29 octobre 2020

Un festival de musique sans concert ou presque, c’est possible !

Du 2 au 10 octobre 2020 s'est déroulé un festival de musique à Nantes - et oui ! -, un pari qu’à fait Pick Up Production pour cette édition particulière d’Hip Opsession Musique, sans concert ou presque. Après les bains de foule à Reboot l’année dernière, le festival s’adapte aux consignes sanitaires et met l’accent sur les valeurs de transmission et de partage du mouvement hip hop. Pour en savoir plus sur ce nouveau format, Fragil est allé à la rencontre d’Alexandre Le Clainche, chargé des relations aux publics dans l'association. Il nous en dit plus sur son métier, son engagement et sa vision de la suite.

Un festival de musique sans concert ou presque, c’est possible !

29 Oct 2020

Du 2 au 10 octobre 2020 s'est déroulé un festival de musique à Nantes - et oui ! -, un pari qu’à fait Pick Up Production pour cette édition particulière d’Hip Opsession Musique, sans concert ou presque. Après les bains de foule à Reboot l’année dernière, le festival s’adapte aux consignes sanitaires et met l’accent sur les valeurs de transmission et de partage du mouvement hip hop. Pour en savoir plus sur ce nouveau format, Fragil est allé à la rencontre d’Alexandre Le Clainche, chargé des relations aux publics dans l'association. Il nous en dit plus sur son métier, son engagement et sa vision de la suite.

Entre table ronde, projections, concert assis et ateliers d’initiation, la programmation du festival Hip Opsession s’adapte. Tous les publics sont invités à venir découvrir la musique hip hop sous ses différentes formes et à y prendre part. Si on ne peut pas écouter de musique ensemble, écoutons-nous les un.e.s les autres. Le mouvement hip hop se véhicule à travers plusieurs disciplines et prend sa source en chacun.e de ses protagonistes, qu’ils soient sur scène ou dans le public.

« Inviter des rappeurs ou des rappeuses pour qu’ils racontent des choses plutôt qu’ils rappent, finalement ce n’est pas moins intéressant » 

souligne Pierrick Vially, programmateur et coordinateur d’Hip Opsession, dans une interview donnée à Sourdoreille sur les valeurs de résistance et d’engagement du hip hop.

« Parlons des choses qui font vivre nos passions et bousculent nos cœurs, de ces personnalités qui construisent les nôtres. »

Contagieux, lui aussi, le mouvement aura toujours différentes manières de faire passer son message. Le masque ne couvre pas les oreilles et c’est en ce sens que le festival compte bien s’adapter. Parlons des choses qui font vivre nos passions et bousculent nos cœurs, de ces personnalités qui construisent les nôtres. Enfin, quel plus grand cri que nos présences dans le silence des salles de concert et de la culture malmenée.

Une table ronde sur Kendrick Lamar au 23, made in 44

Nouveau lieu culturel initié par Big City Life et ancienne salle de cinéma, l’événement se déroule au 23, le samedi 3 octobre. Convivial, on peut s’y retrouver en petits groupes au format bar, comme dans les confortables strapontins du balcon. La table ronde Kendrick Lamar, living legend a lieu sur la scène, encadrée par l’équipe de Backpackerz. Les invités sont Nicolas Rogès, auteur du livre Kendrick Lamar – De Compton à la Maison-Blanche et Ismaël Mereghetti, animateur du podcast Gimmic.

© Maëva Rioual

Le public est au rendez-vous, mais pas toujours pour l’événement se déroulant ce soir-là. Un petit brouhaha est donc présent tout du long, mais cela n’empêche pas de suivre les propos des trois invités, répondant à tour de rôle et échangeant avec expertise sur les sujets abordés.

Décomposée en plusieurs temps, la table ronde explore l’évolution de la carrière de Kendrick Lamar et de ses productions. Artiste engagé sur plusieurs fronts (tel que le mouvement Black Panther), il s’exprime à travers sa musique en questionnant le bien et le mal, sans savoir où lui-même se situer.
Avec une originalité et une capacité à se réinventer omniprésente, ses albums atteignent les sommets et c’est en 2018 qu’il obtient le prix Pulitzer pour DAMN, le premier attribué à un artiste hip hop. Cette récompense permet à Kendrick Lamar de montrer sa réalité à un public qui n’en avait pas la moindre idée, une grande avancée pour institutionnaliser le rap.

