Professionnels, amateurs ou simples curieux se bousculent dans la boutique de Bertrand Hardy et Eric Perraud. À deux pas de la cathédrale de Nantes, Photo Saint Pierre s’est imposée comme la référence en matière de photographie argentique dans l’Ouest de la France. Témoin de l’évolution du marché de l’image, la boutique reçoit de plus en plus une clientèle jeune.
L’abandon de la vente d’appareils numériques
40 ans. C’est l’âge de Photo Saint Pierre cette année. Créée en 1976, la boutique s’est développée au fil des ans, séduisant les amoureux de la photographie. La révolution numérique n’a pas épargné Bertrand Hardy et Eric Perraud, les deux gérants et vendeurs atypiques de la boutique nantaise, qui ont du s’adapter à la photographie numérique dans les années 2000. Avec le recul, Eric Perraud analyse : « la vente de matériel numérique est une activité très particulière dont l’évolution est rapide et la marge économique très faible. Pour un petit magasin comme le nôtre, c’était vraiment compliqué ». Ces arguments ont motivé les deux vendeurs à délaisser la photographie numérique pour se consacrer à nouveau à l’argentique. Ce choix pouvait paraître très risqué à l’ère du tout-numérique, mais les deux compères ont refusé de croire à la fin de la photographie argentique et étaient conscients d’une demande de plus en plus forte.
Les deux compères ont refusé de croire à la fin de la photographie argentique
Pari gagné pour ces deux passionnés. Une dizaine d’années s’est écoulée depuis leur volonté de retourner à cette pratique et le succès est toujours au rendez-vous. Photo Saint Pierre est l’une des rares boutiques à proposer, en 2016, son expertise par rapport à l’argentique à une clientèle venue de tout l’Ouest de la France, voire d’Europe. Véritable témoin de l’évolution de sa clientèle, Eric Perraud constate depuis quelques années un fort intérêt des jeunes pour l’argentique, à la recherche d’une autre vision du monde qui les entoure.
L’argentique retrouve sa jeunesse
Ce retour à l’argentique, pratique que cette génération n’a pas connue, Eric Perraud l’explique par « une volonté, un souhait de revenir à quelque chose de traditionnel ». Pour le photographe, ce n’est donc pas seulement un retour lié à la mode du vintage. Véritable outil de création alliant à la fois patience, mystère et technique, l’argentique est pour Eric Perraud « un plaisir pour les yeux que le numérique ne peut remplacer, un effet de surprise toujours aussi magique et miraculeux lors du développement des photographies. C’est une affaire de sonorités et de sensations. Il y a l’acte de presser le bouton, de déclencher, d’entendre le clic-clac et la pellicule tourner. Les jeunes, habitués à la photographie numérique, s’émerveillent quand ils découvrent leurs clichés sur papier ».
L'argentique, c’est une affaire de sonorités et de sensations
Ne délaissant pas pour autant la photographie numérique dans son quotidien, la jeune génération a adopté cette ancienne pratique de prise de vues pour son réel pouvoir de création et d’expression. « C’est un moyen d’expression qui leur plaît. Ils sont à la recherche d’autres choses dans un monde où l’instantanéité règne. Ils le trouvent dans une pratique ancienne et à la fois nouvelle pour eux, car ce n’est pas de leur génération », souligne Eric Perraud.
Pour le photographe, l’argentique séduit de plus en plus un public jeune pour son aspect authentique et son lien fort avec la peinture. « Nous sommes dans une ville d’art. J’ai beaucoup de clients étudiants qui viennent des Beaux-Arts. L’argentique c’est la pratique qui ressemble le plus à la technique de la peinture donc forcément, les jeunes s’en emparent ». Étudiants en art ou simplement désireux de découvrir cette pratique, les jeunes donnent un second souffle à l’argentique qui retrouve toute sa valeur.
