28 septembre 2017

« Les noces de figaro » de Saint-Céré : dernier sourire…

L’un des temps forts de l’édition 2017 du festival de Saint-Céré a été la nouvelle production des « Noces de Figaro », dans la mise en scène d’Eric Perez, portée par une troupe de jeunes chanteurs, qui explorent les mouvements du cœur et racontent une histoire de notre temps.

« Les noces de figaro » de Saint-Céré : dernier sourire…

28 Sep 2017

L’un des temps forts de l’édition 2017 du festival de Saint-Céré a été la nouvelle production des « Noces de Figaro », dans la mise en scène d’Eric Perez, portée par une troupe de jeunes chanteurs, qui explorent les mouvements du cœur et racontent une histoire de notre temps.

Depuis « La flûte enchantée » de 2009, qui réunissait aussi une distribution de jeunes solistes, et « Don Giovanni » en 2013, Eric Perez offre à la musique de Mozart de beaux moments de vie et de théâtre. Pour ces « Noces de Figaro » (1786), il est parvenu, avec le chef d’orchestre Joël Suhubiette, à créer un esprit de troupe, où les interprètes sont heureux de travailler ensemble sur le plateau. Cette joie est communicative et transporte le spectateur. De plus, l’enjeu était de taille, puisque les récitatifs avaient été remplacés par des passages du texte de Beaumarchais (1784), dont s’inspire l’opéra. Le spectacle passe avec bonheur d’un genre à l’autre, du chant au théâtre parlé, dans une même énergie, tandis que l’on glisse d’un siècle à l’autre, d’un monde où tout semble encore possible, au règne de l’ordre bourgeois.

Une urgence de vie

« Les noces de Figaro » reflètent le bouleversement de la société, à la veille de la révolution française. Le pouvoir du Comte Almaviva s’effrite désormais, et des consciences s’éveillent, dans la certitude d’une liberté toute proche. Dès le premier acte, la couleur qui domine est le blanc ; les costumes sont amples et légers, presque aériens. Ils libèrent les mouvements et permettent aux corps d’exploser durant cette folle journée, où tout va tellement vite. La plus belle incarnation de l’urgence est la figure de Chérubin, auquel Eléonore Pancrazi apporte une présence tourbillonnante. C’est un rôle travesti de jeune homme incarné par une femme, une tradition dans l’opéra baroque, mais surtout l’expression d’une liberté infinie.

« Je ne sais plus qui je suis, ni ce que je fais » (Chérubin)

Chérubin est amoureux de sa marraine la Comtesse, et aussi de toutes les femmes, dans une totale confusion qu’il exprime dès son premier air, « Non so più cosa son, cosa faccio » (Je ne sais plus qui je suis, ni ce que je fais). Stendhal a placé ces paroles enfiévrées en épigraphe du chapitre de la rencontre entre Julien Sorel et Madame de Rénal, dans « Le rouge et le noir ». Le personnage inventé par Beaumarchais et sublimé par Mozart ne maîtrise plus rien ; il bouscule l’ordre établi, en ne se trouvant jamais où il devrait être. La chanteuse restitue ces émois avec beaucoup de délicatesse, et fait de ses deux airs des moments de grâce.

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Anas Séguin donne au Comte un relief saisissant

Nelly Blaya

Tout tourne autour du Comte et de la Comtesse, parce qu’ils cristallisent ce monde qui bascule. Le Comte est volage, un Don Giovanni qui se serait marié, mais il ne peut plus désormais abuser de l’étiquette pour séduire ses servantes. L’ordre nouveau est en marche. Anas Séguin donne au Comte un relief saisissant : il en fait un personnage dur et autoritaire, mais que les doutes et les vacillements rendent attachant. Son chant reflète ces désordres par de troublantes nuances où la voix parfois devient sourde et inquiétante.

C’est une femme blessée à laquelle Charlotte Despaux offre une présence lumineuse et un timbre aux couleurs envoûtantes.

La Comtesse n’a jamais cessé d’aimer celui qui lui échappe. C’est une femme blessée à laquelle Charlotte Despaux offre une présence lumineuse et un timbre aux couleurs envoûtantes. On rêve d’entendre cette magnifique artiste dans un opéra de Richard Strauss. Dès son entrée du deuxième acte (un magnifique « Porgi, amor »), elle sculpte avec beaucoup de sensibilité les élans du cœur, et les affres de l’abandon. Mais la Comtesse parviendra à retourner la situation par un jeu de masques qui donne le vertige : c’est le triomphe du théâtre.

L’intime se mêle au politique, et les petites histoires se fondent dans la grande.

Ce sont tous ces travestissements et ces quiproquos qui procurent une telle énergie à cette œuvre. L’intime se mêle au politique, et les petites histoires se fondent dans la grande. Figaro mesure les plans de sa nouvelle maison et se marie avec Suzanne, la femme de chambre de la Comtesse. Le Comte est pour lui à la fois une classe sociale à abattre, et un rival. L’histoire s’affole avec le procès dérisoire de Marceline, qui se révèle finalement la mère de Figaro ! Suzanne aide sa maîtresse à élaborer des stratagèmes pour piéger son mari inconstant. Judith Fa est étourdissante en Suzanne, et ses aigus sont éclatants. Son duo du troisième acte avec la Comtesse est un moment miraculeux, où l’on devine une complicité devenue possible entre les deux personnages.

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Le duo du troisième acte entre Suzanne et la Comtesse est un moment miraculeux, où l’on devine une complicité devenue possible entre les deux personnages

Nelly Blaya

Jean-Gabriel Saint-Martin se hisse en Figaro à de tels sommets, par un chant débordant de vie, et une belle générosité sur le plateau. C’est un plaisir de retrouver Hermine Huguenel dans le rôle de Marceline, après sa mémorable reine Popotte du « Voyage dans la lune » d’Offenbach en 2014. Son formidable tempérament en fait une figure marquante. La scène de rivalité avec Suzanne au premier acte, alors qu’elle ne sait pas encore que Figaro est son fils, est particulièrement réjouissante. C’est un moment où l’on éclate encore de rire, en toute liberté.

