux-mêmes la politique culturelle de leur pays, devant le recul voire le renoncement du pouvoir en place. »

Il n’est pas si fréquent d’assister à des spectacles de danse où l’on ressent le plaisir réel et intact des danseuses et des danseurs à être sur scène et à partager leur art avec un public. D’être dans une communion qui n’est pas feinte, qui est juste, naturelle et jubilatoire.

Est-ce que les politiques culturelles d’un pays comme le nôtre – qui même si elles ne sont pas parfaites ont le mérite d’exister et d’évoluer – les lieux culturels conventionnés et subventionnés, aseptisent et amoindrissent la création ? Est-ce que cela enlève le plaisir fondamental et l’exaltation communicative de la scène ? Est-ce que les artistes qui se battent, littéralement, pour pouvoir exprimer leur art, réussissent mieux à transmettre des émotions brutes et sincères ?
Il est rare en tout cas de voir un spectacle d’une telle pureté.

Ce spectacle est marquant parce qu’il est surprenant, on ne s’attend pas à ce message de liberté quand on va voir de la danse. C’est un spectacle important, qui donne à réfléchir sur les conditions de vie d’autres populations. Parfois quand on est en France on oublie ce qu’il se passe ailleurs.
Si vous avez l’occasion d’aller voir ce spectacle (qui est en tournée), nous vous le recommandons chaudement !

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(c)christophe-Pean

* Lou Lefèvre, collégienne et plus jeune contributrice de Fragil, et Fanny Michaud sont allées voir ce spectacle ensemble et ont partagé leurs impressions pour écrire cet article.

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Ouverture, culture et mieux-vivre ensemble sont des sujets qui touchent particulièrement Fanny. Engagée depuis plusieurs années dans le secteur public culturel, elle revient grâce à Fragil à ses premières amours : le journalisme.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017