26 avril 2022

Mais… de quels médias parle-t-on quand on fait de l’éducation aux médias ?

La notion de "média" est difficile à appréhender pour la majorité des personnes que l'association Fragil rencontre lors de ses nombreux ateliers d'éducation aux médias. Une clarification autour de la polysémie du terme semble nécessaire afin de bien appréhender le sujet et proposer ainsi une meilleure éducation aux médias.

Mais… de quels médias parle-t-on quand on fait de l’éducation aux médias ?

26 Avr 2022

La notion de "média" est difficile à appréhender pour la majorité des personnes que l'association Fragil rencontre lors de ses nombreux ateliers d'éducation aux médias. Une clarification autour de la polysémie du terme semble nécessaire afin de bien appréhender le sujet et proposer ainsi une meilleure éducation aux médias.

« Est-ce que vous pouvez me citer des exemples de médias ? » , c’est par cette question que j’amorce de nombreux ateliers d’éducation aux médias chez Fragil. Que ce soit avec des adultes, des ados ou des enfants, un court moment de perplexité s’installe avant les premières réponses embarrassées : « BFM TV ? », « les réseaux sociaux ? », « Internet ? », « Instagram ? », « les journalistes ? » « Netflix ? », « la radio ? », « Skyrock ? »… la notion de média est floue pour la quasi totalité des publics que nous accompagnons, alors comment prétendre faire de l’éducation aux médias efficacement sans prendre en compte la difficulté de définition du terme ? Animant professionnellement des ateliers d’éducation aux médias depuis 2017 au sein de l’association nantaise Fragil, je vous propose une réflexion autour de la notion de « média ».

Une polysémie déroutante, des définitions floues

Lorsque l’on s’attache à définir « média » en français, on se heurte instantanément à la pluralité des sens que le terme véhicule. C’est pourquoi, avant toute séquence d’ateliers d’éducation aux médias, il me semble primordial de faire réfléchir le groupe que l’on encadre aux multiples sens que le terme peut évoquer pour chaque individu.

Car dans l’usage de la langue française :

  • La télévision et la presse écrite sont des médias.
  • TF1 et Le Monde sont des médias.
  • Un fichier MP3 est un média téléchargeable.
  • Un magazine est un média consultable en médiathèque.

Ainsi la phrase : « j’ai lu dans un magazine que l’on pouvait télécharger les podcasts de France-Inter sur Internet » pourrait aisément se paraphraser en français par : « j’ai lu dans un média que l’on pouvait télécharger les médias d’un média sur un média ».

Faisons le tour de six sens attribués à « média »  que j’ai pu repérer lors de mes ateliers. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive, mais donne à mon sens une idée plutôt précise d’un biais de compréhension possible pour n’importe quel public encadré en atelier d’éducation aux médias.

Étymologiquement : un moyen

« Moyen, milieu, lien » quand on regarde du coté de son étymologie latine. Un média, ou medium pour les intégristes latinophiles, serait donc le lien entre deux choses, le moyen utilisé pour faire quelque chose, transmettre une information d’une source A à un public B en l’occurrence, que celui ci soit constitué d’une personne ou d’un groupe.

Dans ce sens, tout ce qui permet la communication d’information est média : un câble électrique laissant passer ou non du courant est un média, l’usage de ma voix qui permet la transmission d’un message oral à une autre personne est un média, idée qu’évoquait d’ailleurs le renommé, mais controversé, Marshall MacLuhan dans « Pour comprendre les médias » en 1964.

Une technique de transmission

Pour Larousse, repris par la communauté Wikipédia, un média est un « procédé permettant la distribution, la diffusion ou la communication d’œuvres, de documents, ou de messages sonores ou audiovisuels (presse, cinéma, affiche, radiodiffusion, télédiffusion, vidéographie, télédistribution, télématique, télécommunication) ». Avec cette définition de média en tant que procédé de distribution de documents, on pourrait sans doute considérer la distribution de prospectus dans la rue comme un média.

Abréviation de « Mass-Media »

« Média » est aussi utilisé comme abréviation de la notion de mass-media. Et là on ne désignerait que les technologies permettant d’effectuer une communication de masse. Entendez par là, envoyer une information d’un émetteur unique à des milliers (centaines de milliers, millions, à vous de placer le curseur qui permettant de définir « masse ») de récepteurs en même temps. Un cadre posé qui était plutôt pertinent avant la fin du XXème siècle, lorsque le terme était associé à la télévision ou à la presse. Effectivement, ces technologies qui nécessite de larges ressources financières pour les émetteurs n’étaient pas à la portée de tout le monde. Les émetteurs étaient alors beaucoup moins nombreux que les récepteurs. Mais dirait-on aujourd’hui qu’on utilise un média de masse en envoyant un mail à 100 000 personnes ? Ou bien en publiant un tweet destiné à ses millions d’abonné.e.s ?

