Jeudi 22 février, dès 8h45, une foule commence à se rassembler sous une pluie battante devant le conseil départemental de Nantes. Iels sont assistant·es sociaux, psychologues, éducateur·rice·s spécialisé·es, jeunes ou anciennement jeunes majeur·es de l’ASE (aide sociale à l’enfance, ndlr). L’ensemble des personnes a répondu présent suite à l’appel lancé lundi 19 février par Repairs 44 !, « une association par et pour les jeunes en fin de parcours ASE » auquel s’est joint un certain nombre d’associations sociales et médico-sociales travaillant aux côtés des jeunes confié·es à la protection de l’enfance.
La fin brutale du rallongement des CJM
Pour cause, un courrier envoyé par la direction Enfance-Famille aux chef·fes d’établissements responsables de leur protection. Dans cette circulaire, on leur apprend que le dispositif rallongeant les CJM (contrat jeune majeur, ndlr) jusqu’à 25 ans pour les jeunes accompagné·es par l’ASE, expérimenté depuis quatre ans dans le département, sera définitivement révolu au 1er avril 2024. Le CJM reviendra dans les carcans prévus par la loi, soit un accompagnement des jeunes jusqu’à 20 ans. Une fin brutale malgré des résultats concluants, « un énorme pas en arrière » pour Maelys, éducatrice spécialisée à Saint-Nazaire, travaillant dans un service d’appartement pour les jeunes de 16 à 21 ans, dans le cadre de la protection de l’enfance.
Marie, éducatrice spécialisée au quartier des Dervallières et déléguée CGT, ressort du conseil départemental. Comme elle s’y attendait « beaucoup de paroles mais peu d’actes« . Sur le fond elle est pour que les jeunes entre 21 et 25 ans trouvent du travail et un logement pour devenir indépendant. Dans la réalité, espérer que tous ces enfants y arrivent est illusoire, tant les parcours sont variés. « Une jeune fille de 21 ans avec des parents défaillants et les difficultés actuelles d’accès à l’hébergement va trouver quoi comme logement ? On sait très bien ce qu’il se passe, c’est des risques de prostitution et de danger accrus, de se faire héberger par n’importe qui, des risques de parentalité non voulue ou non préparée. » déplore l’éducatrice.
D’après les dernières études européennes d’Eurostat d’avril 2023, les jeunes français·es quittent le foyer familial après leur 23 ans. Il serait donc demandé à ces enfants de s’émanciper plus tôt que leurs camarades, qui possèdent souvent plus de moyens pour s’en sortir.
Un budget gelé en 2024
Le point de rendez-vous n’a rien d’anodin, dans l’une des salles du conseil départemental, le budget alloué à la protection de l’enfance est en train d’être discuté, avant d’être définitivement décidé en mars.
« Pas de coupes budgétaires, vous foutez les jeunes en l’air ! », scandent une partie des manifestant·es.
D’après Solidaire sud santé sociaux, la CGT et Travail social en lutte, les pouvoirs publics projetteraient de « réduire les effectifs des travailleur.euse.s sociaux des équipes éducatives, réduire les effectifs des veilleur.eus.es de nuit dans les établissements médico-sociaux et de ne pas remplacer certains départ à la retraite ».
Ludwig a fait le déplacement depuis Guérande où il exerce en tant qu’éducateur, il nous rapporte qu’« ils (les pouvoirs publics, ndlr) veulent faire des économies d’argent mais nous on tourne en rond, si on n’a pas de moyens on ne peut pas accueillir décemment les enfants, des fois on a pas d’autre choix d’accompagnement que de les mettre en hôtel avec plus ou moins d’encadrement d’un adulte, plus ou moins formé, souvent moins que plus de toute façon ». Une prise de parole marquante après le suicide de Lily, une adolescente de quinze ans placée en hôtel malgré la loi Taquet votée en 2022 qui l’interdisait, mais qui n’a jamais été fonctionnelle puisque le décret d’application n’est jamais paru.
Dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2021, parmi les milliers de mineur·es placé·es en hôtel, 95% étaient des mineur·es non accompagné·es.
Des revendications qui datent de plusieurs années
Depuis 2021, les professionnel·les du secteur de la protection de l’enfance appellent sans relâche à une meilleure prise en charge des enfants placés. « C’est bien gentil le blabla mais derrière il y a des vies en jeu. On en est arrivé à comparer qui souffre le plus et faire le choix de qui on place directement et pour qui on attend, des choix impossibles mais qui sont obligés d’être fait, tant qu’il n’y aura pas de moyens on restera dans cette situation de m**** » s’indigne un cadre éducatif.
La pénurie de personnel soignant et le manque de place dans les établissements spécialisés ne les épargnent pas. Ce sont parfois des années qu’il faut attendre pour trouver une place pour un·e jeune souffrant de problèmes psychologiques ou psychiatriques, le plus souvent dû à son parcours de vie écorché. Et en attendant, c’est à ces professionnel·les en manque de moyens de gérer le quotidien. En 2023, le sénateur Bruno Rojouan attirait l’attention du ministère de la santé , « la détresse psychique des jeunes patients a explosé depuis le premier confinement et les moyens alloués à la pédopsychiatrie ne sont pas suffisants pour répondre à la demande croissante. Cela a pour conséquence un tri des enfants et une prise en charge insuffisante pour ceux qui ont besoin d’un suivi.« , un constat partagé par la défenseure des droits dans un rapport sur la santé mentale des enfants.
L’attachement sincère et l’inquiétude viscérale pour l’avenir de ceux qu’iels nomment « leurs gamins » est palpable. Iels entendent bien rester mobilisé·es jusqu’à ce que l’État et le département les écoutent.