29 juillet 2020

Plongée dans la rédaction de Ouest-France du Maine-et-Loire avec Benoît Guérin

Ouest-France qui s'appuie sur 58 rédactions locales est le quotidien français le plus vendu. Du fonctionnement de la rédaction de Ouest-France du Maine-et-Loire à l'arrivée du web et de la réactivité en passant par l'éducation aux médias, entretien avec Benoît Guérin, directeur départemental du Maine-et-Loire de Ouest-France

Plongée dans la rédaction de Ouest-France du Maine-et-Loire avec Benoît Guérin

29 Juil 2020

Ouest-France qui s'appuie sur 58 rédactions locales est le quotidien français le plus vendu. Du fonctionnement de la rédaction de Ouest-France du Maine-et-Loire à l'arrivée du web et de la réactivité en passant par l'éducation aux médias, entretien avec Benoît Guérin, directeur départemental du Maine-et-Loire de Ouest-France

Ouest-France est un journal de la PQR (Presse Quotidienne Régionale) implanté dans le Grand Ouest. Il englobe les régions de la Bretagne, de la Normandie et des Pays de la Loire. Détenu par la famille Hutin, avec d’autres journaux locaux comme Presse-Océan, Le Maine libre, La Presse de la Manche ou encore le Courrier de l’Ouest, Ouest-France est le quotidien le plus vendu en France avec une diffusion à 634 968 exemplaires selon les chiffres de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias de 2019. Il devance ainsi les plus grands quotidiens nationaux comme Le Figaro et Le Monde vendus tous les deux autour de 320 000 exemplaires. Ouest-France se définit d’ailleurs comme “le premier quotidien français depuis 1975. Il est le premier quotidien francophone au monde”.

Cet article va s’attacher à la rédaction locale du Maine-et-Loire de Ouest-France. Le quotidien s’appuie en effet sur 58 rédactions implantées dans les 12 départements de Bretagne, de Normandie et des Pays de la Loire mais aussi à Paris. Interviewé par téléphone le 25 mai, Benoît Guérin, directeur départemental de Ouest-France du Maine-et-Loire a répondu à nos questions.

Journaliste depuis presque vingt ans, Benoît Guérin est passé dans différentes rédactions de Ouest-France, avec entre autres Lorient, Angers, Saint-Malo, Deauville, les Sables d’Olonne. En 2012, il devient responsable de la rédaction de Ouest-France aux Herbiers en Vendée, pendant 4 ans. Depuis 2016, il est directeur départemental de la rédaction de Ouest-France du Maine-et-Loire.

L’organisation de la rédaction à Angers

A la rédaction locale de Ouest-France à Angers, Benoît Guérin occupe le poste de directeur départemental. II est une “courroie de transmission”, “j’essaye d’impulser, de traduire les idées et volontés de la rédaction en chef et de la direction dans mon département avec mes collègues.”. Il y a une dimension managériale forte dans son métier, sa priorité reste “l’impulsion éditoriale” et il a un rôle de “représentation de la direction et de la rédaction en chef de Ouest-France” dans son département. Ce qui veut dire que concrètement, il est “l’interlocuteur des élus”.

Ce rôle de directeur départemental ne l’empêche pas de continuer à être journaliste puisqu’il continue à écrire pour le journal, même si la part de terrain est beaucoup moins importante qu’avant. Cela lui permet de rester ancrer sur la réalité, “ça fait du bien de retourner sur le terrain parce que sinon on est complétement déconnectés”.

