23 septembre 2025

Concerts Sauvages : dix ans de succès mais des défis à relever

Cet été, sur la terrasse du Ferrailleur, les Concerts Sauvages ont réuni un public toujours plus curieux et diversifié. Sur scène, en revanche, la présence rare d’artistes féminines interroge.

Concerts Sauvages : dix ans de succès mais des défis à relever

23 Sep 2025

Cet été, sur la terrasse du Ferrailleur, les Concerts Sauvages ont réuni un public toujours plus curieux et diversifié. Sur scène, en revanche, la présence rare d’artistes féminines interroge.

Dix ans déjà que les Concerts Sauvages rythment les soirées estivales des Nantais·e·s. Avec une quarantaine de concerts d’une heure proposés à l’heure de l’apéro, entre mi-juin et début septembre, les Concerts Sauvages du Ferrailleur font désormais partie des rendez-vous musicaux incontournables de l’été.

Des concerts plus si sauvages

Le tout premier concert a lieu en 2016, suite à un défi lancé par Thomas Nédélec, l’un des créateurs et aujourd’hui gérant du Ferrailleur, à ses copains musiciens du groupe rennais Totorro, en marge du concert en salle d’ And So I Watch You From Afar.
« En fait, ils sont venus, c’était sur la route, avec tout leur matos, ils revenaient d’une date. Ils se sont posés devant, ils ont installé leur matos. J’ai fait, ah non, on ne peut pas faire ça ! Ils ont joué ». De ce qui n’était qu’une blague est né le tout premier concert improvisé, non autorisé. « Et c’est pour ça qu’on a appelé ça les Concerts Sauvages », raconte Thomas.

De saison en saison, le nombre de groupes programmés a augmenté pour atteindre le format actuel d’une quarantaine de concerts, composés, en grande partie, d’artistes du Grand Ouest, confirmé·e·s ou émergent·es.
Le Ferrailleur a depuis obtenu le soutien du pôle culturel municipal pour officialiser les Concerts Sauvages et proposé une collaboration avec le bar voisin l’AERoFAB Taproom, nouvellement installé à la place du Rond-Point. Une opportunité, pour les deux établissements, de booster leur économie en période estivale : « Le Concert Sauvage, c’était aussi ça, c’était sauver l’économie du Ferrailleur à l’époque, parce que nous on savait que sur l’été, ça perdait grave du chiffre », rappelle son fondateur.

De la pédagogie musicale

« L’origine du Concert Sauvage, c’est aussi, le projet de mettre en avant des musiques que les gens n’écoutent pas tant. Ce n’est pas du mainstream, c’est des choses vraiment différentes.»
Avec une programmation axée principalement rock, hard rock, punk, post-punk ou métal, le Ferrailleur souhaite offrir un espace à des genres différents, lutter contre les a priori et montrer que «c’est une scène qui est assez intéressante au niveau musical.»

Thomas note un décloisonnement des genres musicaux et de leurs publics au fil des années : « Les gens qui viennent voir à l’intérieur des concerts de black metal, ils restent pour les soirées électro, derrière. Et puis des fois ils viennent voir un concert de rap. Le milieu de la musique s’est vachement élargi.»

En offrant une heure de concert gratuit en bord de Loire plusieurs fois par semaine tout l’été, le Ferrailleur attire de nouveaux publics, non initiés, motivés par l’envie de passer un bon moment en terrasse et appréciant autant la découverte musicale que la bière et les produits locaux proposés à la carte de l’établissement.

Totorro, premier Concert Sauvage de la saison 2025, le 13 juin

Une ouverture sur les styles musicaux mais encore trop peu d’artistes féminines

Si les styles musicaux tendent à se diversifier dans la programmation des Concerts Sauvages avec des groupes comme My Name Is Nobody en folk, ou Yes Basketball en hip-hop, la présence d’artistes féminines est presque anecdotique avec seulement 6 femmes+ (4,6%) pour 125 hommes+ (95,4%)* sur scène sur l’ensemble des 42 concerts initialement programmés cet été au Ferrailleur.

