13 avril 2023

L’hommage spécial du Festival du cinéma espagnol de Nantes à Carlos Saura

   Dimanche 2 avril, le Festival du cinéma espagnol de Nantes a décerné le prix du meilleur documentaire à Las paredes hablan (Les murs parlent). Il s’agit de la dernière œuvre de Carlos Saura. Une belle récompense pour ce grand réalisateur décédé le 10 février dernier à 91 ans.

L’hommage spécial du Festival du cinéma espagnol de Nantes à Carlos Saura

13 Avr 2023

   Dimanche 2 avril, le Festival du cinéma espagnol de Nantes a décerné le prix du meilleur documentaire à Las paredes hablan (Les murs parlent). Il s’agit de la dernière œuvre de Carlos Saura. Une belle récompense pour ce grand réalisateur décédé le 10 février dernier à 91 ans.

En 2022, le Festival du cinéma espagnol avait projeté au Katorza Goya en Burdeos (Goya à Bordeaux), un film que Carlos Saura a mis 15 ans à écrire et qui raconte la vie du grand peintre espagnol, témoin d’un des faits historiques les plus sombres de l’Espagne, la guerre d’indépendance contre Napoléon de 1808 à 1814.

Cette année, pour la 32 ème édition, le public a pu revoir deux de ses chefs d’œuvre : Cria cuervos son premier film en tant qu’auteur, qui dénonce les enfants victimes de leurs parents franquistes, et Ay Carmela, une comédie sur la guerre civile de 1936.
Mais c’est son dernier documentaire Las paredes hablan (Les murs parlent) qui a été mis en avant par le jury présidée par Ana Diez. Hommage posthume ou récompense méritée ?

Carlos Saura était un excellent photographe. Il avait une collection d’appareils dans sa maison de vie à Villalba                                                   Photo de Jorge Fuembuena

Pour Pilar Martinez-Vasseur, la co-présidente du Festival, cela ne fait aucun doute : «Le jury a récompensé la qualité du contenu, son travail de recherche, son innovation».
Et elle précise : «Nous n’avons pas voulu rendre un hommage posthume à Carlos Saura. Quant il est mort, la 32 ème édition était déjà programmée. Il s’agissait de revenir sur ses oeuvres pour montrer leur vivacité et leur jeunesse. Avec son décès, cela a forcément pris la tournure d’un hommage spécial».

Des peintures rupestres aux graffitis

    Las paredes hablan est un magnifique plaidoyer pour les premiers artistes de notre civilisation qui ont laissé au fond des cavernes de précieux témoignages des débuts de l’humanité. Des œuvres qui ont survécu à des milliers d’années, fabriquées d’un jet, avec une technique surprenante et qui délivrent des messages énigmatiques.

Pour écrire ce documentaire, Carlos Saura s’est rendu sur ces lieux préhistoriques (Lascaux, Puente Viesgo, Altamira). Il a rencontré d’éminents spécialistes pour tenter de déchiffrer ces peintures. Mais surtout, il a créé le lien entre ces gestes primitifs et les graffitis réalisés sur les murs de Barcelone, du quartier Lavapiès ou de Madrid par des artistes contemporains comme le majorquin Miquel Barceló, Zeta, Suso33, Cuco ou Musa71.

Des peintures rupestres à l’art mural, il n’y a qu’un pas que l’infatigable homme de culture a osé franchir à 90 ans.

Une soif de culture

De gauche à droite : Emmanuel Larraz, Eulalia Ramon, Pilar Martinez-Vasseur, Jorge Fuembuena

Oscar Orengo Fernandez, a eu la chance de le photographier chez lui dans sa maison-musée de Coliado Meliano à Villalba, juste avant sa mort, avec sa dernière compagne, Eulalia Ramon. Il a toujours été impressionné par sa soif d’apprendre.

«Il était curieux de tout» observe-t-il. «ll voulait tout savoir et il avait un grand amour pour l’art et la culture en général».

Et surtout, il avait un sens aigu de l’observation. «Ce n’était pas un voyeur» nuance Pilar Martinez-Vasseur. «En fait, il essayait de comprendre ses personnages de l’intérieur».

