14 septembre 2018

« Les Contes d’Hoffmann » à Saint-Céré  : Au cœur d’énergies très positives !

Jean-Noël Briend, Serenad B.Uyar et Christophe Lacassagne jouaient les trois figures centrales des « Contes d'Hoffmann » d'Offenbach, dans la mise en scène passionnante d' Olivier Desbordes et de Benjamin Moreau, au festival de Saint-Céré cet été. Nous les avons rencontrés.

« Les Contes d’Hoffmann » à Saint-Céré  : Au cœur d’énergies très positives !

14 Sep 2018

Jean-Noël Briend, Serenad B.Uyar et Christophe Lacassagne jouaient les trois figures centrales des « Contes d'Hoffmann » d'Offenbach, dans la mise en scène passionnante d' Olivier Desbordes et de Benjamin Moreau, au festival de Saint-Céré cet été. Nous les avons rencontrés.

Fragil : Comment présenteriez-vous chacune des figures que vous incarnez ?
Jean-Noël Briend : Hoffmann est le lien entre les trois histoires racontées dans cet opéra. Il représente l’idée romantique que l’on se faisait du vrai poète E.T.A Hoffmann à l’époque d’Offenbach à Paris, une sorte de fantasme. Ses contes ont beaucoup marqué cette génération, mais il n’est pas certain qu’il fût aussi alcoolique dans la réalité.
Christophe Lacassagne : L’idée du mal était également très importante à l’époque, avec des représentations du diable que l’on retrouve dans plusieurs opéras. Les figures diaboliques que j’interprète ne sont pas exactement dans les mêmes tessitures ; elles sont finalement plus complexes à chanter que les rôles féminins, qui ont des caractères différents et sont mieux écrits dans leur progression.
Serenad B.Uyar : Je chante effectivement trois rôles très différents. Olympia est une poupée qui fait un numéro de cirque en faisant ses aigus, Giulietta un personnage très superficiel et Antonia une artiste fragile. Cette dernière est ma préférée, la plus agréable à chanter. C’est un challenge d’incarner les trois rôles, que l’on donne souvent à trois interprètes différentes : c’est comme si j’étais la Reine de la nuit et Mimi, qui n’ont pas les mêmes tessitures, dans un même opéra ! Le personnage d’Olympia m’a beaucoup apporté. C’était en effet mon premier rôle à ma sortie du conservatoire, et il m’a également permis de quitter la Turquie pour chanter en Italie, grâce au concours que j’ai gagné.

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Christophe Lacassagne, Serenad B.Uyar, et Jean-Noël Briend

Alexandre Calleau

« L’idée de départ est celle d’un cirque. »

Fragil : De quelle manière définiriez-vous le spectacle d’Olivier Desbordes et de Benjamin Moreau ?
Jean-Noël Briend : L’idée de départ est celle d’un cirque, où Monsieur Loyal présente les personnages que l’on voit ensuite.
Christophe Lacassagne : Ce que j’aime beaucoup, c’est cet univers à la Tim Burton, où chaque silhouette, très XIXème siècle, est travaillée, notamment chez les chœurs.
Serenad B.Uyar : Je suis très sensible à l’idée du drap d’Antonia, qui prolonge le costume de sa maman chanteuse. Le cirque pour l’acte d’Olympia me touche également beaucoup.
Jean-Noël Briend : Ce qui est formidable, c’est qu’il y a sur ce spectacle l’ambiance d’une troupe, où l’on est à l’aise les uns avec les autres, avec les musiciens de l’orchestre comme avec les artistes des chœurs.
Christophe Lacassagne : C’est ce qui fait la force du festival.

« J’ai chanté quatre rôles en deux jours ! »

Fragil : Serenad, vous avez chanté « Traviata » hier soir, au lendemain de ces « Contes d’Hoffmann ». Que ressentez-vous après une telle performance ?
Serenad B.Uyar : Normalement, ça ne se fait pas…mais c’est fait ! (Rires). Du coup, j’ai chanté quatre rôles en deux jours. Il est préférable des enchaîner dans cet ordre. J’adore « la Traviata », et le spectacle est vraiment différent dans sa reprise au Théâtre de l’Usine, qu’au Château de Castelnau il y a deux ans. Dans cette mise en scène, il y a un jeu avec la caméra, et là, l’ambiance, plus intime, est celle d’un cinéma, qui permet de se concentrer davantage.

Fragil : Jean-Noël, vous avez déjà chanté Hoffmann, notamment dans la mise en scène de Christoph Marthaler au Teatro Real de Madrid. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?
Jean-Noël Briend : C’était impressionnant de chanter au Teatro Real, où l’équipe technique est vraiment sympa. La version choisie n’était pas celle que l’on fait ici mais celle d’Oeser, qui est plus longue et où l’ordre des actes n’est pas le même : d’abord Olympia, puis Antonia, pour finir sur Giulietta. La mise en scène parlait au public madrilène, puisque l’action était transposée au Circulo de Bellas Artes (Cercle des beaux arts) à Madrid, avec un bar et une statue qui bougeait. L’histoire de Giulietta se passait dans une salle de billard et celle d’Antonia dans un bar désert. Le spectacle se référait au groupe des surréalistes : Hoffmann, c’était Antonin Artaud, mais on croisait aussi Picasso, Dali et Bunuel. J’ai aussi participé à Lübeck à une mise en scène déjantée de Florian Lutz, où la musique était sonorisée après la barcarolle dans l’acte de Giulietta, avec synthétiseur, micro et batterie. Le public a été partagé. L’expérience de Madrid m’a permis de faire de belles rencontres, notamment celle d’Anne-Sophie von Otter, qui chantait Nicklausse.

