18 novembre 2022

À quoi sert un atelier sur les influenceurs et influenceuses ? À montrer que derrière ces stars du web se cache la publicité

L'influence sur les réseaux sociaux, voilà la thématique qui réunissait ados et parents au Point Info Jeunesse de Sainte-Luce le 16 novembre. Deux heures d'atelier ont été animées par un salarié de Fragil pendant lesquelles le groupe a été invité à réfléchir collectivement sur cette notion d’influence, à l’analyser, la comprendre et surtout ne pas la subir.

À quoi sert un atelier sur les influenceurs et influenceuses ? À montrer que derrière ces stars du web se cache la publicité

18 Nov 2022

L'influence sur les réseaux sociaux, voilà la thématique qui réunissait ados et parents au Point Info Jeunesse de Sainte-Luce le 16 novembre. Deux heures d'atelier ont été animées par un salarié de Fragil pendant lesquelles le groupe a été invité à réfléchir collectivement sur cette notion d’influence, à l’analyser, la comprendre et surtout ne pas la subir.

Sollicitée par l’équipe du Point Info Jeunesse de Sainte-Luce, l’association Fragil, représenté par un de salarié·es François-Xavier Josset, animait en ce mercredi pluvieux un atelier d’échanges pour une douzaine de personnes, ados et parents.

Premier exercice : définir la notion d’influence

L’atelier commence par un jeu. Chaque participant et participante est invité·e à venir écrire à tour de rôle un mot au tableau pour définir la nature d’un influenceur ou d’une influenceuse. Puis, il ou elle est à nouveau appelé·e pour souligner horizontalement en vert le mot qui selon lui ou elle se rapproche le plus de l’idée et pour barrer verticalement en rouge celui qui en est le plus éloigné.

Les participant·es définissent le terme « influenceur·euse »

S’en suit un débat pour se mettre d’accord sur une réponse commune. Préciser le choix des mots, écarter les mots inappropriés, valider les mots les plus justes. Chacun y va de son couplet. François-Xavier veille à ce que chacun s’exprime, même les plus timides. Et ça donne à peu près ça :

«Un influenceur, ça influence» dit une ado. «Ca fait une vidéo» lance une autre. «Ça a des abonnés» pense une troisième. «Ça fait des montages» indique un dernier.

Pas facile de s’y retrouver dans tous ces mots soulignés en vert. Comment s’approcher de la réalité ? C’est à ce moment là que le rôle de l’animateur devient essentiel. À lui de questionner son auditoire.

«En quoi une vidéo peut influencer ?»  interroge François-Xavier. «Avec des effets spéciaux » répond Esteban. «En coupant des séquences» poursuit Paola. «En montrant la face cachée» poursuit Jérôme.

Oui mais encore : «Mes frères sont influencés par des youtubeurs parce qu’ils parlent comme eux mais pas moi» affirme Esteban. «Pas du tout» rétorque Arthur. «Ce sont eux qui reprennent des expressions que j’utilise». «Les influenceurs ont-ils du poids sur vous ?» interroge à nouveau François-Xavier. Un consensus semble alors se dégager sur cette première définition : un influenceur ou une influenceuse, c’est une personne qui a du poids sur son public.

Vient le tour des mots barrés en rouge : réseaux, produits. «Pourquoi réseaux ?» questionne François-Xavier avant de poursuivre : «Sans réseau, il n’y a pas d’influence. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? » Les réponses erronées s’effacent. Les esprits confus s’éclairent. Mais oui, bien sûr. Ça semble évident.

Reste à aborder cette contradiction la plus étrange : influence et produit ne feraient pas bon ménage. Impensable pour un animateur qui cherche à dévoiler une notion qui semble bien étrangère aux jeunes. «Vous êtes sûrs ?»  s’interroge François-Xavier.

«Il y a parfois des vidéos sponsorisées» ose avancer Lena. «Je connais un youtubeur qui met des produits derrière lui sans qu’on s’en rende vraiment compte» fait remarquer Lina. «J’en connais qui vendent les produits qu’ils fabriquent»  enchaîne Jérôme.

François-Xavier est aux anges. La dynamique de groupe fonctionne à plein régime. Le débat progresse vers l’idée essentielle. Derrière un influenceur ou une influenceuse se cache la publicité. Toute la suite de l’atelier ne va faire que conforter cette notion d’argent, le moteur de l’influence sur les réseaux.

Les jeunes vont devoir se rendre à l’évidence. Ces stars du web qui ont des millions de followers ne se montrent pas par plaisir mais pour se faire un maximum d’argent.

«Moi aussi je rêve de devenir très connu pour devenir riche» avoue Amir. «Il manque un mot dans la liste du tableau» observe Lina : «le mot rémunération».

«Quand on est adolescent,» conclut François-Xavier «la publicité est une idée secondaire dans la notion d’influence. Les jeunes n’imaginent pas que les influenceurs et influenceuses sont payé.es pour s’exprimer. Ils pensent qu’ils sont là juste pour donner des conseils».

Deuxième exercice : le quiz

Pour approfondir cette notion d’argent, François-Xavier va utiliser un autre jeu : le quiz. Il s’agit de répondre à des questions qui vont servir à décortiquer le fonctionnement de ce business. A chaque question, trois réponses sont possibles. Les jeunes sont répartis en groupes de trois et doivent indiquer leur choix sur une ardoise. Les résultats sont ensuite débattus collectivement. Et voici ce que ça donne.

