10 septembre 2020

Rossini à Saint-Céré : « Il n’y a rien de comparable au spectacle vivant… »

Le Festival de Saint-Céré, maintenu cette année sous une forme allégée, a permis de retrouver des émotions intenses et partagées, grâce aux voix captivantes de Lamia Beuque, Camille Tresmontant, Franck Leguérinel et Philippe Estèphe, dans un éclatant concert Rossini au Château de Castelnau. Nous avons eu la chance de rencontrer ces artistes aux sensibilités touchantes, dont on a tellement besoin !

Rossini à Saint-Céré : « Il n’y a rien de comparable au spectacle vivant… »

10 Sep 2020

Le Festival de Saint-Céré, maintenu cette année sous une forme allégée, a permis de retrouver des émotions intenses et partagées, grâce aux voix captivantes de Lamia Beuque, Camille Tresmontant, Franck Leguérinel et Philippe Estèphe, dans un éclatant concert Rossini au Château de Castelnau. Nous avons eu la chance de rencontrer ces artistes aux sensibilités touchantes, dont on a tellement besoin !

Fragil : Qu’est-ce qui vous touche dans les opéras de Rossini ?

Lamia Beuque : C’est avant tout le sens du rythme, qui explose dans des ensembles où toutes les voix se mêlent dans une mécanique qui s’emballe. Le résultat est efficace et très divertissant.

Franck Leguérinel : La conjonction entre musique et théâtre est tellement forte qu’ils sont ensuite impossibles à séparer. Même en récital, on voit déjà le théâtre, dans ce côté vocal et rythmique qui annonce Jacques Offenbach. Tout est écrit dans la musique.

Lamia Beuque : C’est ce qui donne autant d’aisance scénique.

Camille Tresmontant : Je suis sensible à l’aspect très expressif de la musique. Rossini est pour moi le compositeur qui a le mieux écrit pour les voix, encore mieux que Mozart pour un ténor, et d’une manière plus organique.

Philippe Estèphe : L’humour évoque effectivement Offenbach et le théâtre d’opérette, mais il accompagne en un seul geste l’exigence vocale du bel canto. À aucun moment on ne doit quitter le fil de la technique pure, qui est d’une grande exigence.

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Philippe Estèphe, Lamia Beuque, Franck Leguérinel et Camille Tresmontant à l'issue de l'entretien sur la terrasse de l'Hôtel du Touring à Saint-Céré

Alexandre Calleau

« …on doit trouver le naturel dans le jeu, pour qu’il ne fasse qu’un avec la musique, et que cela devienne organique. »

Fragil : Quelles sont les difficultés de ce répertoire, et quels plaisirs vous procure-t-il ?

Franck Leguérinel : Cela dépend des tessitures. En ce moment, je chante les rôles bouffes, qui induisent une grande vélocité dans le texte. Plus on les interprète, plus la voix s’adapte. Dans le trio de L’italienne à Alger que nous avons proposé durant le concert, il n’y a pas que du débit, mais aussi de la vocalisation. Les typologies vocales sont très claires chez Rossini, comme des emplois de théâtre.

Philippe Estèphe : Dans La Cenerentola, que nous venons de commencer à répéter, je joue Dandini, un serviteur qui se prend pour un prince. C’est un rôle mixte, mi-bouffe, mi-bel canto, et Rossini s’amuse avec ça, même dans les ensembles, où l’on passe d’un genre à l’autre.

Camille Tresmontant : Mon rôle de Ramiro est très exigeant techniquement ; on doit trouver le naturel dans le jeu, pour qu’il ne fasse qu’un avec la musique, et que cela devienne organique.

Lamia Beuque : Pour les mezzo-sopranos, la difficulté réside dans les coloratures, ces vocalises complexes qui demandent une démonstration de l’agilité de la voix. Elles nécessitent une homogénéité sur toute la tessiture.

