8 juillet 2020

Rencontre avec Doris Lamprecht : Des rôles en résonance avec le vécu…

Doris Lamprecht a chanté dans trois spectacles marquants d’Angers Nantes Opéra durant ces dernières saisons. Cette merveilleuse artiste au fort tempérament revient sur des étapes de son parcours, tout en confiant ses craintes et ses espoirs, dans la période que nous traversons.

Rencontre avec Doris Lamprecht : Des rôles en résonance avec le vécu…

08 Juil 2020

Doris Lamprecht a chanté dans trois spectacles marquants d’Angers Nantes Opéra durant ces dernières saisons. Cette merveilleuse artiste au fort tempérament revient sur des étapes de son parcours, tout en confiant ses craintes et ses espoirs, dans la période que nous traversons.

Fragil : Vous êtes venue à trois reprises chanter à Angers Nantes Opéra au cours de ces dernières années, et vous étiez Mary dans la vision spectaculaire du Vaisseau fantôme de Richard Wagner par les sœurs Blankenship, en juin 2019. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?

Doris Lamprecht : Le fait de répéter dans l’eau nous a apporté une formidable énergie, qui accentuait la violence de nos actions sur le plateau. Tout le monde s’est lâché sur ce spectacle et chacun a été exemplaire, dans une dynamique partagée par l’ensemble des solistes et des choristes. Il y avait un dispositif lourd, avec cinq tambours qui tournaient en permanence derrière la scène, pour essorer des vêtements que l’on remettait mouillés. Même l’interprète principal entrait sur scène en nageant avant d’aborder son premier air ! J’ai adoré chanter dans ces conditions de marins, qui m’ont permis une immersion au sens propre dans le rôle. Je me souviens du chœur des fantômes, qui était placé dans les coulisses côté régie ; je me trouvais face à eux durant une scène, et ils dégageaient tous une force et une violence impressionnantes. Cette difficulté de l’eau était très dure, avec la chaleur en plus, mais l’expérience a été extraordinaire.

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Doris-Lamprecht-©Alexandre-Calleau
Doris Lamprecht en février 2017 à Nice, où elle chantait Madame Larina dans "Eugène Onéguine"; dans la mise en scène d'Alain Garichot.

Alexandre Calleau

« Dans La Périchole, le Vice-Roi ne pense qu’à gaspiller les fonds publics et à s’envoyer en l’air…n’y-a-t ’il pas des résonances avec notre époque ? »

Fragil : Dans un registre différent, vous avez aussi incarné l’Opinion Publique dans Orphée aux enfers de Jacques Offenbach en 2016, dans la mise en scène de Ted Huffman où l’on vous a également vue à Nancy et à Montpellier. Quel souvenir en gardez-vous et que représente pour vous ce compositeur ?

Doris Lamprecht : J’ai aussi chanté les rôles de La Périchole et de La Belle Hélène, et j’adorerais faire celui de La grande duchesse de Gérolstein. C’était intéressant de représenter le peuple en incarnant cette Opinion Publique. On peut mettre le texte au goût du jour, ce en quoi on se rapproche de l’art du cabaret. Je suis originaire d’Autriche où ce genre est une véritable nécessité. A la fois populaire et très redouté, il permet de critiquer sans vraiment s’afficher. Lorsque j’ai joué ce spectacle à Montpellier, je disais mon texte parmi le public. Dans Orphée aux enfers, cette figure allégorique rend compte de l’opinion des Français, dans la critique de la société faite par Offenbach. Le compositeur n’a pas cessé de dénoncer les travers de son temps. Dans La Périchole, le Vice-Roi ne pense qu’à gaspiller les fonds publics et à s’envoyer en l’air…n’y-a-t ’il pas des résonances avec notre époque ? Nous avons besoin de cette forme de critique, c’est une soupape indispensable et il n’y a malheureusement plus de spectacles d’une telle force aujourd’hui.

« Certains rôles trouvent des échos dans sa vie au moment où on les aborde. »

Fragil : Vous avez également bouleversé le public nantais dans le rôle de la première prieure des Dialogues des carmélites de Francis Poulenc en 2013. Comment rencontre-t-on un tel personnage ?

