2 juin 2023

Christophe Montenez retrouve «Le petit maître corrigé» à la Comédie-Française

La reprise d’une rareté de Marivaux (1734), dans une mise en scène étourdissante et pleine de vie de Clément Hervieu-Léger créée en 2016, à voir Salle Richelieu à partir du 19 juin 2023.

Christophe Montenez retrouve «Le petit maître corrigé» à la Comédie-Française

02 Juin 2023

La reprise d’une rareté de Marivaux (1734), dans une mise en scène étourdissante et pleine de vie de Clément Hervieu-Léger créée en 2016, à voir Salle Richelieu à partir du 19 juin 2023.

Cette saison qui s’achève a été marquée par de grands moments de théâtre où le comédien Christophe Montenez, Sociétaire de la Comédie-Française, a montré son incroyable tempérament sur scène. Ce superbe acteur a joué Edmund du Roi Lear, pour l’entrée de l’œuvre au répertoire de la Comédie-Française, un rôle pour lequel il a été nommé aux Molières 2023. Cette pièce de Shakespeare, montée par Thomas Ostermeier, a été retransmise en direct le 9 février 2023 dans de nombreux cinémas en France. L’acteur a également repris cette saison le rôle de Tarfuffe de Molière, dans la mise en scène d’Ivo van Hove, avec qui il apporta au personnage de Martin des Damnés d’après Luchino Visconti une force inouïe, en 2016, avant d’incarner un puissant Oreste, dans Electre/Oreste d’Euripide en 2019. Ce magnifique artiste était aussi en 2017 Ariel, touchant et poétique, dans La tempête de Shakespeare selon Robert Carsen. Christophe Montenez n’a jamais eu l’occasion de se produire à Nantes, mais il y a tourné une scène du film Les amours d’Anaïs, de Charline Bourgeois-Tacquet (2021), aux côtés de Valeria Bruni-Tedeschi. A l’occasion de la reprise du Petit maître corrigé, il a accordé un entretien à fragil.

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Christophe Montenez

Stéphane Lavoué, coll. Comédie-Française

« …la scénographie d’Eric Ruf permet une circulation agréable sur le plateau, parmi de grandes herbes évoquant la mer et la campagne… »

Fragil: Qu’est-ce qui vous touche dans Le petit maître corrigé?

Christophe Montenez: Il y a quelque chose d’actuel chez Marivaux, comme chez tous les grands auteurs, malgré les siècles qui nous séparent. La pièce montre deux élégants de leur époque, deux fashion addicts, se croyant plus malins que l’amour dans une situation qu’ils n’avaient pas prévue. On peut se reconnaître aujourd’hui dans le parcours initiatique de Rosimond, petit maître accompagné de son valet Frontin. Ce spectacle est, parmi les pièces que j’ai jouées, celui que mes amis ont préféré, ceux de ma génération se reconnaissant dans l’approche très contemporaine du sentiment amoureux.

Fragil: Comment présenteriez-vous la mise en scène de Clément Hervieu-Léger?

Christophe Montenez: Clément amène une évidence dans la liberté des corps comme de la parole, par un travail concret sur le texte. De plus, la scénographie d’Eric Ruf permet une circulation agréable sur le plateau, parmi de grandes herbes évoquant la mer et la campagne et reflétant la naissance des sentiments sous les lumières chaudes de Bertrand Couderc. Ces éclairages évoluent toutefois de façon apocalyptique, mettant à nu ce petit maître corrigé mais détruit et cette jeune femme à l’avenir incertain, après leur passage par la «machine à laver» des émotions. La mise en scène est très enlevée, avec des entrées et des sorties d’une grande fluidité pour qu’il y ait toujours un temps d’avance sur le spectateur se trouvant à son tour emporté dans cette «essoreuse» des sentiments. L’écriture de Marivaux est particulièrement puissante, et tout va très vite dans le spectacle.

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'Le petit maitre corrigé' mis en scène par Clément Hervieu-Léger

Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

« …une implication générale d’une rare puissance. »

Fragil : De quelle manière définiriez-vous le travail avec Ivo van Hove dont vous venez de reprendre le Tartuffe?

Christophe Montenez: Ivo van Hove travaille dans une grande fulgurance, dirigeant directement sur le plateau des répétitions durant au maximum quatre semaines, le décor se trouvant en place dès le départ. Il a découvert ce rythme, qui apporte un condensé de vie et de théâtre, avec les anglo-saxons, ce temps court et dense induisant une implication générale d’une rare puissance. Son approche allège le rôle central de l’acteur en donnant une même valeur à chacun dans la préparation du spectacle. C’est ainsi que nous répétons une scène tout en gérant la lumière et la musique, au service du jeu. Il s’agit d’un théâtre spectaculaire, où les images et les sons font vibrer tous les sens. Dans Tartuffe, un tatami blanc magnétise la scène, comme un ring faisant corps avec le jeu de l’acteur, dans un espace et un environnement sonore qui l’emportent. Ivo van Hove est un immense directeur d’acteurs, que je compare à Thomas Ostermeier, même si ce dernier répète sur un temps plus long. Une indication physique va conditionner une scène de façon incroyable tout en laissant une grande liberté d’incarnation. C’est un travail de funambule complètement vertigineux, où l’on ne sait parfois pas où l’on va.