Franck Leguérinel : Comme Mozart, Rossini a composé des rôles spécialement à l’intention de certains chanteurs, telle Isabella Colbran, qui avait une voix et une virtuosité particulières. Il s’adaptait aux possibilités de chaque interprète, les créateurs de ces rôles les abordaient donc facilement alors que certaines de ces pages peuvent être inchantables aujourd’hui.

Camille Tresmontant : C’est pourquoi il faut énormément de travail en amont, pour prendre ensuite beaucoup de plaisir sur les sons filés et sur chaque nuance.

Franck Leguérinel : D’autant que l’on doit donner l’impression au public que c’est facile, qu’il n’y a pas un tel effort.

Lamia Beuque : J’adore ces moments où les voix se retrouvent dans les ensembles, et où l’on cherche tous les couleurs et les dynamiques.

Philippe Estèphe : C’est là tout le plaisir du bel canto, une musique vraiment écrite pour les voix.

Franck Leguérinel : Il y a une mécanique qui s’enclenche, qu’on laisse vivre toute seule et qu’on ne contrôle plus beaucoup ensuite. C’est très agréable.

« …d’une rencontre entre deux univers et entre deux façons de travailler. »

Fragil : La production de La Cenerentola, dans la mise en scène de Clément Poirée, aurait dû être présentée cet été à Saint-Céré, où l’on pourra la voir lors du prochain festival. Vous venez de débuter les répétitions pour des spectacles qui seront programmés cet hiver. Quelles en sont vos premières impressions ?

Camille Tresmontant : Clément Poirée vient du théâtre, et c’est son premier opéra. Il  s’agit donc d’une rencontre entre deux univers et entre deux façons de travailler. Parfois au théâtre, les acteurs arrivent en répétition sans savoir leur texte, mais ils s’inscrivent dans un travail collectif dans la durée. Ce qui n’est pas possible à l’opéra, où nous sommes tributaires de la partition. Nous avons eu une période d’adaptation, mais le metteur en scène se montre très ouvert.

Franck Leguérinel : Les délais sont effectivement plus courts à l’opéra. L’observation a été mutuelle et bienveillante durant cette première semaine où Clément Poirée était peut-être impressionné ou méfiant par cette manière différente de travailler. Nous avons fait une ébauche au théâtre de l’Usine de Saint-Céré, et nous reprendrons les répétitions en octobre.

Camille Tresmontant : Selon l’endroit où nous nous produirons, l’orchestre sera placé dans la fosse ou sur scène, ce qui amènera une contrainte de jeu…

Lamia Beuque : Ce qui est intéressant avec ces deux séries de répétitions, c’est qu’en attendant octobre, nous aurons le temps de travailler nos rôles, en sachant dans quelle direction nous allons.

Franck Leguérinel : Nous avons remplacé les récitatifs accompagnés au clavecin par des textes parlés, que nous avons créés ensemble, avec nos propositions et nos modifications. Ce qui rejoint la manière de travailler du metteur en scène qui, au théâtre, part du texte dit par les acteurs.

Philippe Estèphe : Nos parties parlées seront ainsi du sur-mesure…

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Philippe Estèphe et Camille Tresmontant

Alexandre Calleau

Fragil : Franck, On a pu vous voir à Angers Nantes Opéra dans plusieurs ouvrages de Rossini dont Le Comte Ory, en 2007, Le barbier de Séville en 2010 et Le turc en Italie en 2013. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Franck Leguérinel : Ce sont de très bons souvenirs. J’ai aussi chanté à Nantes le rôle d’Haly dans L’italienne à Alger en 1995, où Della Jones interprétait Isabella. Je me souviens des graves très sonores émis par cette grande artiste, et de ses aigus prodigieux. En raison de l’évolution naturelle de sa voix, la zone intermédiaire était plus fragile, mais elle compensait par de belles nuances piano. Elle faisait à l’époque de fascinantes extrapolations dans l’extrême grave et dans l’extrême aigu, une véritable leçon pour moi ! J’ai également joué Dandini dans La Cenerentola, en 2005 à Angers Nantes Opéra, dans une mise en scène de Stephan Grögler.  La production était très jolie, et c’est la première fois que je chantais avec Karine Deshayes, qui a offert un véritable feu d’artifice dans le rôle d’Angelina. Le Comte Ory de 2007 comme Le barbier de Séville de 2010 étaient mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia, un homme de théâtre très à l’écoute avec qui j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler.