Nicolas Rogès, auteur de la biographie Kendrick Lamar – De Compton à la Maison-Blanche, nous explique sa passion pour cet artiste et d’où est venue son envie d’en faire un récit. A seulement 33 ans, la carrière de KL est déjà bien entamée et sa vie mouvementée, Nicolas est inspiré par le personnage et porté par ses albums. Ses paroles renvoient très souvent à Compton, le quartier de Los Angeles où il a grandit, et il n’en faut pas plus à l’auteur pour visiter la ville comme si le chanteur lui-même l’emmenait dans ses spots favoris.

“Les albums de Kendrick Lamar sont un véritable guide touristique de Compton” s’amuse Nicolas Rogès.

Une biographie forte, regorgeant de détail sur le travail de l’artiste, mettant en perspective une vie qui en dit déjà long et qui en promet davantage.

La table ronde nous en apprend beaucoup sur un prodige de notre époque, en laissant les portes ouvertes aux spectateur.trice.s pour se plonger à nouveau dans sa musique, avec cette fois différentes clés de compréhension. 

Nicolas Rogès © David Galla – CLACK

Hip Opsession se concentre ainsi sur la valeur de transmission du mouvement. Dans transmission, il y a mission, et c’est de cette oreille que l’entend le festival.

Projection du documentaire Give Back par le Dooinit Festival

Le dimanche 4 octobre, le Cinématographe accueille la projection du documentaire Give Back (2019) produit par le Dooinit Festival. Charles Songue et Julien Eveno se sont envolés aux Etats-Unis sur les traces de plusieurs artistes ayant décidé de dédier leur vie à la transmission. Un choix évident pour eux, après avoir tant appris d’un mouvement : le hip hop. En effet, comme Charles le précise à la suite de la projection : “l’histoire du hip hop et sa transmission sont indissociables”.


Le teaser de Give Back (2019)

Le documentaire a pour but de faire connaître le Dooinit Festival et ses actions, à travers les valeurs d’un mouvement peu médiatisé sous cet angle. “Dans le hip hop il n’y a pas d’école, c’est du do it yourself, on apprend à faire par nous-même, d’où le nom du Dooinit Festival.”, explique Charles.

La rappeuse nantaise Pumpkin, initiatrice d’ateliers rap pour donner la parole aux femmes, précise que le hip hop apporte énormément dans la construction d’une identité. Dans Give Back, les artistes témoignent d’une grande richesse apprise au cours de leur vie, qu’ils veulent transmettre à nouveau : “On ne donne pas mais on redonne”. Elle remarque à raison que les témoignages ne sont apportés que par des hommes, un petit rappel sur l’inégalité des genres encore très présent au sein du mouvement et qu’il est important de souligner. 

L’échange avec le public est riche, apportant de nombreuses précisions sur la préparation et le tournage du documentaire ainsi que sur les motivations du festival Hip Opsession. Give Back est à visionner sur la plateforme Qwest TV

© Pick Up Production

Comment maintenir la relation avec le public et adapter un festival de musique aux conditions sanitaires actuelles ? 

Fragil est allé à la rencontre d’Alexandre Le Clainche, chargé des relations aux publics à Pick Up Production. Il nous en dit plus sur son métier en abordant le lien étroit entre passion et engagement.

© Romain Charrier

Fragil : Quel est ton rôle au sein de Pick Up et quelles sont tes missions pendant cette édition du festival Hip Opsession ?

Alexandre Le Clainche : mon rôle est de mettre en place des actions pour permettre aux personnes les plus éloignées de nos propositions culturelles d’y prendre part. Cela passe par la mise en place des outils et moyens d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap ou par des projets montés en partenariat avec des acteurs du champ social, éducatif, médical ou carcéral…Avant d’avoir la position de spectateur, il faut créer la rencontre avec une œuvre, une culture, un artiste, un mouvement. On le travaille de manière très globale au sein de l’association et que l’on déploie dans nos événements : Hip Opsession et Transfert.