Avant que tout ne se fige

« Le barbier de Séville » (1775) et « Le mariage de Figaro » s’inscrivent dans une trilogie dont le dernier volet est « La mère coupable »* (1792). Dans la première pièce, la plus légère des trois, Rosine, qui deviendra la Comtesse, quitte son tuteur Bartolo, avec l’aide de Figaro, pour épouser le comte Almaviva. On suit le parcours des protagonistes dans la troisième, mais le ton est beaucoup plus larmoyant et l’arrière-plan plus sombre. La révolution est passée par là et c’est déjà le temps de la désillusion. Le fils ainé des Almaviva est mort dans un duel, tandis que le comte et la comtesse se débattent entre remords et culpabilité : le premier a eu une fille hors-mariage et la seconde a mis au monde un fils, né de sa relation avec Chérubin, qui depuis est mort à la guerre. C’est un véritable bourbier, sur lequel plane l’ombre d’un autre Tartuffe, le perfide Bégearss. Eric Perez suit dans sa mise en scène le même mouvement implacable que cette Trilogie de Beaumarchais.

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L’atmosphère de ce dénouement est plus sombre, avec des reflets rougeâtres chargés de menaces.

Nelly Blaya

Le dernier acte de l’opéra de Mozart est une mascarade nocturne destinée à piéger le Comte. Les rôles s’inversent et la Comtesse prend la place de Suzanne, pour mettre à nu la vérité. Tous les mensonges assumés dans ce qui ressemble à un jeu n’annoncent-ils pas les artifices de la bourgeoisie qui se met en place pour le siècle suivant ?

L’ordre nouveau en train de naître ne serait-il pas une imposture, dont notre monde moderne garde des traces ?

L’atmosphère de ce dénouement est plus sombre, avec des reflets rougeâtres chargés de menaces. Les costumes sont désormais étriqués, serrés, et les personnages paraissent rigides. Pendant l’ensemble du frénétique finale, ils sont comme statufiés, en un glaçant paradoxe. L’ordre nouveau en train de naître ne serait-il pas une imposture, dont notre monde moderne garde des traces ?

L’une des images fortes de l’opéra est celle du comte à genoux devant sa femme, alors qu’il refusait de pardonner à tous ceux qui l’avaient mystifié peu de temps auparavant. C’est l’un des symboles d’un monde qui s’effondre. Le pardon de la comtesse attire des larmes ; la voix de Charlotte Despaux s’élève en un chant très pur dans la nuit, comme le signe d’une réconciliation universelle, mais tellement fragile. Le spectacle s’achève sur un détail particulièrement touchant : Marcelline et Bartolo esquissent un ultime sourire, tendre et nostalgique, vers ce qui n’est plus, vers cette liberté incroyable, déjà inatteignable.

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Pendant l’ensemble du frénétique finale, ils sont comme statufiés, en un glaçant paradoxe

Joel Fabing

Des lieux magiques

Les lieux choisis offrent aussi de belles émotions. Pour ces « Noces de Figaro » données au Château de Castelnau, la musique de Mozart est transfigurée par les vieilles pierres, par la nuit étoilée et parfois par le chant des oiseaux. Chaque site apporte de jolies surprises, dans une région du Lot où l’on trouve encore des villages authentiques et une nature grandiose.

Dans la pénombre de cet édifice improbable, les paroles très engagées d’Aragon ont révélé toute leur puissance.

Eric Perez est un artiste capable de se mesurer à des genres contrastés avec une même fougue et dans un semblable engagement. C’est fascinant de l’entendre et de le voir, totalement habité, chanter Aragon, accompagné au piano par Manuel Peskine. L’une des représentations de ce spectacle aurait dû avoir lieu en extérieur, au Château de Cavagnac. Mais en raison d’un temps menaçant, il s’est déroulé dans l’église romane, Notre-Dame de L’Assomption, qui lui fait face. Dans la pénombre de cet édifice improbable, les paroles très engagées d’Aragon ont révélé toute leur puissance, tandis que la voix chaleureuse d’Eric Perez offrait quelques beaux frissons dans de bouleversantes chansons comme « Il n’y a pas d’amour heureux » (que chantait Georges Brassens), « Il m’aurait fallu » (Léo Ferré) et en rappel un saisissant « Que serais-je sans toi » (Jean Ferrat). Une rare et précieuse intensité !

L’un des récitals de piano de Gaspard Thomas, véritable prodige, autour de Chopin, était prévu sur le site d’inspiration art-déco de la Source thermale de Miers-Alvignac. Il a été déplacé, pour les mêmes raisons, dans la salle conviviale de la Maison du temps libre à Thégra, à proximité de l’atelier d’un souffleur de verre. Ce village était aussi une émouvante découverte. Le concert a offert quelques beaux instants romantiques dans une sonate de Beethoven et un nocturne de Chopin, aux sonorités pénétrantes, et une exécution captivante et virtuose de trois préludes de Claude Debussy. Un moment unique, à l’image de tout ce que l’on peut vivre au festival de Saint-Céré.

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L'église romane Notre-Dame de l'Assomption à Cavagnac, où Eric Perez a chanté Aragon.

Alexandre Calleau

* « La mère coupable » de Beaumarchais a été représenté dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent à la Comédie Française en 1990.

Liste des villes pour la tournée de ces « Noces de Figaro »:

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La mode solidaire aux Dervallières

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017