Doris Lamprecht : Certains rôles trouvent des échos dans sa vie au moment où on les aborde. J’ai adoré jouer cette première prieure qui tout à coup rejette tout, alors qu’elle a porté la croix pendant des années. C’est une figure extraordinaire. Je suis croyante mais parfois, la foi devient compliquée. Vocalement, j’aurais aimé chanter Mère Marie, mais la prieure est un personnage plus construit, qui souffre et qui meurt, et qui touche par son côté extrêmement humain. La mort était l’apothéose de mon rôle, alors que Mère Marie n’est pas humaine avec sa rigueur, son refus de s’abandonner et son aigreur : elle est en apothéose tout le temps. La prieure va jusqu’à remettre Dieu en question. On peut être habité par la foi tout en doutant, ce qui n’est pas forcément choquant. Cet opéra a des résonances autobiographiques avec Poulenc, lui-même très croyant. Mireille Delunsch, qui mettait en scène le spectacle, connaissait bien le sujet et aimait chaque personnage. L’actrice Fanny Ardant, qui m’a dirigée dans Véronique d’André Messager au Théâtre du Châtelet, disait aussi que lorsqu’elle travaille sur un ouvrage, elle s’efforce d’aimer chaque rôle, car on peut ainsi les conduire beaucoup plus loin. Il n’y a pas de petits rôles, il n’y a que de grands interprètes. J’ai chanté Emilia d’Otello de Verdi, dans la mise en scène de Nadine Duffaut, où le personnage était toujours sur scène, y compris lorsqu’il ne chantait pas. Je m’investis toujours à 150 % dans mes rôles, même lorsqu’il leur arrive d’avoir des présences muettes. Pour en revenir à cette prieure des Dialogues des carmélites, cette production a été pour moi violente, mais libératrice.

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Orphée-Montpellier-c.
L'opinion publique dans "Orphée aux enfers" d'Offenbach, mis en scène par Ted Huffman, à Montpellier

Marc Larcher

« …une chine d’aujourd’hui, où l’on injecte la mort à des gens sans qu’ils puissent se défendre, où l’être humain ne compte pas. »

Fragil : Vous avez chanté en 2018 une rareté d’Alexander Von Zemlinsky à l’Opéra National de Lyon, Der Kreidekreis (le cercle de craie), aux côtés de la soprano Nicola Beller Carbone. Comment présenteriez-vous la partition et ce spectacle ?

Doris Lamprecht : La première fois que je l’ai écoutée, j’ai adoré cette musique très représentative des années 1930, que je rapproche de Kurt Weill, avec un côté cabaret. Les compositeurs de cette époque se sont beaucoup inspirés les uns des autres. Le sujet s’inspire de l’orient, mais le metteur en scène Richard Brunel* a transposé l’ouvrage dans une chine d’aujourd’hui, où l’on injecte la mort à des gens sans qu’ils puissent se défendre, où l’être humain ne compte pas. Il a mis le thème du pouvoir en avant, dans un spectacle très fort. Un acteur était engagé pour dire les textes parlés. J’ai beaucoup aimé ce travail avec Richard Brunel, qui est aujourd’hui directeur de l’Opéra National de Lyon.

*Angers Nantes Opéra a programmé en mai 2011 L’élixir d’amour de Donizetti, dans une mise en scène de Richard Brunel.

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Eugène Onéguine à l'opéra de Strasbourg

DR

« Il y a pour moi dans cet ouvrage un côté « petite madeleine » »

Fragil : Vous êtes une habituée du rôle de Madame Larina d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski, que vous avez notamment incarné à l’Opéra de Nice et à l’Opéra de Marseille, dans la mise en scène d’Alain Garichot, et au Japon, l’an passé, dans le cadre du prestigieux Festival Seiji Ozawa de Matsumoto, dans la vision de Robert Carsen. Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans cet opéra ?

Doris Lamprecht : J’avais déjà chanté dans le spectacle de Robert Carsen à Genève, et c’est certainement pour cela qu’on a fait appel à moi à Matsumoto. Il y a pour moi dans cet ouvrage un côté « petite madeleine », avec des réminiscences de ce que j’ai vécu dans des écoles de danse en Autriche. Cette Polonaise qui ouvre le bal, au début du troisième acte, fait partie de notre culture et de ma vie. C’est le symbole chez nous de notre entrée en société, et je l’ai dansée pour mon baccalauréat avec mon papa. Je revis sur cette musique, comme lorsque j’écoute Le beau Danube bleu, où je me lève et je danse. Le sujet de l’opéra est d’une grande intensité, avec ces vies ratées, ce duel et ces sacrifices. Larina est un très beau rôle, et je suis très fière qu’on me le demande un peu partout.

Fragil : Vous avez joué en octobre 2019 deux rôles dans Andrea Chénier d’Umberto Giordano à l’Opéra de Toulon, celui de la Comtesse de Coigny, et celui de Madelon, une pauvre veuve. Comment enchaine-t-on ainsi deux figures aux antipodes l’une de l’autre ?