Fragil : Lamia, vous étiez Nicklauss dans de mémorables Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, mis en scène par Olivier Desbordes et Benjamin Moreau, en 2018 au Festival de Saint-Céré. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?

Lamia Beuque : J’avais au début du mal à comprendre le rapport de Nicklauss avec Hoffmann et avec les trois valets, et son côté cynique de la fin. J’ai réalisé ensuite l’évolution très intéressante du personnage tout au long de l’opéra. C’était la première fois que je travaillais avec Eric Vignau et Christophe Lacassagne. J’ai beaucoup appris à leurs côtés sur la présence scénique et sur la manière de dire le texte, pour déclamer notamment les poèmes de Baudelaire insérés au spectacle. On apprend beaucoup en présence de collègues.

« Avec peu de moyens, un tréteau et un travail artisanal, il a atteint une mise à nu totale du théâtre. »

Fragil : Et vous Camille, durant cette même édition 2018 du festival, vous avez chanté Colin dans l’émouvant Devin du village de Jean-Jacques Rousseau, présenté au Château de Montal. Que pouvez-vous nous en dire ?

Camille Tresmontant : C’était ma première rencontre avec le Festival de Saint-Céré, une belle découverte pour moi avec ce côté familial. Le spectacle réunissait une petite équipe de trois chanteurs, et Benjamin Moreau, le metteur en scène s’est montré très ouvert à un travail collectif basé sur l’idée de faire quelque chose de naïf et de terrien. Il avait intégré des pages de Rousseau, qui nous ont permis de travailler du texte. Lucile Verbizier, que je retrouve dans Cenerentola en Tisbe (l’une des deux sœurs), chantait le rôle de Colette. Christophe Lacassagne était un truculent devin ; il a l’habitude de dire des textes et j’ai également beaucoup appris auprès de lui. Benjamin a réussi à faire quelque chose d’assez touchant sur les relations entre les personnages de Colin et de Colette. Avec peu de moyens, un tréteau et un travail artisanal, il a atteint une mise à nu totale du théâtre.

Fragil : Philippe, vous avez interprété Gaston dans Les p’tites Michu d’André Messager, notamment à Angers Nantes Opéra et au Théâtre de l’Athénée à Paris, en 2018. En quoi ce spectacle, repris à l’Opéra de Tours fin 2019, vous a-t-il marqué ?

Philippe Estèphe : Je connaissais Véronique, du même compositeur, et le joli rôle de Florestan, mais c’était pour moi une découverte de cet ouvrage, qui confirme l’amour qu’avait Messager pour les voix de jeunes barytons. On assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour l’opérette, grâce à l’engagement de Maurice Xiberras au Théâtre de l’Odéon à Marseille, mais aussi grâce au Palazzetto Bru Zane, qui explore tout un répertoire oublié et qui a contribué à cette redécouverte des p’tites Michu. Il y a désormais moins d’a priori, et ce sont des chanteurs d’opéra qui s’emparent des rôles. Le livret de cette opérette est très drôle et la musique de Messager est touchante, pleine d’un lyrisme qui se contient. Ce personnage de Gaston est un cadeau pour un jeune baryton et c’est une chance de faire un spectacle qui tourne longtemps avec la même équipe : on a un sentiment de troupe qui fait du bien.

Fragil : Franck, parmi les temps forts de votre itinéraire, vous avez participé à deux spectacles mis en scène par Laurent Pelly, sous la direction de Marc  Minkowski, Platée de Jean-Philippe Rameau au Palais Garnier en 1999 et La grande-duchesse de Gérolstein de Jacques Offenbach au Théâtre du Châtelet en 2004. Quelles émotions vous ont-ils laissées ?