Au sein de la rédaction, il y a une trentaine de journalistes. Dans le département, il y a deux rédactions, une à Cholet et une à Angers. Interrogé sur le déroulement d’une journée à la rédaction, Benoît Guérin explique qu’il “y a rarement de journées type”. Même si chaque jour, l’emploi du temps est bien organisé. En premier lieu, c’est le secrétaire de rédaction web qui débute la journée, “il est là à 8h30”. Son boulot est de “passer des coups de fils pour avoir les infos du jour aux pompiers, aux gendarmes … pour savoir si il y a eu des choses dans la nuit”. Ce “SR web” contacte les collègues de la rédaction si “il y a du très chaud”. Ensuite, “les collègues arrivent à 9h30-10h” avec dès le début “une réunion à Cholet et une réunion à Angers”. Le but des ces réunions : se donner “les grosses tendances de la semaine, ce qui va se passer, anticiper le plus possible la semaine, sachant qu’il y a pleins d’imprévus”. Tout au long de la journée, des discussions informelles et des points sont faits pour savoir les informations qui doivent aller au-delà du département.

Sur le choix des sujets traités, le “boulot dans le Maine-et-Loire, c’est de remonter toutes les informations du Maine-et-Loire”. Benoît Guérin partage à ce propos une anecdote : “fin mars, quand Emmanuel Macron vient chez Kolmi-Hopen qui est une grosse boîte de fabrication de masques […]. Le jour où Emmanuel Macron vient visiter cette boîte et communiquer sur le fait qu’il va y avoir réquisition d’État, on se doute bien que ça ne va pas rester sur les pages d’Angers”.  Le nombre de journalistes à la rédaction (une trentaine) suppose de faire des choix et des arbitrages car “on peut pas mettre les collègues partout sur tout”. D’autres départements ont plus de moyens humains comme l’Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique, le Morbihan ou encore le Finistère qui sont “des très gros départements pour Ouest-France”.

“Le bouclage se fait à 21h30 pour le papier, mais on peut très bien publier des infos sur le web à n’importe quelle heure”. Ce sont les nouveaux enjeux du journalisme aujourd’hui, le web et la réactivité, “c’est une nouvelle culture dont les collègues ont dû s’imprégner”.

Nouveaux enjeux et évolutions du journalisme vers le numérique

 “Il y a toute une culture du web qu’il a fallu infuser dans les équipes”.

Lorsque Benoît Guérin a débuté à Ouest-France, “il n’y avait que le journal papier”. Un journaliste avait la journée pour bosser sur une information “sans que personne ne vous mette de pression parce que de toute façon il fallait juste que ça sorte le lendemain”. Aujourd’hui, la situation est différente du à l’arrivée du web et des réseaux sociaux. La manière d’aborder le journalisme a donc changé pour aller vers plus de réactivité, “on fait du journalisme 24h/24″.

Le web donne davantage de visibilité au journal, avec par exemple les “lives” proposés lors de direct de ligue des champions, “parfois on a des matchs de la ligue des champions qui sont plus suivis en Côte d’Ivoire qu’en France. […] Aujourd’hui, Ouest-France n’est pas un journal régional, c’est un journal francophone”. Mais aussi sur l’âge des lecteurs et lectrices, le web permet de “capter un lectorat beaucoup plus jeune”, notamment sur des sujets comme le “Hellfest ou les Vieilles Charrues” lorsque Ouest-France propose des exclus sur ces sujets.

Car le web vient aussi corréler le déclin de la presse. Benoît Guérin a commencé à Ouest-France “au début des années 2000, et à l’époque Ouest-France vendait 800 000 exemplaires par jour”. 20 ans après, la diffusion papier du journal a diminué de plus de 150.000 exemplaires, “aujourd’hui on est à 650.000”. Un déclin qui entraîne une baisse de recettes puisque “aujourd’hui, le journal papier est quand même le plus rémunérateur […] Vous avez des ventes qui ne sont pas compensées par le succès du site internet”.

Le numérique suppose davantage de réactivité qu’avant, comme l’explique Benoît Guérin : “Le problème c’est que c’est l’actualité qui commande, on est à la fois soumis à l’actualité mais on a les outils qui permettent de diffuser l’information plus rapidement. Et parfois les réseaux sociaux nous précèdent, parfois pour dire des bêtises d’ailleurs. Là ou nous on doit être réactifs. Le journalisme est plus stressant qu’avant”.

De l’importance de l’éducation aux médias et du lien avec les citoyens

“Expliquer nos choix et raconter un peu les coulisses d’un article, c’est déjà donner des explications de notre métier.”