Doris Lamprecht : C’est un challenge, j’adore passer d’un registre à l’autre, même en récital, et ces deux personnages m’ont fait faire un grand écart : la Comtesse est complètement aveugle face à ce qui se passe autour d’elle, elle fait semblant, tandis que Madelon exprime une douleur authentique. C’est justement le rôle de Madelon qui m’a fait aimer la partition. Il n’était pas prévu au départ, et c’est le librettiste qui l’a imposé au compositeur, qui en a fait une figure très mélodramatique, et même déchirante.

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Dans les coulisses de l'Opéra de Toulon, avant d'incarner son second rôle dans "Andrea Chénier", la figure dramatique de Madelon.

Franck Aderschlag

« J’ai l’impression d’avoir déjà vécu ce qu’une telle femme dégage. »

Fragil :  Vous allez chanter La Kabanicha dans Katia Kabanova de Janacek au Komische Oper de Berlin. Le spectacle était programmé en septembre prochain, mais il va être reporté à la saison suivante. Comment êtes-vous entrée dans l’univers de ce compositeur ?

Doris Lamprecht : Je vais jouer une méchante femme, comme on en trouve dans d’autres opéras de l’est. Je compare Katia Kabanova à Lady Macbeth de Mzensk de Dmitri Chostakovitch. Cette Kabanicha ne met pas en valeur son fils, elle déteste sa belle-fille. La partition n’est pas facile et j’ai appris tout le texte en tchèque, mais c’est surtout le personnage qui est intéressant à construire. J’ai l’impression d’avoir déjà vécu ce qu’une telle femme dégage. Le texte est extrêmement important et Janacek a mis une intention sur chaque mot, en écoutant les gens dans la rue. C’est de l’opéra parlé. Le compositeur s’est davantage soucié de la justesse de l’expression que de la beauté du chant. Cette mère autoritaire ne fait ses reproches que sur des notes aigues ; et son seul souci est de paraitre forte tout le temps et d’écraser les autres. A la fin de l’opéra, tout le monde est bouleversé par la mort de Katia, qui s’est noyée et que l’on sort de l’eau. La Kabanicha n’affiche aucune émotion et dit froidement : « Merci beaucoup de vous être déplacés ». Je travaille sur ce rôle depuis l’année dernière, avec Anna Pechkova, qui a été cheffe de chant à l’Opéra de Marseille, et avec mon coach Denis Dubois, de l’Opéra de Paris, pour la préparation musicale. L’aide d’Irène Kudela, la référence en répertoire tchèque et russe, m’est extrêmement précieuse. Ce rôle, comme celui de la prieure, nécessite aussi une longue préparation émotionnelle (entre un an et un an et demi) ; ce sont des caractères forts, qu’il faut digérer et presque ruminer, avant de sortir quelque chose de juste.

Fragil : Vous avez également incarné un autre personnage de mère, celui de Madame de la Haltière dans Cendrillon de Jules Massenet, au Komische Oper de Berlin, dans une mise en scène du vénitien Damiano Michieletto, en décembre 2018. Quel souvenir en gardez-vous ?

Doris Lamprecht : Je suis très fière de chanter à Berlin, cela faisait partie de mes rêves. Le Komische Oper est une vraie maison de qualité, où chacun est à son poste pour que le spectacle soit exceptionnel. Lorsque je rentre dans ma loge avant la représentation, tout est prêt pour me placer dans les meilleures conditions. Il y a une belle effervescence, que ce soit pour les créations ou les œuvres au répertoire, et le public est au rendez-vous. Pendant que nous préparions Cendrillon, j’ai pu voir Barbe-Bleue d’Offenbach, L’amour des trois oranges de Prokofiev et une mise en scène exceptionnelle de la comédie musicale de Joseph Stein, Un violon sur le toit. Barrie Kosky, le directeur du théâtre, a ressorti tout un répertoire oublié de l’entre-deux guerre, en montant des opérettes d’Oscar Straus, ou Victoria et son hussard de Paul Abraham. Cette production de Cendrillon était la reprise d’un spectacle créé en 2016, dans une mise en scène intelligente, transposée dans une époque indéfinie, où Madame de la Haltière était maitresse de ballet dans une école de danse, et le père, un moins-que-rien. On cherchait une nouvelle première danseuse et, dans une image assez délirante, tous les chœurs, hommes et femmes, portaient des tutus pour se présenter au casting. La fin était belle : Cendrillon sortait en béquilles de l’hôpital tandis que l’on préparait un voile de mariée de sept mètres de long sur une machine à coudre des années 30. Ce voile qui n’en finissait pas et traversait la scène était superbe.