Franck Leguérinel : Platée est l’un des meilleurs spectacles d’opéra, tous genres confondus, auquel j’ai participé. En 1999, il a constitué un choc esthétique dans le jeu, mais aussi dans un répertoire baroque encore figé dans la reconstitution. Il a amené un profond changement… Les interprètes étaient très complices, l’esthétique  s’affirmait nouvelle mais respectueuse du style et de l’œuvre, dans des costumes modernes. Nous avons énormément tourné avec cette production, jusqu’en 2006. La grande- duchesse de Gérolstein était ma première grande opérette, et quelle chance de travailler avec l’immense Felicity Lott ! Elle se montrait d’une humilité touchante, en voulant apporter le meilleur dans ce rôle en français à Paris, et lors de la scène du Carillon de ma grand-mère, la chorégraphe Laura Scozzi avait réglé un ballet très compliqué qu’elle était très soucieuse de bien faire. J’ai un nouveau projet avec Laurent Pelly pour 2021 à l’Opéra-Comique sur un autre ouvrage d’Offenbach : il s’agit d’une adaptation du Voyage dans la lune, avec la Maîtrise populaire de L’Opéra-Comique.

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Lamia Beuque et Franck Leguérinel

Alexandre Calleau

« … c’était très beau de jouer cet amour pour Marguerite avec un empêchement différent. »

Fragil : Camille, vous avez chanté la version pour ténor du rôle de Siébel, dans le Faust de Gounod à l’Opéra de Nice en mai 2019. Comment présenteriez-vous ce personnage et la mise en scène de Nadine Duffaut ?

Camille Tresmontant : Ce rôle était pour moi une découverte. Dans le contexte de guerre du spectacle,  Siébel ne pouvait pas aller se battre car il était handicapé. J’ai été sensible à la relation qu’il entretenait avec Valentin, sorte de grand frère pour lui. Dans cette vision particulière, c’était un personnage attachant, qui restait le bon copain de Marguerite alors qu’il était amoureux d’elle. Ce n’est pas facile pour un ténor d’aborder un rôle initialement prévu pour une mezzo-soprano, d’autant que je chantais les deux airs, mais c’était important pour moi de le faire.

Lamia Beuque : J’ai chanté Siébel dans sa version pour mezzo-soprano, à l’Opéra de Tenerife, l’une des îles Canaries, dans une mise en scène de Curro Carreres. C’est un rôle exigeant à chanter, car il est écrit dans le passage qui va vers l’aigu. Le parti pris de la mise en scène faisait de Siébel une lesbienne, ce n’était donc pas un rôle travesti et c’était très beau de jouer cet amour pour Marguerite avec un empêchement différent. Il y avait quelque chose de très doux dans cette relation.

Fragil : Lamia, Pour revenir à Rossini, vous avez aussi incarné Rosine du Barbier de Séville à Bari en 2019, dans une mise en scène de Pier Luigi Pizzi, et lors du concert présenté au Château de Castelnau, vous avez interprété plusieurs airs d’Isabella de L’italienne à Alger. Quelles autres figures de ce compositeur aimeriez-vous aborder ?

Lamia Beuque : J’aimerais beaucoup  chanter Tancrède un jour, aborder le Rossini plus sérieux, dont l’écriture est plus lyrique. Rosine comme Isabella sont aussi des personnages passionnants à jouer, aux forts tempéraments. Parmi les œuvres sacrées du compositeur, j’adorerais chanter à nouveau son Stabat Mater, moins donné que sa Petite messe solennelle, mais vraiment à découvrir.

Fragil : Philippe, alors que l’Opéra National de Paris prépare cette saison la création du Soulier de satin de  Marc-André Dalbavie d’après Paul Claudel, vous avez participé à Toulouse l’année dernière à un autre opéra inspiré de cet auteur, L’annonce faite à Marie du compositeur Marc Bleuse. Quel souvenir en gardez-vous ?

