8 juin 2022

Tribune : «Monsieur le Président, faites de l’éducation aux médias et à l’information une grande cause nationale»

Fragil s'associe à la tribune rédigée par l‘Alliance Pour l’Éducation aux Médias et une cinquantaine d'organisations pour demander au gouvernement une véritable politique publique en faveur de l’éducation aux médias.

Tribune : «Monsieur le Président, faites de l’éducation aux médias et à l’information une grande cause nationale»

08 Juin 2022

Fragil s'associe à la tribune rédigée par l‘Alliance Pour l’Éducation aux Médias et une cinquantaine d'organisations pour demander au gouvernement une véritable politique publique en faveur de l’éducation aux médias.

Face à la déferlante de fausses informations, les acteurs de l’éducation aux médias et à l’information tirent la sonnette d’alarme. Il est urgent de mettre en place une véritable politique publique dans ce domaine et de donner aux acteurs de terrain les moyens d’agir enfin de manière concrète, coordonnée et efficace.

« Monsieur le Président,

Le 24 avril, dès les premières minutes de votre réélection, vous avez choisi de traverser la foule entouré d’enfants, envoyant à tous vos concitoyens un message fort : votre nouveau quinquennat sera celui de la jeunesse. Cette jeunesse, vous voulez lui offrir un “monde meilleur” et “mieux la protéger”, dans une société de plus en plus fragmentée.

Mais cette jeunesse, qui devra affronter l’immense défi climatique et redonner un nouveau souffle à notre démocratie vieillissante, se trouve aujourd’hui désarmée face à un flot continu d’informations, de posts et de messages, dont elle peine à évaluer la fiabilité et la pertinence. Tous les jeunes Français ne disposent pas des outils pour se forger une opinion de manière éclairée et saine, ils sont entraînés dans des spirales dangereuses, pouvant mener à l’isolement et à la radicalisation.

Ce fléau touche toute la société : aucune classe sociale, aucune classe d’âge n’est épargnée. Aujourd’hui, un Français sur trois souscrit à une théorie conspirationniste. Les croyances prennent le pas sur la rationalité. Nombreux sont nos concitoyens qui s’éloignent de la médecine et de la science. La confiance dans les médias et les institutions est au plus bas, ce qui met directement en danger notre démocratie.

Nous, journalistes, éducateurs, enseignants, chercheurs, formateurs, vulgarisateurs, agissant sur le terrain, côtoyons tous les jours des publics en désarroi. Et nous sommes extrêmement inquiets.

A l’école, des millions d’élèves quittent leur établissement sans avoir acquis les compétences indispensables à l’exercice de leur citoyenneté à l’ère numérique. Les enseignants ne bénéficient pas tous de la formation adéquate pour éveiller l’esprit critique des élèves. Souvent, l’éducation aux médias et à l’information, inscrite dans les programmes mais sans heures dédiées, relève de seules initiatives individuelles. Le manque de moyens et de ressources qui lui sont alloués est criant.

Hors l’école, malgré l’investissement de certains ministères, le soutien aux acteurs de terrain reste irrégulier et incomplet. Des dizaines d’associations, de lieux de savoir et de culture, d’entreprises et de citoyens engagés se battent pour défendre la qualité de l’information et aiguiser l’esprit critique des Français. Mais cet engagement est réparti de manière inégale sur le territoire, au point que la fracture informationnelle vient aujourd’hui aggraver les fractures sociales et économiques existantes.

M. le Président, la défaillance de l’Etat sur le sujet a un coût : les plateformes, en grande partie responsables du problème, s’engouffrent dans ce créneau, au détriment de l’indépendance et de la pluralité médiatique, sans autre garantie de qualité que leurs propres critères.

Nous, acteurs et artisans de l’éducation aux médias et à l’information au quotidien, formons aujourd’hui une coalition riche, diverse et inclusive. Nous voulons construire ensemble une action coordonnée et réellement efficace sur l’ensemble du territoire.

Monsieur le Président, la situation exige d’élever l’éducation aux médias et à l’information au rang de grande cause nationale.

Pour que cela se traduise concrètement, nous vous demandons de créer sans délai un “fonds éducation aux médias et à l’information”. Ce fonds pourrait être financé par l’Etat et par une fraction de la taxe sur les entreprises numériques. Il permettrait de soutenir les acteurs de terrain, en relation directe avec les pouvoirs publics et les élus, à l’échelle nationale et locale.

La mise en place d’une véritable politique de l’éducation aux médias et à l’information ne pourra se faire qu’à ce prix. Cet investissement constitue une formidable opportunité pour la France. Un immense espoir pour cette jeunesse qui nous tient tant à cœur. Ensemble, nous placerons la France à la pointe de la lutte contre la désinformation et la manipulation en ligne et nous façonnerons une véritable citoyenneté à l’ère numérique, partout et pour tous.

M. le Président, la France a la chance de compter d’innombrables acteurs de terrain mobilisés pour faire de notre pays une nation éclairée et ressoudée. Il faut que la volonté politique soit au rendez-vous. Le défi est immense.

Etes-vous prêt à le relever?  »

Rédigée par une coalition d’acteurs de terrain, cette tribune a déjà reçu le soutien de 50 associations, entreprises, structures d’enseignement et d’éducation populaire … et de 100 personnalités impliquées dans le champ de l’éducation aux médias.

Pour consulter la liste complète des signataires, veuillez cliquer ici

Featured Image Placeholder

30 ans après, la Bosnie sous la menace d’un éclatement. L’histoire revue et corrigée à l'espace Cosmopolis.

Jeune diplômé déjà en reconversion professionnelle : un grand écart entre deux métiers

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017