«C’était un bon portraitiste» précise Jorge Fuembuena qui le fréquentait depuis 18 ans et qui vient de publier un livre préfacé par Carlos Saura : Elégies . «Avec lui, j’ai appris à regarder les yeux dans les yeux, comme lui, de face, à l’horizontal».
Et il poursuit : «Quand tu le photographiais, il y avait toujours comme un jeu de séduction. Il renvoyait son image comme dans un miroir. Tantôt, il restait distant, tantôt il te laissait rentrer dans son intimité».

Une fois conquis, le grand maître pouvait se montrer généreux avec ceux qu’il appréciait. Ainsi a-t-il a donné ses photos personnelles de Luis Bunuel à Jorge Fuembuena parce qu’il préparait un livre sur cet autre grand nom du cinéma espagnol.

   «Il m’a confié un trésor. C’est un privilège qu’il ait accepté de les partager» avoue avec admiration Jorge Fuembuena, le photographe officiel du Festival du cinéma espagnol depuis 2005.

Une attention aux gens humbles

   «Quand j’étais à l’Ecole Supérieure du Cinéma de Madrid,» opine le réalisateur Imanol Uribe «on le considérait comme un Dieu. C’était un monument. On n’osait pas l’aborder. Mais dès que l’on s’approchait de lui, il montrait beaucoup d’empathie envers les autres».

Des propos que confirme Emmanuel Larraz, professeur à la retraite de l’Université de Dijon. «Il s’intéressait aux gens humbles et les représentaient dans quasiment tous ces films. C’est le cas avec la servante dans Cria Cuervos».

Un cinéaste engagé contre le franquisme

Carlos Saura était aussi un homme très engagé qui disait souvent : «Sans la France, je n’existerais pas». Emmanuel Larraz, qui a consacré une thèse au cinéma espagnol sous Franco, aime le rappeler.

   «Quand il a tourné Cria Cuervos, il y avait encore la censure. Il lui a fallu 2 ans pour obtenir l’autorisation de le fabriquer. Et il a du trouver bien des astuces pour dénoncer le régime autoritaire».

Pour lui, ce film est réussi car il critique tout en subtilité le poids du patriarcat, de la famille catholique et féconde, et aussi l’institution militaire, notamment la division Azul. Et il estime que le film porte bien son nom. Il est tiré d’un refrain dénonçant l’ingratitude : Cria cuervos y te sacaran los ojos (Elève des corbeaux et ils t’arracheront les yeux), autrement dit rien ne peut sortir de bon du franquisme.

   «Pour Saura, c’était un devoir de combattre Franco et ses idées, une obligation morale» conclut Emmanuel Larraz.

La confiance aux acteurs

Carlos Saura avait aussi un immense respect pour les acteurs et les actrices. Il savait en tirer le meilleur parti. Eulalia Ramon le reconnaît volontiers, elle qui a tournée 6 films avec lui comme actrice avant de devenir réalisatrice.

   «Avant de commencer une scène, il venait toujours nous voir pour nous demander si tout allait bien. Puis il plaçait ses caméras et une fois que la caméra tournait, il nous laissait libre de jouer comme on voulait. Il avait du respect pour notre métier. Je le remercie de nous avoir donné cette liberté».

Une liberté de création

Cette liberté, il la revendiquait aussi comme réalisateur pour créer sans limite.
Eulalia Ramon raconte aussi son tournage avec Paco Rabal au sommet de sa gloire dans Goya en Burdeos.

   «C’était un moment magique. La lumière, la transparence, la narration. C’était comme dans un rêve. Carlos était vraiment fier de ce film qu’il avait tourné en studio. Il pouvait créer tous les effets spéciaux qu’il avait imaginés. C’était la liberté totale».

Carlos Saura laisse derrière lui une trace qui n’a pas fini de faire couler de l’encre. Il laisse aussi l’image d’un grand humaniste, d’un artiste immense, d’un ami de la France. Il était venu 3 fois à Nantes en 2000, 2010, 2015 et il était invité pour cette édition de 2023. Le sort en aura décidé autrement.

Carlos Saura au Théâtre Graslin                             Photo de Jorge Fuembuena

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Dominique A en concert à Nantes

Dernières nouvelles du monde de Dominique A

Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017