Des structures de création et de diffusion de contenu

Quand le Monde Diplomatique et Acrimed produisent leur cartographie « Médias français, qui possède quoi ? »  , il ne s’agit pas de lister les propriétaires d’Internet, les détenteurs d’imprimerie ou celles et ceux qui possèdent les infrastructures de diffusion télévisuelle (émetteurs du réseau de télédiffusion par exemple). Il s’agit de lister les liens entre des puissances d’argent et les « médias » qu’elles détiennent, entendez par là « structures produisant et diffusant une sélection de contenus à la population française ». Une définition qui place Gulli au même niveau que BFMTV, Skyrock et Charlie Hebdo. Le dénominateur commun de ces structures étant que le choix du contenu diffusé est réalisé en amont par des êtres humains : responsables éditoriaux, ou directeurices de programmation, ou autres selon le choix d’appellation. C’est exactement ce type de responsabilité éditoriale qu’évitent à tout prix d’avoir les principaux réseaux sociaux pour garder un statut de simple hébergeur, beaucoup moins contraignant juridiquement que celui d’éditeur. Même s’ils tendent de plus en plus à devenir éditeurs au regard de leur politique de gestion de contenus.

La carte « Médias : qui possède quoi ? » éditée par Le Monde Diplomatique et Acrimed

Des structures de création et diffusion d’information

Une autre manière de comprendre le mot « média » est de s’attacher aux structures créatrices d’informations, au sens journalistique du terme. C’est ce que défend par exemple 1 jour 1 question. Mais encore une fois, si certaines structures semblent tomber sous l’évidence (Le Monde, BFMTV, Mediapart, France Info..) d’autres peuvent susciter le débat : la chaîne France 2 qui produit des reportages mais diffuse aussi du divertissement doit-elle être considérée comme un média dans le sens de cette définition ? L’émission Quotidien, est-elle un média puisque ses journalistes produisent de l’information ? Un compte Instagram géré par un groupe d’élèves de collège produisant du contenu journalistique, en suivant une ligne éditoriale claire pour ses abonné.e.s est-il un média ? Oui, c’est ce que nous défendons chez Fragil.

Des supports physiques et numériques de stockage d’information

Livres, magazines papier, Cds, BluRay, diapositives, tirages photographiques, images numériques en .jpeg, BluRay, VHS, MP3…  Ce sont autant de supports physiques et numériques qui peuvent stocker une information. Des « médias » disponibles dans une médiathèque ou consultables dans une base de données multimédias. Il n’est donc pas hors-sujet dans ce cas de considérer un disque vinyle comme un média et par extension tout espace de stockage d’information : clé USB, disque dur externe… quid de mon cloud alors ?

Et l’éducation aux médias dans tout ça ?

Trouvant son origine pédagogique dans une action qui a longtemps été associée à une « éducation par les médias », s’appuyant sur différents supports (vidéo, audio, journaux…) pour illustrer les sujets traités en classe. Il semble que l’un des champs privilégiés de l’éducation aux médias en 2022 soit désormais axé sur l’analyse critique des structures de création et diffusion d’informations et de leurs contenus. À l’ère de la lutte contre les fake-news, de l’infobésité, de la crise de confiance dans le travail des journalistes, les acteurices de l’éducation aux médias s’engagent principalement sur le terrain de l’information définie en tant que production journalistique. À l’instar de l’approche très pertinente, et en 5 points, suggérée par média-animation.be, des créations de médias journalistiques collaboratifs tels que ceux réalisés par Fragil ou d’autres structures d’éducation populaire, c’est surtout la qualité de production de l’information et son analyse critique pour les récepteurices qui est au cœur de la discipline actuellement. Cette montagne à gravir ne doit cependant pas nous éviter certaines questions cruciales qui permettront une meilleure « éducation aux médias » :

  • Comment faire comprendre à un groupe le fonctionnement technique d’Internet ? Quel est son impact écologique ?
  • Comment appréhender la différence entre un moteur de recherche et un navigateur web ? Comment faire comprendre l’afichage de mes résultats de recherches sur Google ou Qwant ?
  • Comment faire réfléchir aux motivations des milliardaires qui s’accaparent des grands médias et aux risques que cela représente pour la démocratie sans passer par une initiation à la politique ?

Autant de questions qu’il faudra aborder dans nos ateliers, développer de nouveaux ateliers sur la compréhension de l’algorithmie, des métadonnées, du lien entre politique et médias… et ce, tant que la définition de média restera floue pour le plus grand nombre. Ou bien que l’on trouve de nouveaux termes pour préciser nos pensées.

Développement durable, pauvreté, égalité femmes-hommes : des ados d'Orvault enquêtent sur leur ville

Les parents d’élèves de la Boissière du Doré inquiets face aux dérives des réseaux sociaux

Chargé de projets numériques et médiatiques chez Fragil depuis 2017, musicien, auteur, monteur... FX est un heureux touche-à-tout nantais. Il s'intéresse aux musiques saturées, à l'éducation aux médias, aux cultures alternatives et aux dystopies technologiques.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017