Philippe Estèphe : J’y faisais le rôle de Jacques Hury. Le texte de Claudel est très fort et un peu opaque pour notre culture d’aujourd’hui ; il a été écrit dans l’esprit d’un mystère médiéval. C’est une histoire de sainte, mais d’un mysticisme presque païen puisqu’il y a de la magie et des possessions. La pièce est très dense et va à l’essentiel. Il n’est pas évident de couper dans du Claudel, mais le travail était très intéressant, et l’opéra  bien écrit pour les chanteurs, dans le respect des voix. De plus, Marc Bleuse s’est vraiment montré à notre écoute, en composant pour ses interprètes. Ce que l’on retrouve chez les compositeurs actuels, qui veulent qu’on joue leur musique et c’est très agréable.

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Camille Tresmontant et Philippe Estèphe

Alexandre Calleau

« Pauline Viardot a été une très grande interprète du XIXème siècle, mais elle a aussi composé des œuvres très belles et très intéressantes. »

Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?

Camille Tresmontant : Il y a, bien sûr, Cenerentola. Je vais aussi faire Camille de Coutançon dans La veuve joyeuse, à Saint-Étienne pour les fêtes de fin d’année, dans une mise en scène de Jean-Louis Pichon. Normalement, en mars, je chanterai Don Ottavio dans le Don Giovanni qui aurait dû se faire en Guadeloupe cette année, avec Carib’opera que dirige Jean-Loup Pagésy pour développer l’art lyrique dans les DOM TOM. J’y ai déjà chanté Tamino de La flûte enchantée en 2018. C’est assez beau de rencontrer là-bas ces chanteurs qui n’ont pas de conservatoire et qui découvrent l’opéra.

Franck Leguérinel : En dehors de Cenerentola, je retrouverai Philippe Estèphe sur une production de Fantasio d’Offenbach à l’Opéra-Comique. Nous avions déjà fait ce spectacle mis en scène par Thomas Jolly au Théâtre du Châtelet, mais la salle était trop grande et nous sommes heureux de le refaire où il a été créé. Et en mars, toujours à l’Opéra-Comique, je ferai partie de la distribution de La belle Hélène, dans la mise en scène de Michel Fau créée à l’Opéra de Lausanne fin 2019

Philippe Estèphe : Je vais effectivement reprendre Fantasio en décembre, et  jouerai aussi Moralès à deux reprises dans Carmen de Bizet, à l’Opéra National de Bordeaux en mai et juin 2021, dans la mise en scène de Jean-François Sivadier, et auparavant j’espère, à la Fenice de Venise dans le spectacle de Calixto Bieito que j’aurais dû faire au début du confinement. Je vais aussi participer à deux versions de concert, la naissance de Vénus de Pascal Collasse tout d’abord. Il s’agit d’un ouvrage contemporain de Lully, que je chanterai avec les talens lyriques dirigés par Christophe Rousset, en janvier à la Philharmonie de Paris et à Vienne. Ensuite, en février, je  participerai  à une rareté de Reynaldo Hahn, la carmélite, à la Halle aux grains de Toulouse.

Lamia Beuque : Les représentations de Cenerentola me tiennent à cœur. Avant Saint-Céré l’été prochain, nous serons à Clermont-Ferrand, Massy et Nevers. Je vais aussi reprendre le rôle d’Annio de La clémence de Titus de Mozart à Bologne au mois de mars. Avec le pianiste Laurent Martin nous avons enregistré des mélodies russes de Pauline Viardot, sur des textes de Pouchkine et de Tourgueniev. Le premier volume est paru chez Ligia, et nous travaillons sur le second. Ce travail me passionne, Pauline Viardot a été une très grande interprète du XIXème siècle, mais elle a aussi composé des œuvres très belles et très intéressantes.

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Concert Rossini au château de Castelnau

Nelly Blaya

« C’est génial de chanter Mozart ! »

Fragil : Pouvez-vous citer un souvenir particulièrement fort dans votre itinéraire artistique ?