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'Le Tartuffe ou l'Hypocrite' mis en scène par Ivo van Hove

Jan Versweyveld, coll. Comédie-Française

« Tartuffe, un rôle incroyable où je pourrais toujours trouver de nouvelles choses en l’interprétant jusqu’à la fin de mes jours. »

Fragil:Quelles traces les trois spectacles que vous avez faits avec lui vous ont-ils laissées?

Christophe Montenez: Les damnés reste un spectacle très important dans mon parcours. Le rôle de Martin, particulièrement violent, m’a en effet profondément habité et me suit toujours. J’adore ces personnages troubles qui ont quelque chose à voir avec une enfance mise à mal. Je n’ai pas si bien vécu Electre/Oreste, que nous avons monté en à peine trois semaines. Ce manque de temps a entravé l’énergie et la puissance de l’incarnation. De plus, le spectacle était très éprouvant physiquement avec toute cette boue sur le plateau. Les représentations données à Epidaure restent malgré tout un souvenir énorme; ces tragédies antiques sont faites pour être jouées dans de tels lieux. Tartuffe est un spectacle totalement abouti dans la façon de s’emparer du texte et de le réinventer. Dans les scènes avec Marina Hands, qui joue Elmire, nous nous suivons avec beaucoup d’écoute et de tendresse. Je suis assez fier d’incarner Tartuffe, un rôle incroyable où je pourrais toujours trouver de nouvelles choses en l’interprétant jusqu’à la fin de mes jours.

« …le parcours que Thomas Ostermeier m’a permis de faire en tissant, à chaque représentation, une improvisation avec le public. »

Fragil: Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué dans la vision du Roi Lear par Thomas Ostermeier?

Christophe Montenez: J’ai beaucoup aimé le parcours que Thomas Ostermeier m’a permis de faire en tissant, à chaque représentation, une improvisation avec le public. Ce personnage d’Edmund se montre très ouvert, ce qui permet une qualité d’adresse aux spectateurs, une telle passerelle amenant une connivence qui m’a fait beaucoup de bien. La programmation de la Comédie-Française reposant sur l’alternance, il arrive que les rôles se télescopent. C’est pourquoi il pouvait parfois y avoir en Tartuffe quelque chose d’Edmund, dans ce rapport à la salle extrêmement fondateur pour moi. Le metteur en scène parvient à détricoter des situations souvent complexes de la pièce, pour les rendre simples et concrètes. Edmund est un mixe de Iago dans Othello et de Richard III, d’autres figures shakespeariennes. Il exprime la douleur d’être bâtard et illégitime, mais je prends le temps de le jouer dans mes apartés avec les gens, avec calme et détachement.

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'Le Roi Lear' mis en scène par Thomas Ostermeier

Jean-Louis Fernandez, coll. Comédie-Française

« Il pouvait arriver qu’une parole dise l’inverse de ce qu’un détail physique suggérait… »

Fragil: Parmi les temps forts de votre itinéraire, vous avez joué en 2020 le rôle de Joe Pitt dans Angels in America de Tony Kushner, dans une mise en scène d’Arnaud Desplechin. En quoi ce regard d’un cinéaste a-t-il nourri votre interprétation?

Christophe Montenez: Arnaud nous a conduits à scruter l’intimité des personnages avec beaucoup de délicatesse et de précision, en dessinant des parcours émotionnels. Il pouvait arriver qu’une parole dise l’inverse de ce qu’un détail physique suggérait, ce qui amenait une tension très forte entre le corps et le texte. J’ai beaucoup aimé jouer les scènes de couple avec Harper. Le metteur en scène m’interdisait cependant toute émotion sur mon personnage, pour mieux montrer par quelques grésillements dans un jeu contenu la descente aux enfers.

« Nous faisons malgré tout partie d’une très grande Histoire que l’on s’approprie… »

Fragil: Que représente pour vous la Comédie-Française?

Christophe Montenez: J’y suis entré il y a presque dix ans, et il m’arrive parfois de retrouver mes premières émotions. Je garde le souvenir d’un grand bouleversement dans ma vie. On m’a en effet appelé la veille pour le lendemain et tout s’est passé très vite. Par-delà les lustres et les dorures, que l’on oublie finalement assez rapidement, le foyer où l’on se retrouve nous appartient, et nous travaillons de façon artisanale. Nous faisons malgré tout partie d’une très grande Histoire que l’on s’approprie, une histoire dans laquelle j’aimerais me plonger pour mieux la connaître.

Fragil: Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur?

Christophe Montenez : Je vais co-mettre en scène avec un ami, Jules Sagot, un texte que nous avons écrit ensemble, Et si c’étaient eux?, qui sera joué du 27 septembre au 5 novembre au Théâtre du Vieux-Colombier. J’ai également le projet de deux films qui m’occupent énormément. On peut avoir parfois besoin de souffler en terme de créations dans un même théâtre afin d’explorer d’autres choses ailleurs, pour mieux revenir ensuite en mesurant la chance que l’on a d’être là.

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Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017