Les jeunes donnent un second souffle à l'argentique qui retrouve toute sa valeur
Photo Saint Pierre réunit donc ses clients traditionnels, fidèles depuis 40 ans, des amateurs d’argentique de la région, des touristes qui pensent que la boutique est un musée, ainsi qu’un public jeune. Intergénérationnelle, la boutique offre une nouvelle vie à la photographie argentique, s’assurant une résistance pour les générations à venir. Eric Perraud est confiant, l’argentique a encore de longues et belles années à vivre, malgré l’argument financier considéré comme relativement conséquent.
Une pratique accessible
La photographie argentique nécessite un budget, mais le consommateur a tendance à oublier, comme le rappelle le gérant de la boutique, que ce n’est pas plus cher que le numérique. Pour le photographe, l’argentique reste donc une pratique accessible qui permet aux consommateurs de prendre conscience de leurs comportements face au numérique. « Avec l’argentique on fait moins de clichés donc c’est forcément moins cher au développement. On peut trouver des appareils qui ont entre 20 ou 50 ans pour presque rien. Ils sont très résistants. Le numérique donne l’impression d’être gratuit, car les photos restent stockées dans les appareils. S’il y a un problème de matériel, on peut perdre toutes nos photos. Avec l’argentique ce n’est pas le cas. J’ai encore des photos qui datent de plus de vingt ans. Je doute que dans 30 ans les gens soient capables de retrouver leurs photos, à moins de toutes les développer ».
Avec le numérique on voit en direct le résultat sur l'écran, alors qu'avec l'argentique c'est une question de suspens. C'est ça qui est extraordinaire !
Une autre idée reçue concernant l’argentique est sa technique qui semble complexe au premier abord. Pour Eric Perraud, l’apprentissage est le même que pour le numérique. « Il faut connaître le fonctionnement de son appareil, mais les bases sont les mêmes. Seule la façon d’attraper l’image change. Avec le numérique on voit en direct le résultat sur l’écran, alors qu’avec l’argentique c’est une question de suspens. C’est ça qui est extraordinaire. L’argentique nécessite plus de concentration sur son environnement ».
Une réflexion plus approfondie
Rigueur, patience, concentration, sont les règles d’or pour pratiquer l’argentique. Le numérique a changé les comportements, faisant du photographe moderne, un photographe sans forcément la réflexion adéquate. « Avec le numérique on a tendance à photographier tout et n’importe quoi. On oublie que ce n’est pas la quantité qui compte, mais la qualité. L’argentique oblige à déclencher au bon moment, c’est-à-dire à faire preuve de réflexion. Le photographe numérique ne voit plus vraiment l’instant présent à force de mitrailler. Les logiciels de retouche sont aussi une manière de moins prendre le temps de construire son cliché lors de la prise de vue ».
Il faut presque tomber amoureux de son modèle. Il doit se passer quelque chose de magique
Pour cet amoureux de l’argentique, le numérique donne lieu a une relation moins forte entre le photographe et son modèle. Dans l’exemple du portrait, un cliché réussi nécessite une forte relation. « Il faut presque tomber amoureux de son modèle. Il doit se passer quelque chose de magique. S’il ne se passe rien, le photos seront peut-être belles, mais n’auront pas d’âme ». En argentique, tout est donc une question de réflexion et d’angle étudié post-déclenchement. Ainsi, chaque cliché devient le résultat unique d’un travail de précision.
Même si Bertrand Hardy et Eric Perraud ne vendent plus de matériel numérique, les deux gérants de Photo Saint Pierre croient tout de même à la complémentarité du numérique et de l’argentique. « Nous avons aménagé un studio photo pour les portraits et les photos d’identité par exemple. Le numérique est très utile dans la numérisation des pellicules et la retouche ».
Conscients de l’intérêt que nécessite l’argentique, les deux compères ont mis en place un club photo Aléa Club, dédié à l’apprentissage de cette pratique. Eric Perraud est très heureux de voir les jeunes d’aujourd’hui s’intéresser à sa passion de jeunesse, bien que le photographe ne soit pas contre le numérique. « J’utilise énormément le numérique. La seule chose que je n’adopte pas c’est le fameux bâton [le selfie stick, ndlr]. On en voit partout ! On revient à l’âge de pierre. Moi j’ai le bras assez long ! ».