Le quiz, un moment ludique

Comment fait YouTube pour rester gratuit ? 1) Il est financé par des investisseurs 2) Ce sont des philanthropes 3) Les internautes sont leurs produits . La bonne réponse, c’est la 3 car ce sont les marques qui financent You Tube avec de la publicité. Les entreprises sont des annonceurs. A ne pas confondre avec des annonceurs.

Et pour ceux qui n’ont pas bien saisi, François-Xavier sort son crayon magique et dessine le circuit de l’argent.

«Lorsqu’un client veut acheter une paire de chaussures» explique-t-il «il entre dans un magasin et il achète le produit avec de l’argent. Et quand on est sur Instagram » interroge-t-il «qui est le client ? qui est le vendeur ? qui est le produit ?»  

Dans la salle, le schéma semble bien obscur. «Le client, c’est l’abonné» avance Lina. «Non, c’est celui qui a un compte chez Instagram»   réplique Alvaro. «Et si c’était Instagram le client» propose Paola. Et bien vous avez tout faux. Le professeur en influence va tout vous remettre dans le bon ordre.

«C’est nous le produit» leur fait comprendre François-Xavier. «Les marques qui viennent faire de la pub sur Instagram sont les clients. Elles nous achètent, nous les produits, avec de l’argent qu’elles donnent à Instagram. Instagram, c’est le vendeur. Est-ce que c’est plus clair maintenant ? » Euhhh comment dire. Ca va un peu trop vite pour certains. Pour d’autres, c’est une révélation. Mais ce n’est pas grave on continue.

Un schéma pour faire comprendre le modèle économique des réseaux sociaux

Deuxième question : Qui paye les influenceurs et influenceuses ? 1) les marques 2) les réseaux sociaux 3) les abonnés. Bonne réponse : la 1. Explication de François-Xavier : «Les marques ont deux stratégies : elles payent instagram pour diffuser des publicités qui vont atteindre leur cible ; et elles payent des influenceurs et influenceuses qui les intéressent pour faire la publicité de leurs produits ». Elémentaire mon cher Watson.

Troisième question : Quelle somme Nabila a-t-elle touché en vendant une série de photos promotionnelles ? 1) 250€ 2) 2 500€ 3) 25 000€. «Qui est Nabila ?» demande Hélène. «Combien a-t-elle de followers ? » ajoute Lina. «8 millions» répond François-Xavier. Presque à l’unanimité, la bonne réponse est trouvée. C’est la 3.

«Qu’en pensez-vous ? » lance François-Xavier. «C’est inadmissible» répond Boris. «C’est trop» s’exclame Enora. «Ca sert à rien ?»  remarque Alvaro.

«Savez-vous combien compte une minute de pub à 20h juste avant le journal de TF1 ?» demande malicieusement François-Xavier. «Sûrement très cher j’imagine»  ose Amir. «C’est du même ordre de grandeur que Nabila » confirme François-Xavier avant de préciser : «Ceux qui payent Nabila 25 000€ y trouvent leur compte». Sous-entendu : ce ne sont pas des philanthropes.    

Quatrième question : Pour quelles raisons Kim Kardachian a –t-elle du payer une amende de 1,3 millions de $ en octobre 2020 ? 1) Elle a utilisé des filtres interdits 2) Elle a fait de la publicité déguisée 3) Elle a publié trop de post en une seul fois. Vous avez peut être trouvé la bonne réponse. C’est la 2 car aux Etats-Unis, il y a une loi qui interdit de faire de la publicité déguisé.

«Pourquoi est-ce important d’afficher qu’il s’agit d’une publicité ?» interroge François-Xavier. Silence dans la salle. «Je vous pose la question différemment : si vous savez que c’est une publicité, ferez-vous autant confiance à celui qui adresse le message ? » Bien sûr que non approuve le groupe.

Troisième exercice : réfléchir aux bonnes pratiques  

Rien ne sert d’élucider la notion d’influence si elle ne débouche pas sur une mobilisation collective pour faire évoluer les comportements. D’où ce dernier exercice. Il s’agit là de trouver, par petits groupe de 5 personnes, 10 règles à appliquer aux influenceurs et influenceuses pour rendre le monde meilleur.

Le résultat a été plus que fructeux. Jugez par vous-même. Règle 1 : ne pas inciter à la haine ou à la discrimination. Ni homophobie, ni racisme. Règle 2 : interdire la publicité cachée en annonçant les partenariats. Règle 3 : ne pas mentir ni divulguer de fake news. Règle 4 : fournir des contenus adaptés selon l’âge avec des recommandations ou des avertissements. Règle 5 : Etre responsable de sa communauté. Règle 6 : respecter le droit à l’image. Règle 7 : les obliger à faire des dons pour les bonnes causes Règle 8 : Etre cohérent avec ses valeurs.

Les participant·es réfléchissent à des règles déontologiques

Au final les deux heures d’atelier ont été utiles. La preuve avec cette remarque d’Alvaro : «Je suis venu à cet atelier à contre cœur mais je ne regrette pas. J’ai raté un cours de musique que j’aime bien mais là c’était encore mieux que la musique».

Mission accomplie donc , n’est-ce pas François-Xavier. D’autant qu’il n’y avait pas que des jeunes dans la salle. Des parents les avaient accompagnés, ce qui a rendu les échanges encore plus riches.

Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017