“Ce qui m’a beaucoup touchée et agacée, c’est de voir qu’on en était encore là sur les questions de genre en 2025, alors que, par ailleurs, dans la filière en ce moment, on commence à s’emparer des questions de racisme, de transphobie, de validisme, et sur lesquelles les chantiers sont énormes.” C’est par ces mots que Solange Maribe commente sa récente prise de position sur les réseaux en réaction à notre article du 23 septembre. L’article, qui évoquait le manque de parité dans la programmation des Concerts Sauvages, a également fait réagir une partie de la scène musicale nantaise.
Le constat d’une prise de conscience lente en 2025
“C’est vraiment des discours typiques que j’ai entendu de la part de programmeurs, de dirigeants, de directeurs, … Et ce genre de discours traduit le fait que ces personnes n’ont pas du tout analysé leurs propres biais, qu’elles ne savent pas du tout comment tous ces phénomènes fonctionnent.” analyse Solange Maribe, dont l’un des rôles auprès de shesaid.so France est justement de sensibiliser et accompagner les structures sur la lutte contre les discriminations de genre.
Réagissant à l’affirmation d’avoir une équipe mixte ou majoritairement féminine pour une salle de concert, elle souligne le caractère insuffisant de l’argument : “c’est typiquement l’argument, par exemple, des racistes qui disent « Je ne peux pas être raciste, j’ai un ami noir ». Ça ne suffit pas d’en avoir dans son entourage.”
“Reconnaître dans un premier temps qu’on n’est pas complètement neutre c’est déjà un peu la première étape. Pour moi, ça montre que ce sont des personnes qui n’ont sûrement pas fait de formation sur ces sujets-là.” ajoute-t-elle.
Pour Edouard Gassin, fondateur de l’association Murmures et vice-président développement d’euradio, la question de discrimination de genre est encore un sujet tabou dans le milieu musical “parce qu’il y a une espèce de légende qu’on se raconte qui est que les choses ont changé. Sauf que quand on regarde les chiffres tels qu’ils sont, oui, ça a sûrement changé en 30 ans, mais on en est quand même à un stade qui est dramatique.” (Ndrl : 25% de leads féminins dans les spectacles de musique actuelle en Frannce en 2023 – Étude CNM 2025)
Faire de la programmation c’est faire des choix
Sur la question du manque d’artistes féminines ou issu.e.s de minorité de genre à programmer sur scène, comme l’évoquait le programmateur des Concerts Sauvages dans notre article, Solange et Edouard partagent une même vision :
“C’est entièrement faux. Il y a juste un truc, c’est qu’il faut aller les chercher et il faut faire un effort volontaire.” explique Edouard.
“Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un très fort sentiment d’auto-censure chez les personnes minorisées, plus que chez les autres. Attendre que ça ne vienne que d’elles, c’est irréaliste et injuste.” ajoute Solange.
Depuis le lancement de Murmures, dont les soirées concerts sont pourtant clairement annoncées avec une programmation 100% féminine ou issue de minorités de genre, Edouard constate effectivement recevoir, lui aussi, beaucoup plus de messages d’hommes cis, artistes, agents ou managers pour être programmés (19 pour 1). Il a également remarqué que lorsqu’il s’agit de candidatures femmes, “en général, c’est avec une posture beaucoup plus humble.”

Deuxième édition des soirées musicales Murmures, le 24 avril 2025 © Amandine Masson
Pour Solange, c’est aussi une question de cercles ou d’affinités qui peuvent limiter l’accès à certain.es artistes. Il est donc nécessaire “d’être un peu plus curieux et d’aller voir peut-être d’autres concerts que ceux qu’il a l’habitude de voir dans les lieux qu’il fréquente habituellement, et juste essayer de changer de zone de confort.”
“Quand Thomas dit que ce n’est pas un choix, j’entends ce qu’il veut dire parce qu’effectivement, je pense qu’il ne s’est pas dit j’ai envie que cette programmation des Concerts Sauvages compte très, très peu de femmes pour 2025”, nuance la coordinatrice de l’annuaire inclusif Majeur·e·s dédié aux professionnel.les de la musique.
“Par contre, dire que ce n’est pas un choix, ce n’est pas vrai dans le sens où faire de la programmation, c’est une question de choix, c’est choisir des artistes selon des critères.”
Aujourd’hui pour “faire mieux”, un premier objectif pourrait être celui du seuil d’invisibilité (33%) théorisé par Reine Prat en 2006. Un objectif plus facilement atteignable et “un seuil intéressant parce que c’est le seuil à partir duquel on sort de l’invisibilisation”, explique Solange.
