9 mai 2023

15 ans de Mediapart à Nantes : un temps pour aborder l’enquête nationale et locale

Le samedi 6 mai 2023, les équipes de Mediapart se sont arrêtées au Solilab à Nantes pour échanger avec leur public sur plusieurs thématiques qui leur sont chères. Pour débuter le programme : “Enquête nationale, enquête locale”, en compagnie de journalistes de Médiacités.

15 ans de Mediapart à Nantes : un temps pour aborder l’enquête nationale et locale

09 Mai 2023

Le samedi 6 mai 2023, les équipes de Mediapart se sont arrêtées au Solilab à Nantes pour échanger avec leur public sur plusieurs thématiques qui leur sont chères. Pour débuter le programme : “Enquête nationale, enquête locale”, en compagnie de journalistes de Médiacités.

Antton Rouget du pôle enquête de Mediapart (journal d’information numérique), Benjamin Peyrel rédacteur en chef de Médiacités Nantes (journal d’investigation locale) et Julie Reux journaliste collaboratrice de Médiacités ont échangé entre elleux et avec le public pendant une heure autour de la thématique “Enquête nationale, enquête locale” pour aborder la pratique d’un journalisme “comme on le conçoit”, nous dit la journaliste.

Ils et elle ont commencé par aborder pourquoi la création de Médiacités à Nantes était importante. Au commencement, un constat : le manque d’enquêtes au niveau local, dans des métropoles “qui ont des budgets de plus en plus importants”, explique Benjamin Peyrel. Et pourtant, le média considère que la corruption se fait au coin de la rue.  Julie Reux ajoute : “c’est compliqué de vendre des piges aux journaux de presse quotidienne régionale (PQR), Ouest-France ne prend pas beaucoup d’enquêtes et les enjeux locaux n’intéressent pas forcément le national”. Avec Mediacités des sujets qui paraissaient « impossibles deviennent envisageables« .

Lorsque l’enquête locale est abordée plus en profondeur, Julie Reux explique que beaucoup d’institutions ne savent pas encore répondre aux journalistes, “ils ne sont pas préparés”, ce qui les poussent à ne pas répondre. D’autres, ne prennent même plus la peine de répondre à Médiacités, comme la Région Pays de la Loire. Elle évoque trois cas de figures : les journalistes obtiennent des réponses claires, ils et elles obtiennent des réponses partielles et enfin, pas du tout de réponse.

“Je ne comprends pas qu’une institution choisisse les médias auxquels elle parle ou pas”.

Ces refus viennent compliquer la tâche des journalistes. Pour les contrer, ils et elles peuvent faire appel à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), mais ce sont des procédures longues. Autres bâtons dans les roues : la loi “secret des affaires” ou les procédures baillons, qui la plupart du temps, servent à faire perdre du temps et de l’argent aux médias. Julie Reux s’étonne : “Je ne comprends pas qu’une institution choisisse les médias auxquels elle parle ou pas”.

Interrogée sur les techniques envisageables pour ne pas passer par ces longues procédures, elle s’amuse : “Des bonnes sources !”. Mais elle ajoute que “cela prend du temps pour obtenir leur confiance” et que beaucoup de personnes ont peur de parler.

Antton Rouget explique que pour mener son enquête, comme l’on sait ce que l’on cherche, il faut construire une “architecture mentale”, de toutes les personnes susceptibles de connaître les informations dont on a besoin. Lorsque l’on contacte ces personnes, il faut les rassurer et expliquer qu’elles seront protégées. Un aspect sur lequel il insiste et explique qu’il est primordial chez Mediapart.

Les différences liées à l’enquête locale

“Les enquêtes sont-elles plus compliquées dans les petites localités ?”, demande un membre du public. Pour répondre, Julie Reux prend l’exemple de son passé de journaliste en PQR en Alsace : “Les gens savent où te trouver, donc il faut être prêt à assumer”, cependant, la proximité permet d’avoir de “meilleures infos”. Elle finit par expliquer que dans le local, on ne peut donc pas “vraiment avoir d’amis, il faut faire un choix”.

Sur la même question, Benjamin Peyrel prend l’exemple d’un des journalistes de Médiacités qui a enquêté sur une association, dont le directeur habite “deux immeubles à côté du sien”. Les journalistes peuvent donc croiser au quotidien les personnes sur lesquelles elles enquêtent et publient. Ce n’est pas le cas pour celles et ceux qui viennent de Paris mener une enquête en province et repartent lorsqu’elle est finie.

Antton Rouget clôture en expliquant que son enquête sur le chantage à la sextape à la mairie de Saint Étienne ne lui a pas posé de problèmes puisqu’il n’a “aucune attache dans la ville ou dans la région. Aucun cousin fonctionnaire à Saint-Étienne ou personne proche qui cherche une place en crèche”.

Ce module “Enquête nationale, enquête locale” était le premier des quatre prévus lors de l’après-midi. Ont suivi “Crise sociale, crise politique, crise des personnes”, “La Haine Ordinaire : des vies persécutées par le racisme” et “Enquêtes, vidéo, et violences policières”. La tournée des 15 ans de Mediapart se poursuit dans onze autres villes pour se terminer à Bruxelles en décembre.

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Apprenti journaliste, diplômé d'une licence d'histoire, passionné de rap français.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017