3 mai 2019

« Un bal masqué » à Nantes : le roi est mort sur scène

« Le bal masqué » de Verdi (1859) est un opéra qui s’inspire d’un fait réel. Dans le spectacle présenté en mars 2019 par Angers Nantes Opéra, le metteur en scène Waut Koeken en a fait une puissante métaphore du théâtre.

« Un bal masqué » à Nantes : le roi est mort sur scène

03 Mai 2019

« Le bal masqué » de Verdi (1859) est un opéra qui s’inspire d’un fait réel. Dans le spectacle présenté en mars 2019 par Angers Nantes Opéra, le metteur en scène Waut Koeken en a fait une puissante métaphore du théâtre.

Le 16 mars 1792, le roi Gustave III de Suède était assassiné en plein bal masqué. Cet épisode historique, particulièrement troublant par l’extrême confusion qu’il génère, était fait pour rencontrer l’opéra ; la mort s’y invite en pleine fête. Dès 1833, le compositeur français Daniel-François-Esprit Auber s’en emparait dans un ouvrage en cinq actes, sur un livret d’Eugène Scribe, « Gustave III ou le bal masqué », que l’on ne représente quasiment plus aujourd’hui. Giuseppe Verdi, en 1859, est parti de la même trame et des mêmes personnages pour « Un bal masqué », dont le livret est d’Antonio Somma, et qui est régulièrement repris partout dans le monde. Dans son travail sur « Barbe-Bleue » de Jacques Offenbach, présenté en 2014 par Angers Nantes Opéra, Waut Koeken démontait les mécanismes du pouvoir, à la cour du Roi Bobèche (incarné de façon stupéfiante par Raphaël Brémard) , à la fois désopilante et complètement dérisoire . Il raconte ici l’histoire d’un régicide masqué, dans une fascinante mise en abyme, où tout le théâtre se met à nu.

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Il raconte ici l’histoire d’un régicide masqué, dans une fascinante mise en abyme

JM Jagu

Un jeu de l’amour et du pouvoir

Verdi explore toute une dramaturgie du pouvoir dans son œuvre. Dès « Nabucco » (1842), le compositeur en exprime une véritable fièvre, qu’il décline aussi dans « Macbeth » (1847), tragédie de l’ambition d’après la pièce de Shakespeare. Mais les élans collectifs sont aussi traversés par des drames intimes. « Simon Boccanegra » (1857) montre un doge de Gênes, rattrapé par les affres de la paternité, dans « Don Carlo » (1867), Philippe II, Roi d’Espagne, chante que celle qu’il aime ne l’aime pas, dans la solitude de son palais glacé, tandis que la Princesse Amneris, dans « Aida » (1871), se jette aux pieds de ses ministres pour supplier la grâce de celui dont elle est éperdument amoureuse. Dans « Un bal masqué », le règne de Gustave III paraît d’emblée plus léger : le Roi, amusé par les prédictions de la voyante Mme Arvedson, se rend chez elle sur un rythme joyeux, déguisé en pêcheur. De plus, l’un des enjeux de l’opéra est l’organisation d’un bal masqué. On conspire pourtant contre ce monarque, mais le mal qui ronge le palais est avant tout d’ordre privé.

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Le mal qui ronge le palais est avant tout d’ordre privé

JM Jagu

L’histoire d’une passion amoureuse contrariée…

Cet opéra est aussi l’histoire d’une passion amoureuse contrariée. Gustave et Amelia s’aiment d’un amour réciproque, mais cette dernière est l’épouse du Comte Renato Anckarström, secrétaire et ami du Roi. Mme Arvedson a un côté démiurge. Elle est incarnée de manière très dramatique par Agostina Smimmero, à la voix sombre. La voyante prédit au Roi qu’il mourra sous les coups de celui qui lui serrera la main en premier ; Anckarström rentre précisément en scène. Dès le premier acte de l’opéra, le théâtre se démultiplie, avec une petite scène au centre, éclairée par une rampe de lumières couvertes de masques. Cet adorable théâtre, au rideau rouge, se retourne révélant l’envers du décor pour cette scène des présages, d’une inquiétante étrangeté, avec fumigènes où l’on devine des danseurs aux masques dessinés sur leurs vêtements. Est-ce la chronique d’une mort annoncée, pour un Roi qui paraît trop confiant ?