Table ronde interprétée en LSF par API LSF © David Galla – CLACK

Fragil : Qu’est ce qui te plaît le plus dans ton métier ? 

A : La rencontre. De partir du principe que tout est faisable pour tout le monde, et que les seules barrières qui existent entre la personne et la pratique sont contournables… Cela peut être de nombreuses barrières, elles peuvent être physiques (personnes en fauteuil, malvoyantes), économique ou encore symbolique, la plus compliquée de toutes. Ceux et celles qui se disent “ce n’est pas pour moi”, “ça ne va pas me plaire”, “je vais être mal intégré ».

Fragil : Cette nouvelle édition est très différente des précédentes. Comment se réinventer et s’adapter à cette situation dans un métier où le contact avec le public est permanent ?

A : Mine de rien, ça n’a pas tant changé notre façon de travailler car l’action culturelle est par définition un travail avec des individus. Pour que cela se passe bien, on va rarement faire des ateliers à trop de personnes. Sans évoquer le mot péjorativement, on ne se concentre pas sur la masse mais sur la personne. Donc les conditions sanitaires ne nous ont pas mis une contrainte insurmontable. Axer sur la transmission et sur l’action culturelle, cela reste un travail de fond que l’on fait depuis plusieurs années. Le format “covid” nous a permis de nous concentrer encore plus dessus.

Journée Hip hop kidz dans le cadre du festival © Chama Chereau

Fragil : As-tu remarqué des changements particuliers dans les comportements lors des rencontres avec du public ?

A : En fait, plutôt que de recevoir des pluies de commentaires négatifs sur la programmation par exemple, c’est surtout l’inverse qui s’est produit. Nous avons eu énormément de retours compréhensifs et bienveillants. Les gens étaient contents d’être là !

Fragil : Avant la projection de Give Back dimanche dernier, tu as introduit l’événement en expliquant à quel point la tenue du festival était importante pour Pick Up, peux-tu nous en dire plus sur cet engagement ?

A : La transmission a toujours été une valeur hyper importante du hip hop, c’est lié à la façon dont le mouvement né, à sa représentation, à l’envie des services publics ou des acteurs culturels de le soutenir. Notamment en période “covid”, il faut souligner que ce sont toujours les mêmes personnes qui pâtissent le plus des événements difficiles. Celles et ceux en situation de handicap, les personnes pauvres, les personnes délaissées… Notre rôle est d’autant plus essentiel : se bagarrer pour que l’accès à des événements soit possible, peu importe les difficultés rencontrées.

Atelier de beat box animé par Furax, accessible à des personnes sourdes et malentendantes © Pick Up Production

Fragil : Comment se présente Hip Opsession Danse 2021 ?

A : Ça va être complexe. Il y a encore un mois, on imaginait des choses qui ne vont pas être possibles, dans tous les cas ça ne s’améliore pas dans le bon sens. On va travailler des formats réduits, ce genre de choses. Mais en ayant expérimenté cette édition, vu le kiff que ça a apporté et l’importance que ça pouvait avoir, on va travailler dans la même dynamique ! Personnellement, je pense que ça va nous booster pour proposer de nouvelles choses, malgré le contexte. Si nous, qui travaillons dans l’action culturelle, commençons à baisser les bras, ça ne sert à rien de faire ce métier là. C’est justement le but de travailler avec des bâtons dans les roues et de savoir s’adapter. Il va se passer plein de choses et j’espère que les gens seront au rendez-vous !

Fragil : Merci beaucoup Alex !

Un festival porteur d’espoir pour les événements à venir, dépendant des évolutions de la crise sanitaire mais pouvant s’appuyer sur une motivation sans faille.

Prochaine programmation à retrouver sur le site Hip Opsession et à suivre sur leur compte Facebook et Instagram !

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Etudiante en communication, passionnée par les arts et le spectacle vivant. Je danse et j’écris un peu, parfois.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017