« Ce n’est pas du tout un choix.» se défend Thomas, qui justifie notamment cette sous-représentation par le faible nombre de candidatures spontanées reçues (une seule cette année) et une indisponibilité de quelques groupes féminins repérés aux dates proposées.
« Il y a beaucoup moins de nanas qui jouent du punk, du post-punk, etc. […] Et du rock, mine de rien, quand je vois Treaks… Clotilde, elle est un peu unique. Il n’y a pas beaucoup de nanas comme elle qui sont en front (meneuse) dans un groupe de rock comme ça.»

Une sous-représentation des femmes+ dans la programmation des Concerts Sauvages, pourtant plus prononcée que celle observée sur les scènes nationales.
En 2019, une étude du CNM révélait que sur 90 festivals français de musiques actuelles, parmi les 5416 artistes programmé·e·s, 4668 étaient des hommes+ (86%) et 748 étaient des femmes+ (14%). Les disparités sont plus ou moins importantes selon le style musical, la catégorie “Rock et métal” faisant figure de mauvais élève avec notamment les festivals Motocultor et le Hellfest (3% seulement de femmes+ en tête d’affiche chacun en 2019).

Preuve d’une volonté d’évolution, la programmation du Hellfest comprenait près de 25% de groupes avec une artiste féminine cet été et une scène était entièrement dédiée aux groupes féminins ou menés par des artistes féminines, lors de la 2e journée du festival.

*Note : Les personnes non binaires, soit celles dont le genre se situe en dehors du modèle binaire masculin-féminin, ont été réparties entre les hommes et les femmes pour des raisons de confidentialité et de qualité, d’où les libellés « hommes+ » et « femmes+ ».

Une programmation influencée par des critères économiques et esthétiques

Pour Thomas, en charge de la programmation des Concerts Sauvages, les choix sont aussi contraints par le modèle économique : « Financer un projet comme les Concerts Sauvages, ça coûte de l’argent, donc on a besoin que les gens viennent et qu’on fasse une programmation qui attire les gens », rappelant que l’événement est totalement auto-financé et non subventionné. « Moi, mon économie, elle est basée sur mon bar. C’est grâce aux bières que les gens boivent qu’on arrive à faire des concerts.»

Ancien ingénieur du son, Thomas Nédélec défend les valeurs du Ferrailleur depuis sa création en 2007. 11/09/25 ©AmandineMasson

La question du message véhiculé par les artistes est également évoquée : « Je vais décider de faire un truc parce que c’est quali. Je ne vais pas faire pour faire “Tiens, je mets un groupe de femmes là, il faut qu’on fasse des femmes”. Je ne crois pas que ce soit la bonne chose de faire comme ça.»

D’autres leviers d’inclusion

Par ailleurs, le Ferrailleur s’engage pour la diversité à travers l’association Tracass, qui accompagne professionnellement des artistes émergent·e·s et propose un programme de résidence inclusive, en collaboration avec le Macadam : la Métallerie Modulaire.

« On essaie quand même de développer beaucoup de choses autour de l’inclusion, autour du respect, parce que c’est important pour nous.»

Des valeurs qui se retrouvent dans la composition de son équipe — « Il y a plus de meufs que d’hommes ici » — et une valorisation des métiers techniques (son, lumière).

Une volonté d’ouverture à suivre

Si Thomas souhaite conserver la scène et améliorer l’espace extérieur pour l’accueil du public, le format de programmation restera le même l’an prochain. « On va commencer à s’ouvrir sur d’autres styles (musicaux) parce que ça amène aussi beaucoup d’autres gens.»

Une diversité musicale qui pourrait favoriser une plus grande représentation féminine sur scène.
« J’ai vraiment envie qu’il y ait une parité dans tout ça, dans le monde entier, pour tout. Je défends ça à fond. Je vais faire mieux.» promet-il.
« On veut que le Ferrailleur soit une safe place pour tout le monde, et que ce soit un lieu où tout le monde puisse venir jouer, boire des coups, voir des concerts, se marrer, sans être stigmatisés.»

Le rendez-vous est pris.

Tout droit arrivée de Paris où elle a vécu les 15 dernières années, Amandine est à Nantes depuis seulement quelques mois. Pourtant, sa connaissance du calendrier culturel et son ancrage dans le quartier révèlent plutôt une femme capable de trouver toutes les occasions pour faire des rencontres et de s’imprégner de l'imaginaire nantais.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017