La recrudescence des fake news est un fait, avec aujourd’hui les réseaux sociaux qui facilitent et accélèrent leur diffusion. L’éducation aux médias est dans ce sens importante. Interrogé sur le regard qu’il porte sur l’éducation aux médias et sur les initiatives mises en place par Ouest-France, Benoît Guérin explique que le journal “a mis en place une éducation aux médias puisque Ouest-France fait partie du « Journal des lycées« . Dans l’ouest de la France, il y a des journalistes qui se mobilisent, qui prennent de leur temps pour former les lycéens au traitement d’une information, à l’importance d’une information etc… “. Lui-même se rend parfois dans certains établissements pour expliquer le métier de journaliste.

Mais le travail est encore devant, “je pense qu’il y a vraiment encore beaucoup de boulot pour expliquer ce que font les journalistes, comment ils travaillent”. Les manifestations des Gilets jaunes ont ébranlé toute une profession qui a commencé à réagir et à s’interroger sur les explications à cette violence et à cette défiance : “on s’en est rendu compte sans doute un peu tard pendant les manifs des Gilets jaunes”. Il pense que “les médias n’ont pas pris la mesure du fait que parfois ils n’étaient pas compris et qu’ils n’étaient pas accessibles”.

“C’est un problème d’explication et un problème d’écoute. Et puis de culture médiatique, expliquer ce que c’est un média.” Mais aussi de l’humilité parfois, quand un journaliste commet une erreur : “C’est surtout l’humilité qu’on peut avoir dans ce métier qui n’est pas toujours présente et même nous à Ouest-France, on est évidemment fier d’être un gros journal avec une grosse diffusion, mais parfois ça nous a amenés à donner des réponses un peu lapidaires aux gens et moi je pense qu’on doit être humble et dire : “attendez, non non là dessus je prends 5 minutes pour vous expliquer, vous allez comprendre etc..”. « Et surtout quand on fait une erreur et que nos contenus ne sont pas à la hauteur, même une petite erreur.”

Il y a un travail d’autocritique à mener et “on a sans doute des choses à améliorer dans le contact qu’on a avec le public et dans l’explication de notre métier. […] Pourquoi est-ce qu’on a mis telle info en avant plutôt que telle autre et qu’est-ce qu’on a voulu dire. Expliquer nos choix et raconter un peu les coulisses d’un article, c’est déjà donner des explications de notre métier.”

Maintenant avec le web, les journalistes se doivent d’être plus réactifs qu’avant. L’arrivée du web à Ouest-France s’est accompagnée d’une baisse des ventes papier et d’une nouvelle culture dont il a fallu s’imprégner. La visibilité du journal est aujourd’hui plus grande, dépassant le cadre régional et le web permet à Ouest-France d’être lu par un lectorat plus jeune. Mais le web permet aussi une diffusion plus large des fake news et l’éducation aux médias est ici un des moyens de lutte contre ce phénomène. Les journalistes doivent aussi mener un travail d’autocritique. La communication avec les citoyens et une meilleure explication du métier sont, sans doute, une des clés pour enrayer la défiance croissante envers les médias.

Pour aller plus loin :

Article de la Revue des médias de l’INA qui aborde la baisse des ventes de la presse et l’investissement d’internet par cette dernière : « Concentration, diversification & numérique : la PQR cherche à se réinventer »

Deux reportages de France 3 Pays de la Loire :

Au sein de la rédaction de Ouest-France à Nantes avec le basculement au numérique :

Dans les coulisses du bouclage des journaux à Ouest-France à l’impression à Chantepie (35) :

Pauline Croze, libre et passionnée

BFM TV : “Filmer et diffuser la réalité de l’actualité, c’est excitant !”

En service civique et originaire de Perpignan. Tout ce qui tourne autour de la politique m'intéresse, grand amateur de science fiction et de dystopies. J'écris principalement sur les ateliers d'éducation aux médias et au numérique.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017