Côté musicienne, Clothilde Arthuis, guitariste-chanteuse du groupe nantais Treaks, se méfie cependant de certaines initiatives de valorisation des artistes minorisé.es, jugées éphémères et trop faciles, à l’instar de la scène 100% féminine de la dernière édition du Hellfest : “on les marginalise encore sur une scène à côté”.
De même pour certaines actions “More Women On Stage” qui sont, selon l’artiste, pour certains lieux, “une manière de se laver un peu les mains aussi” sans faire de réels efforts de diversification sur la programmation générale.
“Je trouve ça bien que ça existe, malgré tout, parce que ça veut dire quand même qu’il y a une volonté d’avancer, mais pour moi, ce n’est pas suffisant. C’est toute l’année qu’il faut se poser les questions !” conclut-elle.
Des critères trop restrictifs
Si la diversité et la multiplicité d’artistes minorisé.es ne manquent pas, “surtout en 2025, aujourd’hui, dans une ville comme Nantes”, souligne Solange, reste la question des critères. “Je ne pense pas qu’il se mette les mêmes critères d’exigence pour des artistes hommes et des artistes femmes.” ajoute-t-elle.
Clothilde du groupe Treaks réagit au fait d’être citée comme un exemple de musicienne “un peu unique” par le programmateur des Concerts Sauvages : “ça met beaucoup de pression à toutes les personnes qui veulent se lancer” déplore l’artiste nantaise. Rappelant qu’elle a fait pratiquement dix ans de conservatoire et beaucoup travaillé pour arriver à ce niveau là. Elle souligne que prendre son parcours en exemple “contribue à ce discours de toujours comparer et puis avoir beaucoup plus d’attente pour une minorité.”
Faire venir du monde
“Bien sûr que oui, on peut attirer du monde avec des artistes, quel que soit leur genre. Pour moi, il n’y a pas de sujet. Sinon ça voudrait dire que les artistes femmes ont moins de valeur que les hommes et génèrent moins de chiffres d’affaires que des hommes ?” s’étonne Edouard, rappelant que les artistes les plus riches dans le monde aujourd’hui sont principalement des femmes. “Je suis un peu choqué d’entendre encore ce genre d’argument.”
Ses soirées Murmures, en mixité choisie et dont la programmation est gardée secrète jusqu’au début du concert, affichent rapidement complet depuis leur lancement en janvier 2025, preuve d’une réelle curiosité du public nantais. Un succès à l’image d’autres lieux à Nantes qui ont fait le choix d’une programmation engagée comme la Licorne Noire ou les Impertinant.es, avec notamment le Collectif Raymonde.

Soirée jam au Poum Poum T’chak du Collectif Raymonde
Clothilde a le sentiment que le Ferrailleur “entretient le même public qu’il a, et du coup il a décidé de faire un bar pour les personnes qui fréquentent déjà ce bar.”
Programmer de nouvelles artistes sans garantie de faire venir du monde : “c’est des risques sur lesquels il faut investir.” ajoute Solange.
Un rôle d’allié à saisir
Tous.tes regrettent que la lutte contre les discriminations de genre restent principalement la charge des minorités concernées et en appelle à la responsabilité collective : “La majorité, à Nantes, des gens en direction de salles, en direction de lieux, en programmation de lieux, etc., sont des hommes cis, et pour moi, c’est à eux de faire bouger les lignes. J’estime que c’est de notre responsabilité.” confie Edouard, conscient de sa position d’homme cis dans cette lutte. “On a un rôle à jouer qui est hyper important, et si nous, on ne le joue pas, les choses avanceront sûrement à leur rythme, mais pas aussi rapidement que si on s’y met.”
“C’est hyper important que ces questions-là, ce soit aussi des hommes cis, blancs, hétéros, qui se les approprient, et que ça ne soit pas toujours des personnes concernées qui luttent.” confirme Clothilde. “Il serait temps que des véritables alliés prennent ces causes à cœur.”
Un appel au soutien qui vise également les autres artistes cis, comme les habitués des Concerts Sauvages : “Il y a sûrement dans la programmation, des mecs qui se disent engagés pour l’égalité. Est-ce qu’ils s’engagent aussi concrètement en allant confronter ces personnes-là ?” s’interroge Solange, tout en ayant conscience que laisser sa place sur scène par exemple, dans ce milieu souvent précaire, n’est pas toujours aisé.