20 mai 2019

Les voix du Bolchoï : Une quête d’absolu

Le Centre d’Art Lyrique de la Méditerranée (CALM) a proposé quatre concerts de jeunes artistes issus de l’atelier lyrique du prestigieux Théâtre du Bolchoï. Celui du 24 mars au Conservatoire Russe de Paris Serge Rachmaninov a permis de découvrir de magnifiques interprètes, à l’aube d’une belle carrière. Un moment rare et précieux…

Les voix du Bolchoï : Une quête d’absolu

20 Mai 2019

Le Centre d’Art Lyrique de la Méditerranée (CALM) a proposé quatre concerts de jeunes artistes issus de l’atelier lyrique du prestigieux Théâtre du Bolchoï. Celui du 24 mars au Conservatoire Russe de Paris Serge Rachmaninov a permis de découvrir de magnifiques interprètes, à l’aube d’une belle carrière. Un moment rare et précieux…

Pour la cantatrice Elizabeth Vidal, la musique est une nécessité pour notre monde actuel. C’est dans cet esprit que cette superbe interprète est depuis 2014 membre du jury du concours « Prodiges » sur France 2, partageant son idéal sur le chant et la voix dans un discours passionné et sincère. Dans un entretien qu’elle a accordé en 2016 pour la revue de l’Opéra de Nice, elle évoquait ce programme très populaire « où les enfants sont dans l’art, l’expression et l’émotion », convaincue que « la musique est un moyen pour développer et structurer notre société ». L’illustre chanteuse dirige par ailleurs depuis 2008, avec le baryton André Cognet, le CALM, basé à Nice, qui s’est fixé pour mission la formation très exigeante de jeunes artistes lyriques, et leur insertion professionnelle.

Sur environ 2000 auditions, il ne garde que 15 chanteurs pour l’atelier lyrique de l’une des plus grandes scènes d’Opéra du monde…

Depuis 2010, Elizabeth Vidal est également consultante en technique vocale au Bolchoï, à Moscou, dont Dmitry Vodvin dirige le YAP (Young Artist Program). Celui-ci parcourt chaque année le vaste territoire russe à la quête de grandes voix, dans un pays qui en compte énormément : sur environ 2000 auditions, il ne garde que 15 chanteurs pour l’atelier lyrique de l’une des plus grandes scènes d’Opéra du monde. Le niveau vocal de ces interprètes est exceptionnel, le CALM a permis de mesurer leur immense talent en organisant quatre concerts, dont l’un à l’Opéra de Nice, le second au Casino de Cagnes Sur Mer, et les deux autres à Paris. Ces derniers avaient lieu au Conservatoire Russe Serge Rachmaninov, une institution chargée d’histoire, fondée en 1923 par Chaliapine et Rachmaninov notamment, où se sont produits des interprètes mythiques, dont Horowitz. C’est dans l’auditorium de ce conservatoire qu’avait lieu un concert de trois jeunes artistes du Bolchoï, récemment sélectionnés, accompagnés par un pianiste complètement inspiré, l’impressionnant Alexander Shirokov. La salle est belle et chaleureuse, bordée de baies vitrées qui donnent sur la Seine et la Tour Eiffel. On aimerait revivre une telle émotion dans d’autres beaux endroits, et particulièrement à Nantes dans la chapelle Notre-Dame de L’Immaculée Conception, à l’acoustique aussi parfaite, où Angers Nantes Opéra a affiché en début de saison le divin « San Giovanni Battista » d’Alessandro Stradella…

Des tempéraments exacerbés : le miracle des voix

Le programme du concert était très riche, il était présenté par Elizabeth Vidal et André Cognet, dont les discours passionnés et vibrants étaient des portes ouvertes sur tout un monde d’émotions. Il débutait sur une belle découverte, un extrait de « Rodelinda » d’Haendel, inspiré d’une tragédie de Pierre Corneille, « Pertharite ». La soprano Elmira Karakhanova a ensuite interprété avec de belles nuances un air de Suzanne des « Noces de Figaro » de Mozart, qu’Elizabeth Vidal compare à un vêtement de haute couture, d’une perfection absolue. Puis, le ténor David Posulikhin a apporté des contours élégiaques et divins à l’un des airs d’Ottavio de « Don Giovanni ». Le duo entre Desdemone et Emilia extrait d’ « Otello » de Rossini (une rareté) a permis de découvrir la stupéfiante présence de la mezzo-soprano Victoria Karkacheva : les deux chanteuses mêlaient leurs voix dans d’envoutantes vocalises.

