Branchez la guitare… moi j’accorde ma basse… un, deux, trois quatre !
Eh oui, nous sommes bien dans l’imposant Château des ducs de Bretagne pour visiter une expo consacrée au rock. Assez inattendu. Mais comme nous sommes aussi au Musée d’histoire de la ville de Nantes, une plongée dans l’histoire des musiques actuelles sonne ici complètement juste. Car le terme ʺrockʺ dans le titre de l’expo sert de générique et permet d’appréhender les styles et les artistes qui ont composé la scène nantaise, des années 60 à nos jours.
On débarque dans l’expo au début des années 60, pour le premier concert rock nantais, le 29 avril 1962 : concours de guitares électriques, après le concours d’accordéon… petit conflit de génération ! (Rappelons qu’à cette époque, le rock français reprenait en français des tubes rock anglo-saxons). Se crée alors un vivier d’artistes de bals et de kermesses, qui vont trouver dans ces représentations le moyen de jouer et de gagner leur vie – près de 35 bals avaient lieu chaque week-end dans la région.
Il faudra attendre les années 70 pour voir émerger des groupes nantais qui vont jouer leurs propres compositions : Zig Zag, Ulysse puis Tequila, l’un des groupes qui a marqué les débuts du rock nantais et où officiait à la basse Claudine Lapart, première femme à accompagner un groupe de rock – milieu très masculin et très macho, ʺà l’époqueʺ paraît-il.
Apparaît ensuite le rock folk-tradi avec le groupe Tri Yann – non, on ne peut pas parler musique à Nantes sans évoquer ce groupe à la longévité record : 48 années d’existence !
Les années 70 marquent surtout la démocratisation de la musique et de son écoute : ouverture des magasins d’instruments et des premiers disquaires (Fuzz Disques place de la Bourse, qui fera venir les premiers imports anglo-saxons), arrivée des magnétophones à cassettes sur lesquels on pouvait non seulement écouter mais aussi enregistrer de la musique, premiers concerts rock dans les bars, les cinémas (cinéma de l’Atlantique) et les amphis de l’université, et premiers festivals comme ʺRock à Nantesʺ sur l’île de Beaulieu.
Le parcours de l’expo joue évidemment sa propre bande-son, qui se compose de 120 titres que l’on écoute au gré de sa déambulation grâce à des ʺgobelets auditifsʺ qui servent ici à amplifier le son, et pour lesquels on doit verser une consigne à l’entrée, comme en festival. Des bulles sonores sont également disséminées dans la scénographie grâce à des téléphones (modèle années 80), qui, lorsqu’on les décroche, font entendre des témoignages comme celui de Jean-Claude Bompais, guitariste des Rapaces (vainqueurs du premier concours de guitares électriques) ou de Noël Terrones, créateur de Fuzz Disques.
Si les années 80 mettent Rennes sur le devant de la scène rock, c’est que les musiciens nantais ont peu de salles où se produire – à part le club-discothèque Le Floride, premier lieu dédié à la musique rock live.
Il faut dire que le nouveau maire de droite, Michel Chauty, entame une bataille pour couper les subventions culturelles. En signe de protestation, plusieurs groupes nantais (les Flamingos, Compartiment Fumeur, Mickeynstein) vont organiser un concert place du Bon-Pasteur en mai 1983, sous la bannière ʺRock against Chautyʺ. En 1986, la municipalité commence apparemment à plier en lançant les travaux de rénovation des salles Paul Fort et Boris Vian, avant de décider que les rockeurs n’y auront pas accès du fait du fort risque de dégradation… L’intercommunalité prend alors le relais pour créer des lieux de diffusion des musiques actuelles (Saint-Herblain, Rezé, Saint-Sébastien).
Où l’action politique favorise effervescence culturelle et esthétiques plurielles
En 1989, Jean-Marc Ayrault devient maire de Nantes et nomme Jean-Louis Jossic, chanteur de Tri Yann, conseiller délégué aux musiques actuelles. S’ouvre alors une nouvelle ère de politique municipale culturelle, avec notamment la création de Trempolino, qui va fédérer et structurer les initiatives en musiques actuelles, et l’ouverture de l’Olympic en 1995.
L’effervescence culturelle qui naît alors va contribuer à la reconnaissance de la scène rock nantaise dans les années 90, dans une pluralité de styles : cold wave de Dominique A et Françoiz Breut, rock alternatif et humoristique d’Elmer Food Beat, rock anglo-saxon de Dolly…
Les années 2000 posent définit la ville de Nantes comme un modèle de métropole accueillante pour les artistes et les amoureux de culture, grâce au foisonnement d’initiatives associatives et privées, et aux orientations politiques de l’agglomération nantaise ; les musiques actuelles bénéficient d’un réseau de salles et de petites scènes, de structures de formation et de diffusion, d’associations d’artistes et de tourneurs.
On ne vous raconte pas les reconstitutions de chambre d’adolescent ou du studio de repet’ des Elmer Food Beat (avec, bien sûr, des soutiens-gorge accrochés), les expositions des quatre platines des C2C ou d’une basse fabriquée maison avec du bois et des cordes de piano, etc… Beaucoup de pépites sont présentées dans cette rétrospective, récoltées grâce à un appel aux prêts lancé par Laurent Chariot, commissaire de l’exposition, qui pendant deux ans a amassé les souvenirs des groupes de musique nantais : affiches, instruments, contrats d’engagement, costumes de scène. C’est touchant et émouvant de découvrir ces trésors conservés précieusement, comme la jaquette de la K7 démo de John Merrick, premier groupe de Dominique A.
L’expo se termine par un aperçu de la nouvelle scène nantaise, artistes d’envergure nationale voire internationale : Sexy Sushi, Pony Pony Run Run, C2C, Christine and the Queens… Pop, électro, hip-hop, rock expérimental, Nantes la foisonnante n’a pas dit son dernier mot.
Rock ! Une histoire nantaise, à voir au Château des ducs de Bretagne jusqu’au 10 novembre 2018.