6 décembre 2018

#Payetoiunjournaliste ou le ras le bol de la profession

Suite aux mouvements des Gilets Jaunes, huit journalistes ont lancé un hashtag sur les réseaux sociaux pour dénoncer les agressions et actes de violences dont ils sont victimes.

#Payetoiunjournaliste ou le ras le bol de la profession

06 Déc 2018

Suite aux mouvements des Gilets Jaunes, huit journalistes ont lancé un hashtag sur les réseaux sociaux pour dénoncer les agressions et actes de violences dont ils sont victimes.

Trop c’est trop. Des dizaines de journalistes reporters ont décidé de dire stop aux violences dont ils sont victimes depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes. Aux quatre coins de la France,  les reporters sont sur le terrain à toute heure du jour et de la nuit pour couvrir les manifestations organisées depuis plus d’une semaine. Si la majorité des reportages se déroule sans problèmes, certains professionnels sont confrontés à des manifestants virulents. Injures, crachats… de nombreux journalistes sont victimes de violences physiques et morales sur leurs lieux de travail et ils ont décidé d’en parler.

Publié sur Twitter le 19 novembre, un communiqué de presse signé par huit journalistes a fait le tour des réseaux sociaux et des rédactions. Le titre est évocateur, les journalistes ayant vécu des agressions ou des violences sont encouragés à témoigner avec le hashtag #Payetoiunjournaliste, façon de dénoncer les agissements de certains Gilets Jaunes pendant leurs actions.

La volonté des signataires : faire prendre conscience des conditions de travail des journalistes qui couvrent les mouvements des Gilets Jaunes. Des conditions inacceptables pour la profession, entre prises de paroles intempestives, insultes, bousculades… Une situation loin d’être nouvelle mais qui est particulièrement virulente depuis le 17 novembre, date de la première manifestation des Gilets Jaunes sur tout le territoire. Si ces comportements restent marginaux sur l’ensemble des manifestants, ce phénomène reste préoccupant concernant la liberté de la presse et les conditions de sécurité dans lesquelles les journalistes travaillent chaque jour.

Un espace virtuel pour libérer la parole

Au-delà du hashtag volontairement provocateur, #Payetoiunjournaliste est né d’une volonté de réduire le fossé qui s’est progressivement creusé entre les journalistes et les citoyens. Dans le communiqué, les auteurs parlent même d’une “fracture […] si grande qu’elle culmine parfois dans une défiance mêlée de haine.” Les agressions seraient le résultat d’un désamour avec le monde journalistique. Les citoyens étant de plus en plus méfiant face aux médias et aux informations divulguées. S’il ne justifie pas les actes de violences, ce dernier point est à prendre en compte dans la compréhension de ce contexte houleux.

Face à la multiplication des agressions, le hashtag a été développé comme un espace dédié aux témoignages des reporters qui sont victimes de violences. Ils sont encouragés à partager sur les réseaux sociaux leurs expériences sur le terrain depuis l’apparition des Gilets Jaunes mais aussi leurs expériences antérieures. Depuis le lancement du hashtag le 19 novembre, #Payetoiunjournaliste a été repris des centaines de fois, 680 tweets recensés au 28 novembre.

Initialement ces témoignages sont publiés pour dénoncer les comportements agressifs à l’égard des journalistes. Le but étant de rendre compte de la situation sur le terrain et de limiter ces même comportements à l’avenir. Les auteurs du communiqué  vont jusqu’à rappeler “Le journaliste est une personne ! Oui ça peut être un pote de ton pote, un voisin ou même un ancien de ton lycée”. Un rappel qui semble nécessaire dans un contexte tendu où les journalistes semblent peu fiable voire “vendus”.

Des limites atteintes sur les réseaux sociaux

Partagés, retweetés à des dizaines de reprises sur les réseaux sociaux, le communiqué et son hashtag sont rapidement devenu viraux. Un groupe Facebook a également été créé, simultanément à la publication du communiqué, toujours sous le même intitulé. Les témoignages se succèdent sur ce groupe dit “privé” où tout le monde est finalement accepté après demande d’ajout, 3400 membres au 3 Décembre. Ce qui a rapidement laissé la part belle à des posts belliqueux, tournés contre les journalistes.

Témoignage de Jean-Wilfrid Forquès, reporter pour BFM TV

Débordé par la masse de témoignages, les créateurs de la page sont appelés à modérer son contenu voire même à fermer la page. De nombreux professionnels des médias sont en effet alertés par la prolifération des discours haineux sur la page, la laissant ainsi devenir un groupe ouvert à des propos extrêmes et violents.

Les dérives de ce mouvement #Payetoiunjournaliste sont aussi bien visibles sur Facebook comme sur Twitter. À nouveau les journalistes sont insultés, méprisés et peinent à faire passer leur message face à une détresse pourtant quotidienne.

#Payetoiunjournaliste et après?

S’il a été conçu comme un espace pour témoigner et prendre conscience de la réalité du métier, #Payetoiunjournaliste montre ses limites là où il trouve ses origines. Le “bashing” anti médias, la décrédibilisation des journalistes, le manque de considération sont autant de facteurs qui participent aux violences subies par les reporters au quotidien. Si l’engouement semble rester autour des témoignages, le hashtag perd de son argumentaire et de sa crédibilité lorsqu’il est massivement utilisé contre ses instigateurs. En réaction à ses dérives et abus les huit administrateurs du groupe facebook ont publié un post ce mercredi 28 novembre. Pour ces journalistes instigateurs du hashtag il est temps de “passer à la phase II”, c’est à dire essayer de mettre en place des outils, des pistes pour renouer le dialogue avec les citoyens.

Après un temps de témoignage, l’objectif final du hashtag semble prendre forme. Relancer le dialogue, ne pas laisser certains propos et attitudes extrêmes enrayer durablement la confiance des citoyens envers les journalistes et leur travail sont autant de buts auxquels aspirent beaucoup de reporters français. #Payetoiunjournalise devient alors une porte d’entrée vers la libération de la parole des professionnels. Face à l’hostilité et à la défiance, il serait sans doute judicieux de ne pas oublier que derrière les journalistes on trouve la liberté de la presse. Un droit précieux et envié à travers le monde entier.

La vie privée à l’heure des enceintes connectées

Guillaume Meurice : la satire chevillée au corps

Curieuse de tout et surtout de l'info, Romane (se) pose beaucoup de questions. Salariée de Fragil, elle écrit sur l'éducation aux médias et la musique actuelle !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017