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Elmira Karakhanova et Elizabeth Vidal

Alexandre Calleau

La sensibilité exceptionnelle et le jeu du pianiste Alexander Shirokov…

Le public, complètement étourdi par ces voix splendides, a ensuite pu mesurer la sensibilité exceptionnelle et le jeu du pianiste Alexander Shirokov, dans les variations sur « Carmen » de Bizet, dans la transposition du génial Horowitz. Cette pièce était un somptueux prélude à deux extraits de l’opéra, dont l’air du « Toréador » d’Escamillo, chanté avec une belle énergie par André Cognet (une jolie surprise). Victoria Karkacheva s’est ensuite abandonnée à la sublime aria de « La damnation de Faust » de Berlioz, « D’amour, l’ardente flamme », avec quelques graves renversants. La première partie s’achevait sur un extrait de « L’Elixir d’amour » de Donizetti, pour ténor et soprano, qui révélait aussi la puissance comique des deux interprètes. Ce qui marque dans chacune de ces prestations est l’investissement total des artistes et leur capacité à passer très vite d’un registre à l’autre, en atteignant pour chacun d’eux des sommets !

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Alexander Shirokov, Victoria Karkacheva , David Posulikhin , Elmira Karakhanova et Elizabeth Vidal

Alexandre Calleau

De l’opéra à la mélodie

La seconde partie de ce concert était essentiellement centrée sur des mélodies russes et françaises, avec de superbes découvertes. Elle s’ouvrait sur des pièces pour piano, où Alexander Shirokov s’est vraiment montré une révélation, totalement possédé par ce qu’il joue, allant jusqu’à des élans de déchainement et de fièvre complètement hallucinants, mais tout en maintenant de troublantes nuances. Un prélude de Rachmaninov dédié à Chopin a d’emblée créé une atmosphère bouleversante. Elmira Karakhanova a donné ensuite beaucoup d’émotion à une mélodie du même compositeur, aux accents mélancoliques, « Lilas », où la fleur est ce qu’il reste d’un monde d’autrefois, dans un palais détruit et reconstruit à l’identique. Dans un conservatoire qui porte son nom, Rachmaninov trouve dans le jeu et le tempérament du pianiste un bel hommage. André Cognet s’attarde sur le compositeur, ce « Tchekhov de la musique », en rappelant toute sa mélancolie de l’exil. Il aurait affirmé à son médecin « Je m’entraîne à être triste »…

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la salle de d'auditorium du Conservatoire Rachmaninoff.

Alexandre Calleau

Un moment de grâce, où les voix se superposent dans un chant d’une beauté inouïe…

Dans le répertoire français, ces sublimes chanteurs sculptent les mots avec beaucoup de vérité, par de fascinantes couleurs. C’est ainsi que l’on entend les vers de Paul Verlaine dans un fabuleux « Clair de Lune » mis en musique par Gabriel Fauré, où David Posulikhin trouve une belle intériorité, tandis que « Les chemins de l’amour » de Francis Poulenc, sur un texte de Jean Anouilh, est extrêmement touchant. En restant dans le répertoire français, mais du côté de l’opéra, cette seconde partie nous a offert une magnifique surprise. Elizabeth Vidal a chanté le duo des fleurs de « Lakmé » de Léo Delibes, avec Victoria Karkacheva. C’est un moment de grâce, où les voix se superposent dans un chant d’une beauté inouïe, et où le temps parait suspendu, d’autant que la chanteuse prolonge la magie de l’instant, en chantant, en un troublant écho, l’extrait d’un opéra oublié de Camille Saint-Saëns, « Parysatis», dont elle dessine les arabesques étonnantes et irréelles.

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Pierre Cheremetieff, André Cognet, Elizabeth Vidal, Huguette Cheremetieff Bultel (directrice du conservatoire) et Dmitry Vodvin

Alexandre Calleau

Elizabeth Vidal fascine par ses merveilleux aigus et elle est une très grande Reine de la nuit de « La flûte enchantée », qu’elle a chantée dans le monde entier. Dans « Manon Lescaut » d’Auber, un ouvrage très peu joué qu’elle a enregistré en CD, elle atteint une note rare et ineffable qui attire les larmes, lors de la mort de l’héroïne, dans une fulgurance unique. C’est cette perfection, et ce sens de l’absolu, qu’elle transmet à tous les jeunes artistes dont elle croise la route : ce concert en était un superbe reflet.

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Alexandre Calleau

Caballero & JeanJass ont retourné Stereolux

Le voyage à Nantes : passeport pour l’évasion et l’étrange assuré

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017