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L'opinion publique dans "Orphée aux enfers" d'Offenbach, mis en scène par Ted Huffman, à Montpellier

Marc Larcher

« Une belle voix sans émotion, ça ne passe pas. »

Fragil : Vous enseignez le chant lyrique au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris (le CRR). Quelles joies cette transmission de votre art vous procure-t-elle ?

Doris Lamprecht : J’enseigne là où j’ai appris à chanter, rue de Madrid dans les anciens locaux du CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique et de danse de Paris), désormais installé Avenue Jean Jaurès, à La Villette. Le CRR est l’antichambre du CNSM. Ainsi, d’une certaine manière, la boucle est bouclée. Je donne également des cours au Conservatoire du 9ème arrondissement et au pôle supérieur de Paris Boulogne Billancourt. Je cherche à partager mon expérience en me montrant exigeante tout en donnant de la nourriture pour faire gagner du temps. Il y a une technique à maitriser, mais je mets en avant que nous restituions avant tout une émotion, et pas seulement des notes. Une belle voix sans émotion, ça ne passe pas, mais si on ajoute à ces deux éléments la compréhension du texte, c’est un véritable feu d’artifice ! Je suggère à mes élèves de regarder la phrase en l’écrivant, pour ne pas couper la ligne musicale et bien comprendre ce que l’on dit. Je m’efforce aussi de leur faire sortir leur vécu, tout en banalisant la situation. Il m’arrive de citer Christa Ludwig, qui a été l’une de mes professeures. Cette grande dame du chant me disait : « Doris, faites de vos défauts des qualités, assumez-vous ». Ce précieux conseil a changé ma vie. D’une manière générale, j’ai le souci de faire gagner en l’expérience et en confiance, tout en prenant du temps, une valeur que la société ne nous apprend pas suffisamment.

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Festival Offenbach d'Etretat en 2017

Jean Pouget

« La culture ne doit cependant pas être rentable, c’est un dû. »

Fragil : Comment avez-vous vécu la période de confinement et avez-vous des craintes face à la situation que traverse actuellement l’opéra ?

Doris Lamprecht : Tout à coup, le temps est devenu important. J’ai vécu ce confinement comme un cadeau. On n’avait plus le droit de courir après le métro, ni après le travail et on devait s’organiser différemment. Plus rien du quotidien n’était vraiment important, car l’essentiel était ailleurs, sauver des vies et irradier le virus. Je suis aujourd’hui dans l’attente, comme tout le monde, et j’ai peur que le spectacle vivant soit l’un des domaines les plus touchés. Comment en effet rentabiliser des spectacles qui vont être encore plus déficitaires ? Les producteurs ne produisent plus rien. La culture ne doit cependant pas être rentable, c’est un dû. Je suis triste aussi pour ces talents qui risquent de s’éteindre. Certains de mes collègues chanteurs ont dû faire de la manutention, parce qu’ils n’avaient pas le statut d’intermittent. Il y en a qui sont dans une situation précaire. Katia Kabanova aurait dû se faire en septembre prochain à Berlin, le spectacle est reporté. Nous comptons tous sur nos contrats pour vivre et pour manger, j’ai moi-même trois garçons. J’ai beaucoup de chance d’enseigner, mais pour beaucoup tout s’écroule, car nous naviguons approximativement dans des eaux troubles et floues.

« la nouvelle génération d’artistes ne doit pas s’éteindre, elle doit vivre ! »

Fragil : Quel est votre souhait le plus cher pour l’avenir de l’opéra ?

Doris Lamprecht : J’aimerais vraiment que la culture ait sa place dans toutes les couches sociales, et que l’on donne plus aux enfants la possibilité d’aller à l’opéra. Il faudrait aussi mettre les salaires des artistes lyriques à plat, et veiller à ce qu’ils soient plus équilibrés, pour faire travailler plus de monde. En Allemagne et en Autriche, il y a davantage de troupes ; ce pourrait être une bonne solution en France. Je suis quelqu’un de très positif, mais je suis extrêmement triste de la situation actuelle. Je voudrais que le voile se lève sur toutes les incertitudes qui nous habitent ; la nouvelle génération d’artistes ne doit pas s’éteindre, elle doit vivre !

Photo de tête : La marquise de  de Birkenfeld dans « La fille du régiment » de Donizetti, mis en scène par  Pier Francesco Maestrini à Pékin en 2018 / © Wang Xiaojing

Élections municipales 2020 à Nantes : dans les coulisses de la salle de presse

Nana : « libérée, dé… gradée » ?

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017