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La perspective d’un théâtre à l’italienne renversé est saisissante, avec le plafond du théâtre de face

JM Jagu

Le duo d’amour qui suit est d’une bouleversante intensité…

Malgré ces sombres prédictions, les deux amants maudits se retrouvent à minuit dans un lieu sinistre. Amelia est rongée par la culpabilité tandis que l’on entend les douze coups à l’horloge. Sa première réplique, « Dans ce lieu sinistre où la mort et le crime se rencontrent », accentue l’insécurité qui l’étreint. La mise en scène prolonge la métaphore du théâtre en plaçant cette rencontre nocturne sur un plateau dénudé, bordé d’une vieille machinerie avec des cordes, sous une lumière bleue. Le duo d’amour qui suit est d’une bouleversante intensité, avec quelques paroxysmes qui rappellent celui de « Tristan et Isolde », et quelques aigus d’une infinie sensualité, magnifiés par la voix sompteuse de Monica Zanettin, brûlante Amelia. Stefano Secco apporte à la figure du Roi un timbre chaleureux aux accents riches et contrastés. Il restitue avec une poignante vérité la passion dévastatrice et la peur de trahir, dans une forme de fuite en avant. Ce magnifique artiste explorera un autre type de dualité dans le « Faust » de Gounod qu’il va incarner fin mai 2019 à l’Opéra de Nice. Le masque tombe au terme du duo d’amour, dans un moment qui rappelle précisément l’arrivée du Roi Marke dans « Tristan et Isolde ». Ce sont les conjurés qui, sur un éclat de rire, révèlent au mari l’infidélité de sa femme.

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Le masque tombe au terme du duo d’amour

JM Jagu

La mort en pleine représentation

Le troisième acte du spectacle atteint un sommet, tant sur le plan dramatique que visuel. La métaphore du théâtre suit les mouvements de l’intrigue, où le thème du masque est omniprésent. Oscar, un rôle travesti pour soprano, est aussi une sorte de démiurge, qui apporte une légèreté à l’action, semblant émerger d’une fête de chaque instant. C’est lui qui apporte les invitations pour le bal masqué. Hila Baggio sculpte cette figure insouciante par des vocalises cristallines, qui renforcent le mélange des genres, tandis que le drame est en marche. Une scène très réaliste montre une dispute conjugale entre Amelia et Renato. L’épouse est contrainte de nommer l’assassin du Roi que l’on tire au sort, dans un effet très dramatique. A l’arrière plan, on voit le théâtre qui se fissure. Plus tard, Gustave livre ses doutes dans un poignant monologue, devant un rideau rouge et or, comme un acteur dans sa loge avant d’entrer pour sa grande scène.

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Oscar, un rôle travesti pour soprano, est aussi une sorte de démiurge, qui apporte une légèreté à l’action.

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Le roi se lève comme un acteur, va jusqu’au fond du plateau, vers la lumière aveuglante d’un projecteur.

Durant le premier acte, une miniature de décor annonçait la scène de l’éclatement de la vérité, sur fond de conspiration. La scène finale du bal masqué est d’une grande intensité. La perspective d’un théâtre à l’italienne renversé est saisissante, avec le plafond du théâtre de face . C’est comme une vue de dessous, que les spectateurs voient devant eux, dans des repères désormais brouillés. Des paillettes dorées expriment la fête mais les convives, portant tous le même masque, dansent de manière impassible. La mort du Roi, en pleine fête, fait songer à la nouvelle d’Edgar Poe « Le masque de la mort rouge » (1842), où l’on cherche à s’abriter de la peste dans l’ivresse d’un bal, mais l’abri est dérisoire, et la mort s’invite. C’est Oscar qui révèle à l’ami où se trouve Gustave, accélérant le drame de manière inconsciente. Le destin s’accomplit et le roi se lève comme un acteur, va jusqu’au fond du plateau, vers la lumière aveuglante d’un projecteur : c’est son ultime rôle et on lui jette des fleurs. Stefano Secco se montre particulièrement habité, dans ce dénouement d’une beauté troublante, où la vérité des masques se révèle dans celle du jeu.

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La vérité des masques se révèle dans celle du jeu

JM Jagu

La mise en scène de ce « Bal masqué » est passionnante, avec de beaux moments de théâtre.

La mise en scène de ce « Bal masqué » est passionnante, avec de beaux moments de théâtre. Toute cette énergie du plateau se retrouve dans la direction musicale très généreuse de Pietro Mianiti, qui met en valeur les différentes atmosphères de la partition, et la puissance des élans lyriques. Le chœur d’Angers Nantes Opéra est à nouveau très investi, scéniquement comme vocalement, et c’est toujours un bonheur de le retrouver d’un spectacle à l’autre. Il va être très sollicité dans le prochain ouvrage à l’affiche puisqu’il s’agit du « Vaisseau fantôme » de Richard Wagner, où les pages pour chœurs sont grandioses. Cet opéra sera représenté à Nantes et à Angers entre le 21 mai et le 13 juin 2019. Le 13 juin, le spectacle sera retransmis sur écran géant, à partir de 19h, Place Graslin et Place Royale à Nantes, et Place du Ralliement à Angers. Alain Surrans poursuit cette belle idée qu’il avait initiée à Rennes pour « Don Giovanni » (2009) et « Carmen » (2017) notamment. C’est gratuit, et ce sera un moment énorme pour ceux qui ne pourront assister à une représentation au Théâtre…un bon moyen de se laisser surprendre par l’opéra !

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La mise en scène de ce « Bal masqué » est passionnante, avec de beaux moments de théâtre

JM Jagu

Un stage pour réaliser un agenda culturel interactif avec de jeunes orvaltais

Entre deux concerts, rencontre avec KO KO MO

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017