Camille Tresmontant : C’était à Saint-Etienne, où je chantais Don Ottavio dans Don Giovanni. C’était l’un des premiers rôles que j’avais préparé avec mon professeur Daniel Salas, et à la seconde représentation, je me suis senti plus libéré et très ému d’aller au bout de ce personnage, avec orchestre, sur scène  dans la belle production  de Laurent Delvert, et devant ma famille. C’est génial de chanter Mozart !

Phillippe Estèphe : Et moi, c’était à Tours, début 2016, dans Cenerentola où je jouais déjà Dandini, mon premier grand rôle, avec Franck Leguérinel et sous la direction musicale de Dominique Trottein. C’est aussi la première fois que je me suis autant amusé sur scène, dans la mise en scène mythique de Jérôme Savary.

Franck Leguérinel : Et pour moi, c’était ici, à Saint-Céré, dans des Noces de Figaro données au Château de Castelnau. J’ai fait à cette occasion la rencontre de chanteurs avec lesquels je suis resté ami, comme Marie-Paule Dotti, François Harismendy, Eric Vignau ou Isabelle Poulenard. L’ambiance était formidable, comme dans une troupe, et nous habitions tous dans un vieux manoir à Autoire, tout près d’ici. Je me souviens en particulier d’un spectacle au cours duquel il avait beaucoup plu. Nous avons tous dû nous abriter et nous sommes revenus très tard pour la fin de l’opéra, que nous avons joué dans le silence après la pluie, avec cette odeur d’herbe mouillée…

Lamia Beuque : Pour ma part, c’était dans le rôle de Mignon d’Ambroise Thomas, à Innsbruck en Autriche, au printemps 2019. J’avais peu répété car c’était un remplacement, j’ai dû apprendre le rôle très vite, et c’est très impressionnant de retrouver la scène dans ces conditions. Le personnage de cet opéra, et cette histoire inspirée de Goethe, sont très émouvants, et j’ai retrouvé un ami qui dirigeait le spectacle.

Franck Leguérinel : Il n’y a rien de comparable au spectacle vivant, pour le public comme pour les interprètes! Jouer et chanter devant des gens, c’est irremplaçable. Nous avons tous été très émus de retrouver toutes ces vibrations, durant le concert Rossini, dans l’atmosphère si particulière du Château de Castelnau.

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Gioachino Rossini (1792-1868)

DR

 
Photo de haut de page prise à Saint-Céré par Alexandre Calleau.

Avec nos remerciements à Christine Gateuil, propriétaire de l’hôtel du Touring à Saint-Céré, où s’est déroulé cet entretien.

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Olivier Desbordes, fondateur du festival de Saint-Céré

Alexandre Calleau

Olivier Desbordes, pris en photo à l’issue de ce concert au Château de Castelnau, a créé le Festival de Saint-Céré en 1980. Cette année particulière de 2020 marquait les 40 ans d’une manifestation unique qui permet, dans un esprit convivial et authentique, de découvrir de jeunes artistes, en offrant des émotions sans cesse renouvelées à un public diversifié. Le festival mêle des raretés (on se souvient du choc de Lost in the stars de Kurt Weill en 2012), avec de grands titres du répertoire, dans des propositions scéniques qui ménagent des surprises (comme cette bouleversante Traviata de 2016, où Violetta revoyait son passé comme dans un rêve juste avant de mourir). Les spectacles qui étaient programmés cette année sont reportés à l’édition 2021, où l’on verra cette Cenerentola de Rossini, selon Clément Poirée (directeur du Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes) et le diptyque Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni  et Paillasse de Ruggero Leoncavallo, dans une proposition d’Eric Perez. De son côté, Olivier Desbordes mettra en scène l’été prochain Madame Butterfly de Puccini, dans de beaux lieux du patrimoine français, dans le cadre d’Opéra en plein air. Le spectacle aurait également dû être monté cette année, et c’est la magnifique Serenad B.Uyar qui incarnera le rôle poignant de l’héroïne.

« Nous sommes les nouvelles chimères », cinquante minutes de Black Metal, de flammes et d’utopies

Trois documentaires pour mieux questionner le pouvoir de l'argent sur les médias

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017