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Cet univers à la Tim Burton, où chaque silhouette, très XIXème siècle, est travaillée, notamment chez les chœurs

Alain-Wicht

Fragil : Christophe, vous incarnez aussi le devin du village, dans l’opéra de Jean-Jacques Rousseau à Saint-Céré. Que représente pour vous cet ouvrage ?
Christophe Lacassagne : C’est la première fois que je chantais du baroque, et ma motivation principale était l’envie de travailler avec Benjamin Moreau. Lorsque j’ai découvert la partition, j’avoue que j’étais plutôt sceptique, mais le projet de mise en scène était clair, et j’aime bien mélanger le chant avec des textes parlés. L’ouvrage est simple, léger et charmant, et nous passons un bon moment à le faire. Je suis ravi du travail accompli et c’est très agréable d’être guidé sur un spectacle dans la bienveillance et la tendresse, sous un regard toujours positif.

« …ne pas avoir de références, ça assouplit les choses : on ne peut être comparé à personne. »

Fragil : Serenad, vous allez retrouver Offenbach en septembre à l’Opéra de Tours, dans une rareté, « Les fées du Rhin ». En quoi est-ce difficile d’aborder un opéra aussi inconnu ?
Serenad B.Uyar : C’est très intéressant, l’ouvrage sera chanté en français pour la première fois, car il a été créé en allemand. Il y a un contraste entre la partition et le livret, et la musique est très belle. Le metteur en scène, Pierre- Emmanuel Rousseau devrait prendre l’œuvre à rebours, sans magie ni légèreté, et sans Happy End. Je n’ai pas de références à écouter ni à voir pour ce rôle, c’est donc une grande responsabilité. Il devrait y avoir un DVD du spectacle.
Jean-Noël Briend : J’ai aussi participé à deux créations, dans « Colomba » de Jean-Claude Petit, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée à l’Opéra de Marseille en 2014, et dans « Benjamin, dernière nuit » de Michel Tabachnik à l’Opéra de Lyon en 2016, et ne pas avoir de références, ça assouplit les choses : on ne peut être comparé à personne.

« …un concert de chansons de Jacques Brel avec un orchestre symphonique… »

Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
Serenad B.Uyar : J’en ai plusieurs dont je ne peux parler pour l’instant. En dehors de ces « Fées du Rhin » à Tours, je vais chanter la reine de la nuit de « La flûte enchantée » à l’Opéra de Marseille en 2019.
Christophe Lacassagne : Je reprendrai le rôle du baron de « La vie parisienne » d’Offenbach, notamment à Saint-Céré l’an prochain. J’ai également un projet qui me fait très plaisir, celui d’un concert de chansons de Jacques Brel, avec un orchestre symphonique qui sera dirigé par Maxime Pitois, en Suisse, à Lausanne et à Vevey, mais aussi en tournée en Belgique. Fin 2019, je serai Agamemnon dans « La belle Hélène » d’Offenbach à l’Opéra de Lausanne, dans une mise en scène de Michel Fau.
Jean-Noël Briend : Je vais retrouver mes élèves au conservatoire de Strasbourg, et vais chanter dans « Jeanne au bûcher » d’Arthur Honegger en version de concert au Concertgebouw d’Amsterdam, sous la direction de Stéphane Denève, aux côtés du comédien Jean-Claude Drouot. C’est un ouvrage que je retrouverai en novembre 2019 à Bruxelles, dans la mise en scène de Roméo Castellucci présentée l’an passé à l’Opéra de Lyon.

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Les saluts après la représentation.

Alexandre Calleau

« Peut-être avais-je une revanche à prendre. »

Fragil : Pouvez-vous citer un moment particulièrement émouvant de ces « Contes d’Hoffmann » présentés à Saint-Céré ?
Christophe Lacassagne : Dès la première répétition musicale, j’ai repensé à mes débuts en troupe à l’Opéra de Lyon, en 1992. « Les contes d’Hoffmann » étaient programmés pour l’inauguration du nouvel Opéra , dans une distribution stratosphérique avec notamment Nathalie Dessay et Barbara Hendricks. Je jouais les quatre diables en alternance avec José Van Dam, mais je suis resté doublure, tout en recevant de belles leçons sur ces rôles. Je ne les ai pas chantés sur scène, c’était trop dur pour moi à l’époque, et j’en ai ressenti une certaine frustration. Lors de ces nouvelles répétitions cette année, j’ai mesuré le chemin parcouru : peut-être avais-je une revanche à prendre.
Jean-Noël Briend : Pour moi, ce sont les débuts de notre chef d’orchestre, Mehdi Lougraïda, qui dirige son premier opéra. Il est vraiment adorable, à l’écoute et attentif. Je lui augure une très belle carrière, et c’est vraiment émouvant d’assister aux premiers pas d’un tel talent.
Serenad B.Uyar : De mon côté, ce qui me touche, ce sont les relations entre les gens sur scène, et toute cette gentillesse. C’est un environnement très positif, et on se sent porté. Lors des représentations de ce spectacle à l’Opéra de Massy en mars, j’avais un rhume, et toute cette belle énergie m’a permis de l’oublier en chantant !

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Après l'entretien...

Alexandre Calleau

Alain et Nathalie Berry ont dirigé pendant 17 ans l’Hôtel de France de Saint-Céré, où nous faisons régulièrement des entretiens pour fragil, dans ce canapé devenu traditionnel pour nos photos d’artistes. Cet hôtel authentique et au charme unique risque malheureusement de fermer, malgré le beau travail de ceux qui en ont fait un lieu chaleureux. Qu’ils en soient sincèrement remerciés !

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Alain et Nathalie Berry

Alexandre Calleau

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L’asexualité, un sujet tabou

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017